France

Quand la Scientologie embauchait les ex-flics de l'Elysée

Révélation. Le juge Fenech confirme: "On m'a alerté sur les investigations que menait contre moi Pierre-Yves Gilleron".

Par Serge Faubert
 Article de L'Evénement du Jeudi. Semaine du 26 septembre au 2 octobre 1996.

 

Poursuivis pour escroquerie, vingt-trois scientologues comparaîtront lundi devant le tribunal de Lyon. La secte a utilise tous les moyens pour entraver le cours de la justice.
 

Sur le coup, le juge Georges Fenech n'y a pas cru. Trop invraisemblable, trop démesuré. Certes, il instruisait le dossier de l'Église de Scientologie, organisation multinationale à l'histoire judiciaire chargée. Mais quand même... Pourtant, l'ami qui, en ce début d'année 1990, vient mettre en garde le magistrat n'affabule pas. L'Evénement du Jeudi est en mesure de révéler que l'Église de Scientologie a fait appel aux services d'un ancien responsable de la cellule élyséenne, le commissaire de la DST Pierre-Yves Gilleron - aujourd'hui conseiller pour les affaires de sécurité du président congolais Pascal Lissouba -, pour enquêter sur les magistrats qui - en Italie, à Marseille et à Lyon - instruisaient à cette époque des dossiers mettant en cause la secte.

 "On m'a effectivement alerté sur les investigations menées contre moi par Pierre-Yves Gilleron, confirme Georges Fenech. Je ne souhaite pas réagir aujourd'hui. Je ne voudrais pas que cela influe sur le procès qui s'ouvre la semaine prochaine à Lyon." Lundi, 23 dirigeants ou simples membres de l'Eglise de Scientologie comparaîtront devant le tribunal de grande instance de Lyon, à l'issue de cinq années d'instruction menées par le juge Fenech. Tout commence le 24 mars 1988, près de Lyon. Patrice Vic, un jeune dessinateur industriel, qui a rejoint l'Église quelques mois auparavant, se jette par la fenêtre du douzième étage sous les yeux de sa femme, Nelly. Sur sa table de nuit, les policiers retrouveront des médicaments prescrits par les scientologues. Nelly Vic porte plainte contre X pour homicide involontaire, escroquerie et exercice illégal de la médecine. Le juge prend l'affaire au sérieux. Il entend une soixantaine de témoins, procède à plusieurs perquisitions à Lyon et à Paris et inculpe au total une trentaine de scientologues, dont les principaux dirigeants, Danièle Gounord et Jean-Paul Chapellet.

 Nous sommes en 1990. La secte est dans la tourmente. A Marseille et à Paris, plusieurs plaintes ont abouti à l'inculpation d'autres scientologues. Pour redresser la situation, L'Eglise ne peut compter que sur son bureau des affaires spéciales, "OSA" (Office of Special Affairs). Véritable service de renseignements de la secte, il est chargé d'endiguer par tous les moyens l'offensive de la justice.

 Entre autres actions, OSA va s'assurer les services d'un professionnel, Pierre-Yves Gilleron. Son contact dans la secte ? Pascal Parizot, responsable du département Investigation de OSA. Le capitaine Paul Barril, avec qui Gilleron était associé à cette époque, est formel. "J'ai vu Gilleron déjeuner à plusieurs reprises avec Parizot. Ils étaient très proches. Je sais que Parizot a confié des missions d'investigation à Gilleron sur l'Italie, Marseille et Lyon."

 Plusieurs mouvements de fonds attestent cette collaboration. Pour la seule année 1989, la Scientologie, via le compte Carpa d'une de ses avocates - membre de la secte -, a versé près de 150.000 F au super-flic.

 Quelles prestations a fournies Gilleron pour cette somme ? L'intéressé ne veut pas répondre (La réponse de Pierre-Yves Gilleron: "Vous écrivez ce que vous voulez, comme vous voulez, quand vous voule2 Je n'ai aucune déclaration Faire. Je n'en ai jamais fait de ma vie, je n'en ferai jamais."). Mais il n'est pas besoin d'être grand clerc pour le deviner. Surtout lorsque le juge Fenech affirme "avoir été suivi à plusieurs reprises pendant son enquête".

Gilleron a rendu d'autres services. C'est lui qui a orienté l'Église de Scientologie vers l'avocat Jean-Yves Goeau-Brissonnière pour être son conseil dans les procédures opposant la secte à l'administration fiscale. Spécialiste des questions africaines, cet ancien collaborateur de Pierre Mendès France puis d'Alain Savary a été, à partir de 1981, chargé de mission auprès de Roland Dumas dont il est un ami personnel. Goeau-Brissonnière est également Grand Maître honoris causa de la Grande Loge de France, une des principales obédiences maçonniques françaises. Gilleron espérait-il utiliser les contacts de l'avocat ? C'est vraisemblable. On ne peut manquer de rapprocher ce rôle d'intermédiaire d'une autre affaire déjà évoquée dans l'Événement (cf. L'EdJ n° 434 du 25 février 1993). Les rapports internes d'OSA de juin et juillet 1990 établissent qu'un intermédiaire désigné sous le nom de code de F10 (pour le détail de cette affaire voir le livre Une secte au coeur de la République) est intervenu auprès de la présidence de la République afin d'obtenir la remise en liberté de trois dirigeants scientologues, alors placés en détention préventive par le juge Fenech. Libération qui sera acquise au terme d'un spectaculaire revirement du procureur François Coste, le 24 juillet 1990, devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon. Après avoir déposé des réquisitions écrites en faveur du maintien en détention conformément aux instructions de la chancellerie -, celui-ci réclamera - à titre personnel ! - la remise en liberté des scientologues, arguant qu'il n'y a rien de probant dans le dossier d'instruction !

 F10 n'a pas été formellement identifié à ce jour. Gageons cependant que Pierre-Yves Gilleron a sa petite idée sur le nom de ce bon ami des scientologues...

 La Scientologie s'en est prise à tous les acteurs de la procédure. Les policiers qui assistaient le juge Fenech seront poursuivis par la secte. Ils gagneront le procès en diffamation intenté en retour à l'Église.
 

Un mystérieux intermédiaire auprès de l'Elysée. Un témoin suicidé. Un psychiatre harcelé...

Mais c'est le Dr Jean-Marie Abgrall, l'expert psychiatre mandaté par le juge Fenech qui a eu le plus à pâtir des scientologues. Vol de courrier, d'un ordonnancier, campagne de dénigrement, procédures judiciaires multiples... Une stratégie de harcèlement qui avait pour but de le faire craquer.

 Le crime d'Abgrall ? Avoir écrit dans la conclusion de son rapport que: "La Scientologie est une secte pratiquant des techniques médicales et paramédicales essentiellement psychiatriques. Son idéologie est basée sur l'endoctrinement, la manipulation mentale et la soumission. L'argument religieux n'apparaît que comme une couverture destinée à masquer des intérêts économiques."

 Las pour la Scientologie, Abgrall a réussi a démasquer certains des scientologues chargés de le persécuter ! Leurs aveux sont accablants pour les méthodes de l'Église, comme en témoignent ces extraits du procès-verbal d'audition (en date du 25 janvier 1993) d'un des agents d'OSA, Rémy Petit:
 

Rémy Petit, 25 ans, est décédé quelques jours avant la confrontation avec Patricia Forestier. Officiellement, il s'est suicidé. Aucune expertise n'a été ordonnée.

 Evoquera-t-on à l'audience ces méthodes de basse police ? Il est à craindre que non. Déjà, l'inculpation d'exercice illégal de la médecine, retenue par Georges Fenech, a été abandonnée dans l'ordonnance de renvoi.

 L'avocat de la secte, Me Olivier Metzner (qui est aussi - le monde est petit ! - le conseil de Pierre-Yves Gilleron dans l'affaire des écoutes téléphoniques de la cellule élyséenne), peut être tenté de demander le renvoi du procès à la faveur d'une nullité de procédure. Comme à Marseille, en janvier dernier, où il défendait d'autres scientologues.

 La liquidation judiciaire de la secte en novembre de l'année dernière lui a porté un coup sérieux même si elle a refait surface quelques jours plus tard sous le nom à peine modifié d'Association spirituelle de l'Église de Scientologie, laissant derrière elle une ardoise fiscale de 48 millions de francs. Une vague de condamnations ébranlerait pour longtemps l'édifice. A l'inverse, des relaxes assorties, pour la forme, de peines symboliques permettraient à l'Église de relever la tête. A la justice d'être à la hauteur de l'enjeu...


 
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