France

Procès de la Scientologie à Lyon (Voir l'appel)

(Affaire : Patrick Vic)

Synthèse des informations apportées par TF1, France 2, et France 3, l'ADFI et le CCMM.

Voir aussi Le procès de Lyon en photos, par KR Images Presse; et la présentation du livre Le Procès de la Scientologie.

 
 

Historique

Vingt-trois scientologues comparaissent devant le Tribunal correctionnel de Lyon, pour escroquerie, tentative d'escroquerie, complicité d'escroquerie et abus de confiance. L'un d'entre eux, Jean-Jacques Mazier, président de l'église de Scientologie de Lyon en 1988, est poursuivi pour escroquerie et atteinte involontaire à la vie d'autrui.

 Raisons de l'instruction judiciaire:

Après 5 années d'instruction mouvementées, menées par le juge Georges Fenech, c'est un petit miracle de voir l'Eglise de Scientologie devant un tribunal, et dans le box des accusés. L'effet produit par la tragédie de l'Ordre du Temple Solaire y est sans doute pour quelque chose, elle a certainement contribué à accélérer la procédure. Il ne faut pas oublier les difficultés de l'enquête, les multiples pressions exercées sur les policiers, sur le juge d'instruction Georges Fenech, sur l'expert psychiatre Jean-Marie Abgrall, et sur les adeptes repentis.

Président du Tribunal : Patrick Lifschutz,
Procureur adjoint : Thierry Ricard.

 


30 septembre 1996

Ouverture du procès

Dès le début de la séance, la défense a demandé un renvoi de ce procès. La demande a été rejetée.

 L'enjeu de ce procès repose sur une question simple et brutale: "La Scientologie est-elle une religion ou une escroquerie ?" Les adeptes de la secte vont expliquer à la barre qu'ils dispensent une philosophie religieuse, un recherche spirituelle. L'accusation répondra que leur véritable objectif est de faire des bénéfices sans vergogne sur le dos des adeptes. Le problème est que les méthodes sont qualifiées de manipulation mentale, mais que cela n'existe pas en droit français (voir le Rapport de la Commission d'enquête sur les sectes remis à l'Assemblée Nationale. France. Décembre 1995). Alors comment le tribunal va-t-il pouvoir établir un lien direct entre la secte et le suicide de Patrice Vic? "Ils ont poussé mon mari au désespoir", raconte Mme Nelly Vic, "à cinq heures du matin, il m'a dit 'c'est la seule solution' puis il s'est dirigé vers le balcon...".

 En tout cas, les scientologues sont actuellement dans leurs petits souliers. Leurs dirigeants ne cachent pas que l'Eglise de Scientologie joue son avenir cette semaine devant le Tribunal Correctionnel de Lyon.

 Déclaration de Marc Bromberg, porte-parole de l'Eglise de Scientologie de Lyon: "Nous revenons 500 ans en arrière et nous entrons dans un âge sombre. C'est l'inquisition !" [sic].

  • Interrogation du prévenu J-J M. Il reconnaît que la veille du drame il a préconisé à Patrice Vic un programme, incluant un "cure de purification" et nécessitant l'emprunt d'une somme de 30.000 F, pour qu'il sorte de son état dépressif. Auparavant, Patrice Vic avait suivi des "auditions" et des "cours d'intégrité personnelle", parce qu'"il n'allait pas très bien", il se dit "missionnaire et homme d'église", et admet que d'un point de vue financier "c'est plus dur d'être scientologue que d'être catholique". Nelly Vic conteste ses dires, explique que l'état dépressif de son mari avait été entretenu et amplifié par l'église.
  • Interview de Maître Jean-Michel Pesenti, avocat des plaignants. "L'Eglise de Scientologie est une formidable machine à broyer. Si j'avais une comparaison à faire, la Scientologie est une pieuvre. Elle a un but très simple, qui est d'infiltrer toutes les couches socioculturelles, politiques et économiques, et d'être à tous les niveaux. Et ce dans un seul but: ce n'est pas un but religieux parce que la religion n'est qu'un paravent pour cacher une machine à faire du fric, une pompe à fric extraordinaire, une véritable multinationale".
  • Interview de Janine Tavernier, présidente de l'ADFI: "Ron Hubbard dit aussi très clairement dans ses écrits - et il les avoue - qu'une personne suppressive peut-être éliminée physiquement sans être considérée comme un criminel. Et bien j'ai rencontré un ex-scientologue qui est resté pendant 10 ans dans cette secte et qui m'a dit que si on lui avait demandé de tuer, il aurait fait. Alors je pense qu'il y a là une réflexion à faire à haut niveau".
  •  
      


    1er octobre 1996

    Auditions des prévenus

    Les scientologues n'ont rien à dire, et ils le prouvent. Large sourire devant les caméras, J-J M, ancien président de l'Eglise de Scientologie de Lyon, a l'esprit purifié. La Scientologie lui a décuplé son QI, ce qui lui permettra peut-être un jour d'aller à la rencontre de l'Etre Suprême. En attendant, il doit s'expliquer devant le tribunal. J-J M est poursuivi pour homicide involontaire, on lui reproche les manoeuvres et les pressions qui ont conduit au suicide Patrice Vic il y a 8 ans.

     Mais à la barre, J-J M préfère étaler ses théories fumeuses. Il a rejoint la Scientologie après avoir lu un livre sur la Dianétique (?) écrit par Ron Hubbard (?). C'était en 1984, il voulait en savoir plus, a passé le test de personnalité (?) puis effectué des auditions (?). Il affirme avoir été surpris par les commentaires des scientologues qui lui ont promis de l'aider à découvrir ses vies antérieures. Ces "révélations" lui ont permis de devenir "plus conscient de ses vies spirituelles". Il a travaillé encore pendant deux ans pour atteindre l'état de Clair (?)

     Après son autoportrait, il s'est montré moins éloquent au sujet de l'argent: "L'argent n'est pas mon fort, je suis un missionnaire et un homme d'église", dit-il plein d'humilité. Fort de ses certitudes, il ajoute: "C'est sûr, c'est plus cher d'être scientologue que catholique. Mais on donne aussi des conseils pastoraux gratuits. Et puis, j'avais des locaux à entretenir, des membres permanents à payer" (comme si l'Eglise de Scientologie était la seule dans ce cas là!).

     Commentaires de Maître Jean-Michel Pesenti, avocat des plaignants: "Je pense que M. M fait des réponses que nous entendrons pendant tous les débats, c'est-à-dire que les scientologues ont un système de discours parfait, ils sont rodés parfaitement, ils sont minutieusement préparés à affronter les instances judiciaires. Par conséquent, il ne faut pas s'attendre à des révélations surprenantes. Tout glisse..."

     Autres prévenus:

  • Les scientologues semblent espérer tirer bénéfice du procès
  •  "Ce que j'espère, affirme l'un d'eux, c'est que ce procès va permettre aux gens de se rendre compte de ce qui en est vraiment". Une autre adepte déclare: "Maintenant, il est vrai que quand on fait de la publicité sur un sujet qu'il soit traité en bon ou en mauvais, cela fait quand-même de la publicité et cela invite énormément de personnes qui ne connaissaient pas la Scientologie à s'y intéresser tout simplement". Les Lyonnais vont certes s'intéresser à la Scientologie, mais peut-être pas dans le sens souhaité par la secte. Le procès est attendu par beaucoup pour faire la lumière sur le fonctionnement de la secte. Preuve de l'intérêt qu'il suscite, le public s'est bousculé hier au portillon.

     


    2 octobre 1996

    Auditions des prévenus et dépositions des experts

    Le Père L-M B, 53 ans, missionnaire de la Sainte-Famille, est poursuivi pour complicité d'escroquerie. "Séduit" par l'église de scientologie, au Canada en 1981, il y restera 11 ans en y dépensant 500.000 FF : "de l'argent légué par une vieille dame, une personne extraordinaire". En 1988, il était sur le Free Winds, navire de la scientologie américaine où sont délivrés à grands frais les cours des plus hauts niveaux de la secte, il déclare n'avoir plus aucun contact avec elle depuis 1992, mais, assure-t-il, les enseignements de la scientologie n'étaient pas "incompatibles avec la religion catholique".

  • Témoignage de l'une des plaignantes Marie-Thérèse, au sujet de l'engrenage effarant de la Scientologie. Elle voulait tout d'abord satisfaire sa curiosité intellectuelle. Au programme: auditions, cure, cours. Mais aussi persécutions téléphoniques: "Tu n'es pas assez nettoyée!", lui disaient-ils; et relances à domicile: "Ils sont venus un soir. La discussion a duré de 20 heures à 2 heures. Je vis seule. Je me suis défendue comme j'ai pu. Ils sont repartis avec un chèque 124.000 FF. Un autre jour c'était 68.000 FF". Et ainsi de suite... En trois ans, elle a ainsi déboursé jusqu'à près de 1.000.000 FF. Elle en a récupéré la moitié, après négociation, mais a maintenu sa plainte. "Pourquoi ne les avez-vous pas quittés?" demande le président. "Parce que si on part, c'est le harcèlement, la foudre des scientologues. On a peur".
  • Déposition de Jean-Marie Abgrall, expert psychiatre auprès des tribunaux, qui a démonté les mécanismes de la manipulation mentale au sein de la Scientologie:
  • Dépendance, dépersonnalisation, perte de référence. "On vous apprend à satisfaire la demande de l'autre. C'est un peu comme le marketing. Chacun trouve un équilibre personnel au sein du groupe, mais en soumettant l'autre et en le dominant". Une situation de perte de référence qui peut mener à la folie: Curieusement, prévenus, plaignants et experts se rejoignent. Ils décrivent un monde qui n'a rien d'angélique, qui privilégie celui de la religion de l'argent, où l'éthique consiste avant tout à produire.

     (voir aussi Harcèlement contre un expert-psychiatre auprès des tribunaux).


    3 octobre 1996

    Déposition de la brigade financière

  • Mouvements de fonds de la Scientologie. Le tribunal s'intéresse plus particulièrement aux transferts d'argent de la secte. Un commissaire de la brigade financière du SRPJ de Lyon met en évidence des transferts de fonds importants. Il estime à
  • "Tout est bon pour faire de l'argent", déclare-t-il, s'agissant d'une église qui fonctionne comme une société commerciale. Mais pour Jean-Jacques Mazier, ce ne sont que des contributions "au titre du denier du culte" (10 à 15% des recettes de l'église) envoyées aux instances hiérarchiques.

     Les enquêteurs terminent leur déposition ainsi: "Le but de la Scientologie est de profiter à quelques uns, aux États-Unis".


    4 octobre 1996

    Audition des témoins d'ordre général

    Pendant le procès à Lyon, la Scientologie ne se cache pas. Au contraire, la séduction, ou plutôt la propagande, continue. Des scientologues affichet un sourire béat devant les caméras. Sur leur veste est épinglée un petit carton avec pour inscription: "Je suis scientologue et heureux de l'être".

     A la décharge des prévenus, ils ne se sont pas enrichis personnellement, et certains offrent l'apparence de la sincérité. Mais ce qui impressionne le plus, c'est la discipline des scientologues; et aux abords du tribunal, une volonté affichée d'éviter les incidents, même s'il arrive que le discours s'enflamme: "Les canadiens ne sont pas du tout d'accord avec ce qui se passe dans cette cour, de ce qui se passe au pays des libertés où on se permet une telle opposition", déclare une scientologue canadienne.

     Eglise ou secte ? C'est la question du jour.

     Jacques Trouslard se qualifie lui-même de curé de campagne anti-secte. Le père ne mâche pas ses mots: "La Scientologie est un sida culturel et spirituel, on en devient dépendant comme en toxicomanie." (...) "C'est une secte dangereuse provoquant la destruction de la personne, de la famille et de la société." (...) "Elle développe une manipulation mentale flagrante, transforme ses adeptes en pantins articulés.". Il dénonce cette "construction intellectuelle fabriquée de toutes pièces pour échapper à la justice, en cachant ses objectifs commerciaux derrière la façade d'une religion." (...) "La Scientologie infiltre tous les réseaux de la vie sociale, économique, politique, culturelle. Par exemple: des cours de rattrapage pour la formation scolaire (voir l'Ecole de l'Eveil). La Scientologie distribue des tracts pour dire que l'on peut être à la fois catholique et scientologue, et ça, c'est une escroquerie intellectuelle. La foi catholique est totalement incompatible avec les théories farfelues de la Scientologie" (Voir les élucubrations de Ron Hubbard (?) dans le chapitre sur La Scientologie et les religions du livre Le piège de la Liberté Totale, écrit par l'ex-scientologue Jon Atack. Ce chapitre dévoile une partie des oeuvres de "haut niveau spirituel", dites "confidentielles" selon les scientologues. Ces oeuvres, désormais secrets de polichinelle, ne sont théoriquement accessibles qu'aux adeptes initiés, et après qu'ils aient déboursé au total plus de 500.000FF).

     Max Bouderlique, délégué lyonnais du CCMM, explique que les méthodes scientologues sont de nature à altérer le discernement des adeptes. Il estime que les prévenus sont victimes d'un système totalitaire.

     

  • Déposition de témoins sociologues et théologien venus de l'étranger
  •  Tous les témoins appelés par la Scientologie se disent observateurs indépendants. Des honorables universitaires étrangers soutiennent que "la Scientologie est une religion d'un point de vue sociologique et qu'elle est victime de l'esprit d'intolérance":

    Qu'importe la provocation, aux termes de cette audience les défenseurs de la Scientologie ont atteint leur objectif. Ils ont fait défiler à la barre des personnages du monde entier. Le sens des relations publiques n'est pas la moindre des qualités de cette Eglise de Scientologie qui recrute aussi parmi les artistes et les sportifs de haut niveau (voir le Celebrity Center).

     Le Père Jacques Trouslard, qui traque les sectes depuis 15 ans, met en garde le tribunal contre les témoins de moralité de l'Eglise de Scientologie: "Toutes les sectes aujourd'hui prennent avec eux des sociologues, des historiens ou des universitaires pour obtenir qu'on ne les appellent plus des sectes, mais des nouveaux mouvements religieux. C'est beaucoup plus honorable !"

  • Déposition des parties civiles.
  •  Sans Mme Nelly Vic, le procès n'aurait pas eu lieu. En 1989, un an après le suicide de son mari, elle dépose plainte et une enquête est enfin ouverte dans les profondeurs de la secte. Pour la première fois, Mme Vic rompt le silence qu'elle a toujours voulu s'imposer: "Je suis vraiment bouleversée par tout ce que j'ai entendu. Je me rends compte à quel point mon mari a souffert dans cette secte et comment il en est arrivé là." A bout de nerfs, à bout de forces, son mari Patrice s'est jeté du 12ème étage d'un immeuble de la banlieue lyonnaise. Il fréquentait depuis 6 mois l'Eglise de Scientologie. Il n'était pas dépressif, mais tout de même vulnérable. D'après la père de Patrice: "il était un peu fragile déjà au départ. Il était un peu émotif. Côté professionnel, il n'avait qu'un emploi temporaire, pas de place fixe". Mme Vic ajoute: "Mon mari est entré dans la Scientologie par curiosité, puis il a voulu aller plus loin..." (...) "Très vite c'est devenu un harcèlement. On ne peut même pas intervenir, ils sont complètement embrigadés dedans. C'est fini une fois qu'ils sont là-dedans... Personnellement je n'attends plus grand chose, mais j'espère que cela va servir pour d'autres personnes pour qu'un drame pareil ne se reproduise plus".

  • France: fuites au sein de la Commission parlementaire d'enquête sur les sectes.
  • Le président de la Commission a reconnu qu'il y avait eu des fuites. Elle s'était pourtant entourée d'un luxe de précautions. Les auditions, d'anciens adeptes de sectes en particulier, étaient protégées par le secret du huis clos. Les dépositions étaient enfermées dans un coffre fort. Une confidentialité qui n'a pas empêché les scientologues d'avoir eu connaissance de l'identité des personnes auditionnées par la Commission. Il y a eu des fuites importantes, président et rapporteurs de la Commission d'enquête l'ont reconnu.

     Le père Jacques Trouslard a dénoncé au cours du procès l'infiltration des milieux politiques français par la secte. Déjà dans l'affaire des écoutes de l'Elysée, on a évoqué l'existence d'un mystérieux correspondant de la secte en poste à la cellule élyséenne. Des agents infiltrés difficiles à démasquer. Philippe Seguin, président de l'Assemblée Nationale a demandé que soit ouverte une enquête interne pour déterminer comment les sectes ont pu ouvrir les coffres forts des députés.

      


      6 octobre 1996

  • Emission télévisée sur France 2 Les sectes en question, animée par Michèle Cotta; avec pour invités deux parlementaires, deux ex-adeptes, un journaliste-écrivain, et deux représentants de la Scientologie.
  •   


    7 octobre 1996

    Plaidoiries de la partie civile et réquisitoire contre les prévenus

  • Plaidoiries de la partie civile.
  •  Maître Henri Llacer, avocat de Nelly Vic, a dénoncé la responsabilité de Jean-Jacques Mazier dans l'acte de suicide de Patrice Vic: il l'a encouragé à "l'utilisation de méthodes de déstabilisation amenant le sujet à l'infantilisation, la dépendance, et un véritable supplice psychologique".

     Maître Pesenti: "Ron Hubbard est quelqu'un qui a beaucoup écrit. Ses écrits nous permettent de comprendre l'escroquerie intellectuelle qu'est la Scientologie qui fonctionne comme une philosophie totalitaire, raciste, et qui charrie les discours les plus immondes qui soient". Maître Pesenti a également dévoilé une liste de questions particulièrement choquantes posées par les "ministres" de la Scientologie à leurs adeptes: "As-tu jamais été communiste, journaliste, homosexuel?", "As-tu jamais fait l'amour avec une personne de mauvaise race?".

     Pour Corinne Desmonceaux, une des plaignantes, ce procès doit être exemplaire. Elle considère les juges comme les seuls remparts contre ce fléau: "Si la justice ne peut pas les arrêter, qui va les arrêter ? Sur qui on peut compter là-dessus ?".

  • Réquisitoire contre les prévenus scientologues.
  •  Un réquisitoire est toujours un moment solennel dans un procès; et le révérend Marc Bromberg, en tenue de "ministre du culte" pour la grande occasion, tient à son image d'homme d'église: "Si je dois être en ministre, c'est bien le jour à être ministre aujourd'hui, parce que c'est le jour des plaidoiries et que je dois affirmer ma religion aujourd'hui".

     La Scientologie est-elle une secte ou une nouvelle religion? Réponse du président du tribunal: "Ce n'est pas le procès de la Scientologie". Et le procureur de la République entend ne pas tomber dans le piège du débat théologique: "Nous ne sommes pas en conclave dans une enceinte judiciaire de la République. Ce n'est pas le procès d'une croyance mais celui des responsables de la Scientologie. Je m'en tiendrai aux faits reprochés".

     L'Eglise de Scientologie est une "entreprise sectaire de dimension internationale, ayant pour finalité un but commercial, et qui, par des méthodes dangereuses, est susceptible de troubler gravement et durablement l'ordre public. C'est une véritable toile d'araignée dans de nombreux secteurs de la vie économique internationale. Ses méthodes d'endoctrinement aboutissent à l'isolement physique et géographique de l'adepte et à la perte de son sens critique". La technique de l'audition est un "instrument de domination pouvant conduire à la mort", soit par "conditionnement mystique", soit pour "échapper à un passé trop angoissant".

     Le procureur met en évidence l'aspect financier de la scientologie : "On est en présence d'une pompe à finances, toujours aspirante, jamais refoulante". Il estime que Patrice Vic avait à "choisir entre sa famille et la Scientologie" et qu'"il n'a trouvé comme seule solution que la défenestration".

     Le ton est donné, pendant plus de deux heures, le représentant du ministère public rejoint les avocats des parties civiles, qui rendent responsables les scientologues de la mort par suicide de Patrice Vic, alors adepte, et ont violemment dénoncé les pratiques mafieuses ainsi que la philosophie de la secte.

     "L'Eglise de Scientologie, par ses méthodes dangereuses, est capable d'acculer quelqu'un au suicide". Mais pour le substitut du procureur, cela ne mérite pas plus que de la prison avec sursis:

    A défaut de pouvoir appliquer de lourdes peines aux prévenus, ce procès aura au moins eu le mérite, selon les termes du procureur, d'"éclairer l'opinion publique". "Par delà les prévenus, cette affaire possède une dimension pédagogique majeure", a-t-il estimé.

      


    8 octobre 1996

    Parole à la défense

    Entre réquisitoire et plaidoirie, la bonne humeur est dans le camp des scientologues. Et Jean-Jacques Mazier, fondateur de l'Eglise se Scientologie à Lyon, arbore son éternel petit sourire malgré les 3 ans de prison avec sursis réclamés par le procureur.

     Peut-on juger l'Eglise de Scientologie devant un tribunal correctionnel ? Peut-on lancer une croisade contre les sectes, armé du code pénal, et faire monter comme un seul homme les hérétiques et les escrocs ? Non, répondent les avocats de la défense qui dénoncent la diabolisation des adeptes et plaident au nom de la liberté individuelle le droit de se fourvoyer dans le mouvement spirituel de son choix.

     Les avocats ont tenté de placer les débats sur un plan général - liberté de religion, de croyance, discrimination religieuse, etc.. - pour démarquer les prévenus qui n'auraient agi qu'en fonction de leurs convictions religieuses et non par intérêt commercial abusif.

     La défense dit n'avoir qu'un seul droit: "Oui à la condamnation morale, non à la condamnation pénale". Ils partent en croisade contre un procès qu'ils estiment de société aux ressorts politiques dans le but de faire un exemple: "Si l'on veut dans ce pays qu'il y ait une législation anti-sectes et anti-mouvements religieux", déclare Maître Patrick Maisonneuve, "il faut que les politiques prennent leur responsabilité par rapport à cela. Soit ils prennent une décision 'pour', soit une décision 'contre', mais ce sera une décision politique. Qu'on ne demande pas au judiciaire de se substituer pour régler un problème de société".

     La défense a plaidé la relaxe des vingt-trois prévenus comme étant non coupables des délits qui leur sont imputés. "L'escroquerie n'est pas prouvée, mais l'on voudrait faire de ce procès un exemple sous la pression de l'opinion", estiment-ils. "Or en matière judiciaire, rien n'est pire qu'un exemple. Une société désemparée par les sectes vient frapper à la porte d'un tribunal pour qu'on la rassure", conclue un avocat, "mais il n'est pas certain que la réponse se trouve ici" :

    La défense n'a pas manqué de rappeler au tribunal de Lyon que dans un procès identique, les scientologues ont été relaxés à Paris. C'est bien ce qui inquiète les victimes et adeptes repentis, qui attendaient que le procureur requiert de la prison ferme. Maintenant, elles craignent que les prévenus s'en tirent à bon compte: "Je suis vraiment déçue, dit Corinne Desmonceaux, une des plaignantes, les prévenus vont payer, et tout sera terminé. On ne va plus en parler. C'est plus important que ça ! Il faut que cela continue, il ne faut pas les laisser tranquilles".

     Rarement un tribunal dispose d'une marge de manoeuvre aussi réduite. Une relaxe sera forcément interprétée comme une caution, un soutien. Tandis que les scientologues reconnaissent qu'une condamnation serait une sorte de mise à mort. Plusieurs avocats ont rappelé d'ailleurs cet après-midi que ce dossier était arrivé à l'audience sur instruction du Garde des Sceaux.

     L'issue de ce procès est incertaine. La portée d'une condamnation des adeptes de Lyon sera de toutes façons limitée. On a bien compris qu'un tribunal français ne peut pas remettre en cause l'existence de cette entreprise multinationale que constitue l'Eglise de Scientologie.

     Le procès des 23 membres de l'Eglise de Scientologie est à présent terminé. Les juges vont maintenant s'accorder un nécessaire délai de réflexion. Au bout du compte, de quoi a t-on parlé durant ces longues journées d'audience ? Des faits reprochés aux prévenus, mais aussi de l'Eglise de Scientologie et de ses activités à travers le monde. C'est d'ailleurs sans doute l'un des mérites de ce procès, d'avoir contribué à mieux faire connaître cette église vraiment très étrange.

     Quelle que soit la décision des juges du tribunal correctionnel de Lyon, les éventuels candidats au baptême sont désormais avertis... Les associations espèrent au moins que le procès aura une valeur dissuasive: "S'il se trouve encore quelqu'un qui se fait piéger par la Scientologie, dit Yvette Genosy, de l'ADFI, alors là je baisse les bras, parce que tout le monde saura ce qu'elle est. Ils sont plus royalistes que le roi. Ron Hubbard a écrit lui-même: 'ce n'est ni une philosophie, ni une religion'".

      


    Décision du Tribunal correctionnel de Lyon

    22 novembre 1996

    Dans son jugement, le tribunal compare les dirigeants de l'Eglise de Scientologie à des fournisseurs de drogue. "Pour soutirer de l'argent aux adeptes", écrivent les juges, "ils leur font miroiter des paradis artificiels, et leurs manoeuvres frauduleuses conduisent les individus en détresse à un état de dépendance."

     J-J M, ancien président de l'Eglise de Scientologie et considéré par les juges comme au centre du dossier, a été déclaré coupable d'escroquerie et surtout d'avoir poussé involontairement Patrice Vic au suicide. Les juges ont donné raison à la plaignante, Mme Nelly Vic, en alourdissant le réquisitoire. Jean-Jacques Mazier est pour eux celui qui dilapide la fortune des adeptes, celui qui pratique le chantage comme moyen de pression. D'autres scientologues ont été reconnus coupable d'abus de confiance, escroquerie ou complicité d'escroquerie. Verdict :

    Voir L'intégrale du verdict disponible en ligne.

     Satisfaction de Nelly Vic: "Je suis heureuse d'avoir abouti à ce résultat au bout de 8 années de lutte et j'espère que mon combat servira à d'autres victimes des sectes et qu'elles iront jusqu'au bout". Pour son avocat, Maître Llacer, c'est "une décision capitale (...) une raison d'espérer pour tout ceux qui sont victimes de la Scientologie. Ce jugement est la preuve que l'on peut mettre à genoux une orgnisation puissante qui se croyait à l'abri des lois.

     Selon Corinne Desmonceaux, ce jugement doit désormais engendrer une décision à caractère politique: "Je pense que les pouvoirs publics sont en train de prendre conscience de l'importance de ces mouvements sectaires, et j'espère qu'il y aura des suites au niveau politique", déclare-t-elle.

     Colère du porte-parole de la Scientologie qui dénonce plus que jamais un procès en hérésie. Selon Marc Bromberg: "Il s'agit en réalité d'une attaque contre la liberté de religion, et d'ailleurs on a vu dans certains articles de presse récemment qu'il y a un mouvement qui s'amorce pour dire 'attention, pas de chasse aux sorcières!'".

     La défense, Maître Metzner en tête, dénonce un jugement de valeur: "C'est très contradictoire puisqu'on relâche les responsables de Paris et en même temps on condamne ceux de Lyon".

     Au total, c'est un jugement qui se veut audacieux, équilibré et nuancé. En prononçant des condamnations pour escroquerie et des relaxes, le tribunal fait le tri entre les dirigeants et les adeptes endoctrinés. Et il développe une argumentation juridique originale. Contrairement à une idée répandue, la justice n'est peut-être pas inopérante vis-à-vis du phénomène des sectes.

     Manoeuvres frauduleuses, publicité trompeuse, manipulations mentales, endoctrinement, annihilation, intérêt financier caractérisent cette église selon les juges. A aucun moment les juges emploient le terme de secte. "La liberté de croyance est fondamentale", écrivent-ils, "mais cette liberté a toutefois des limites".

     Sur les 23 prévenus, 13 ont fait appel du jugement. Il s'agit de ...............................Le parquet, de son côté, a fait appel contre les 13 prévenus qui ont fait appel et a ajouté deux 2 appels principaux contre deux prévenus qui n'ont pas fait appel. Il s'agit de DG et de J-PC.

      


    Compte rendu de Max Bouderlique, délégué du CCMM à Lyon

    (Source: Bulletin de liaison du CCMM. Octobre 1996)
     
    Dès le début du procès, Lyon s'est "enrichi" de quelques 200 Scientologues BCBG, croix (scientologue !) à la boutonnière, venus d'un peu partout, qui se sont répandus tant sur la place Bellecour que dans les couloirs du Palais en criant à la persécution religieuse, comme si pour eux la seule façon de démontrer qu'ils appartiennent à une "religion" était de se prétendre persécutés...

     Les jours précédents avait débuté une action de charme auprès des journalistes sous forme d'opération "portes ouvertes".

     Au cours des témoignages, la question des auditions a tenu une grande place. Les experts sont formels : l'électromètre est un détecteur d'émotions qui ne renseigne nullement sur la nature des réactions enregistrées. De même, le principe "thérapeutique" des auditions, administrées de surcroît par des "auditeurs" sans aucune formation psychologique ou psychiatrique, est dangereuse et ne se justifie que comme procédé manipulatoire. Les "cures de purification" ont été aussi évoquées et apparaissent aux yeux des experts comme dangereuses, manipulatoires et physiologiquement déstructurantes.

     J'ai personnellement insisté sur le fait que les victimes devenaient rapidement elles-mêmes manipulatrices sans en avoir accès à toutes les informations concernant les agissements immoraux, et notamment financiers du groupe.


     
    Procès de la Scientologie 
    en France 
     
    Home Page 
    Sectes = danger !