France

Elle a réussi à infiltrer l'Intérieur, la Défense, la Culture, l'Education et même l'Élysée

Par Serge Faubert
 
 Article de L'Événement du Jeudi n° 434. Semaine du 25 février au 3 mars 1993.

 

Au terme de quatre ans d'enquête, le journaliste Serge Faubert a réussi à se procurer les rapports secrets de l'Église de Scientologie, la plus puissante des sectes existantes. Son livre Une secte au coeur de la République démonte les ressorts de cette organisation et révèle comment les scientologues ont réussi à se hisser jusqu'aux premiers cercles du pouvoir. Extraits.

 (suite de cet article dans L'Événement du Jeudi du 26 septembre au 2 octobre 1996: Quand la Scientologie embauchait les ex-flics de l'Élysée.)
 


Le manège avait fini par intriguer le buraliste du boulevard de Strasbourg à Toulon. Certes, il était déjà arrivé qu'on lui demandât des renseignements sur le Dr Jean-Marie Abgrall, qui exerçait à deux pas de là. Mais jamais aussi fréquemment qu'en cette fin du mois de septembre 1990. En l'espace d'une semaine, cinq ou six personnes, se présentant comme des clients potentiels, avaient questionné avec insistance le cafetier sur l'expert psychiatre auprès de la cour d'appel d'Aix-en-Provence: "C'est un bon praticien ? Personne ne s'est jamais plaint de lui ? Combien de clients reçoit-il chaque jour ?".

 En apprenant la chose, le Dr Abgrall tiqua. Aucun de ces supposés patients ne s'était présenté à son cabinet.

 Jean-Marie Abgrall n'était pas homme à s'alarmer. Ce bon vivant à la carrure de pilier de rugby avait trop l'habitude de décortiquer les angoisses des autres pour céder à son tour à la paranoïa. Mais cette enquête sur ses activités venait s'ajouter à une chaîne d'incidents qui commençait à devenir inquiétante.

 On avait d'abord volé une partie de son courrier pendant les vacances. Vol qu'Abgrall venait juste de découvrir. Plusieurs sociétés lui réclamaient en effet des expertises qu'elles affirmaient avoir demandées par courrier pendant l'été. Or, ces lettres, l'auxiliaire de justice ne les avait jamais reçues. Une négligence des PTT ? Non, des courriers postés à la même date que les demandes d'expertise des sociétés étaient, eux, parvenus à leur destinataire. Résultat de ce détournement, 250.000 F de contrats perdus...

 Puis il y eut les appels téléphoniques anonymes. A toute heure du jour ou de la nuit. Au bout du fil, le correspondant restait muet. Ou, à l'inverse, commentait avec un luxe de détails la vie quotidienne de la famille Abgrall: "1l faudrait tailler les haies de ta maison ", "Ton chien, c'est bien un briard ?", "Le gamin est encore rentré en retard de l'école"...

 A plusieurs reprises, encore, la voiture du psychiatre avait été prise en filature. Ostensiblement... A la même époque, le Dr Abgrall constata également la disparition d'un de ses blocs d'ordonnances.

 Bref, on cherchait à l'intimider. Qui ? Et pourquoi? "J'ai tout de suite pensé aux scientologues, raconte le praticien toulonnais. De tous les dossiers sur lesquels j'étais en train de travailler, c'était le seul qui puisse justifier pareil acharnement contre ma famille et moi." Quelques mois plus tôt, en mai 1990, le juge marseillais Carole Sayouz, qui venait d'interpeller une vingtaine de scientologues de la région à la suite de plaintes répétées, avait confié à l'expert psychiatre une mission délicate: étudier les dossiers saisis dans les locaux de l'Église, établir un rapport général sur les thérapies de la Scientologie et procéder à l'examen psychiatrique d'une quinzaine d'inculpés et de victimes. Une expertise qui jouerait un rôle déterminant dans le procès. En se prononçant sur la validité scientifique de l'audition et autres procédés de purification, elle permettrait à la justice d'établir si la Scientologie en tant que telle était ou non une escroquerie.

Oubliant toute prudence les scientologues avaient jeté le masque

Les attaques reprirent au début de l'année suivante. Plusieurs confrères d'Abgrall lui signalèrent avoir reçu des appels d'un mystérieux Comité des citoyens pour les droits de l'homme, en fait l'un des nombreux paravents de l'Église. Au bout du fil, un certain Patrick Ranchoux avait affirmé à ses interlocuteurs que le Dr Abgrall rédigeait des expertises truquées en échange de pots-de-vin. Accusation totalement fantaisiste.

 "Cette fois, j'avais un nom, explique Abgrall. Quelques vérifications rapides m'ont permis de constater que ce Patrick Ranchoux existait bien et était scientologue. J'ai aussitôt porté plainte pour diffamation avec constitution de partie civile."

 Oubliant toute prudence, les scientologues avaient jeté le masque. La raison de cette précipitation? La remise par le psychiatre en novembre 1990 d'un premier rapport de cent cinquante pages sur "Les techniques de la Scientologie, la doctrine dianétique, leurs conséquences médico-légales ". Un rapport dont la conclusion est sans appel: "La Scientologie est une secte pratiquant des techniques médicales et paramédicales essentiellement psychiatriques. Son idéologie est basée sur l'endoctrinement, la manipulation mentale et la soumission. L'argument religieux n'apparaît que comme une couverture destinée à masquer des intérêts économiques. Elle s'applique à une population psychologiquement fragile ou immature. Elle peut avoir des conséquences graves, voire dramatiques, en amenant le sujet à la folie ou à la mort. Elle n'est jamais bénigne dans ses conséquences. Elle peut avoir recours à des manoeuvres d'intimidation par rapport aux personnes extérieures qui par leur activité freinent son expansion (...)."

La manipulation est en marche. Un rapport présentant le juge Fenech comme un magistrat liberticide est transmis à François Mitterand.

L'Eglise de Scientologie s'efforce d'endiguer l'offensive de la justice

"Pascal les flics viennent de débarquer. Ils fouillent partout. Ils vont sûrement venir chez vous."

 Au bout du fil, la voix chuchote. Pascal Parizot reconnaît néanmoins son correspondant. C'est l'un des responsables du Celebrity Center, le luxueux institut culturel que l'Église de Scientologie a ouvert au 69 de la rue Legendre, à Paris. Déjà, l'interlocuteur a raccroché. Sans perdre de temps, Parizot rassemble ses affaires. Quelques dossiers et une poignée de disquettes informatiques qu'il fourre dans son cartable.

 Le temps de dévaler les trois étages qui séparent son bureau de la porte d'entrée et le fugitif se retrouve sur le trottoir. Nez à nez avec une dizaine de policiers en civil qui, sans le regarder, s'engouffrent aussitôt dans le hall du 65, rue de Dunkerque, le siège national de l'Église de Scientologie. Le responsable du CC (Celebrity Center, que les scientologues prononcent à l'anglaise: "cici") ne s'était pas trompé: le coup de filet visait les locaux de la capitale.

 Les inspecteurs ne s'en doutent pas, mais ils viennent, ce 4 juillet 1990, de laisser échapper une proie de choix. Et un redoutable adversaire. Car Pascal Parizot n'est pas un scientologue ordinaire. Il appartient à l'Office of Special Affairs (OSA, le bureau des affaires spéciales), le service de sécurité de l'Église. Un service qui, depuis deux mois, s'efforce d'endiguer l'offensive de la justice contre la Scientologie.

 Tout commence en décembre 1989 à Marseille. La famille d'un médecin phocéen porte plainte: leur fils, récemment entré dans la secte, dilapide son patrimoine au profit de ses nouveaux amis. Déjà, il a laissé pour près de 100.000F dans les caisses de l'Église. Écoutes téléphoniques, filatures, vérification du train de vie des responsables, les fonctionnaires de la brigade territoriale sud de la sûreté urbaine de Marseille, dirigée par le commissaire Pierre Petitjean, sortent le grand jeu. D'autant que les plaintes se multiplient. Cinq au total, émanant de proches des disciples, mais aussi d'anciens scientologues.

 Le mercredi 16 mai 1990, à 9 heures, c'est le coup de filet. Munis d'une commission rogatoire délivrée par le juge Carole Sayouz, les policiers investissent le siège régional de l'Église installé à Nice et ses trois antennes marseillaises. Le fichier des adhérents, un millier de noms, et des documents comptables sont saisis. Vingt-six personnes sont interpellées. A l'issue de la garde à vue, quatre d'entre elles sont inculpées d'escroquerie, d'exercice illégal de la médecine et de violences avec préméditation: Sylvie Musset (27 ans) et Marie-Ange Molina (33 ans), Isabelle Acher (26 ans), les trois responsables marseillaises, et Xavier Delamare (33 ans), le dirigeant régional. Sur le compte bancaire de ce dernier, les enquêteurs découvrent une somme de plus de 7 millions correspondant au chiffre d'affaires de l'église pour 1989.

 Aussitôt les arrestations connues, la riposte scientologue s'organise. Une avalanche de télégrammes de protestation, souvent identiques, submerge la préfecture et le palais de justice de Marseille, tandis qu'un communiqué vengeur accuse magistrats et policiers d'être "le bras armé de certains groupes crypto-psychiatriques proches de l'extrême droite américaine". Dans le même temps, cinq responsables parisiens s'envolent pour la cité phocéenne et s'installent à l'hôtel Alizé: François Bonnet, Brigitte Demaria, Patricia Forestier, Pascal Parizot et Danièle Gounord, la présidente de l'Église. Les trois premiers, membre d'OSA, sont chargés de mobiliser les troupes et d'organiser des actions de protestation. Parizot, lui, a pour mission de réunir le maximum d'informations sur le juge Carole Sayouz. Objectif: le dépôt d'une requête en suspicion légitime contre le magistrat afin qu'il soit déchargé du dossier. Quant à Danièle Gounord, elle s'est réservé le "maniement" - pour reprendre la terminologie scientologue - de la presse. Entendez la contre-offensive médiatique...)

Un jeune dessinateur industriel se jette par la fenêtre de son appartement. Ce n'est pas un suicide ordinaire.

Le 18 mai, première conférence de presse: "Nous ne cessons de dénoncer l'abus des tranquillisants et nous nous battons contre la toxicomanie. Il n'est pas impossible que nous dérangions un certain nombre de lobbies." Quant à l'accusation d'exercice illégal de la médecine: "C'est le même procès que l'on peut faire aux ostéopathes et autres exercices paramédicaux. Mais, que je sache, certains milieux médicaux qui pratiquent le paiement au noir sont mieux protégés. J'ai eu à l'évêché un correspondant qui m'a expliqué que des familles bien connues à Marseille sont parmi les adeptes et que ça dérange."

 Le ton est donné. Ce procès sera celui de l'intolérance et des méthodes "inquisitoriales" de la police et de la justice. Une stratégie de rupture dont s'est fait une spécialité le très médiatique Gilbert Collard, l'avocat qui, avec son confrère Alain Lhote, assure la défense des inculpés.

 Les manifestations de rue mettront un peu plus de temps à démarrer. Le 5 juin, Patricia et Paul Molina, la soeur et le cousin de Marie-Ange Molina, une des quatre responsables incarcérés, s'enchaînent aux grilles du palais de justice de Marseille et annoncent qu'ils entament une grève de la faim. Le 20, une dizaine de scientologues entreprennent de jouer les bourgeois de Calais devant le palais de justice. En robe blanche et les mains liées, ils demandent à être incarcérés. Un des manifestants parviendra même à s'introduire dans le bâtiment et fera le siège du bureau du juge Sayouz avant d'être expulsé par les gardes. Quatre jours plus tard, c'est devant la prison des Baumettes, où sont incarcérés les inculpés, que se manifestent les fidèles de l'Église. Lâcher de ballons, déploiement de banderoles, l'action ne passe pas inaperçue. Le lendemain, retour au palais de justice. Arborant sur la poitrine un triangle jaune, symbole de leur appartenance religieuse et de discrimination, une quinzaine de scientologues demandent à être reçus par le juge. Requête refusée.

 A Lyon, le juge Georges Fenech sursaute lorsqu'il apprend les arrestations de Nice et de Marseille. Lui aussi a dans ses tiroirs une plainte contre la Scientologie. L'affaire remonte au 24 mars 1988. Ce jour-là, sur le coup de 5 heures du matin, un jeune dessinateur industriel, Patrice Vic, se jette par la fenêtre de son appartement situé au douzième étage. Un suicide ordinaire ? Ce n'est pas l'avis de sa femme, Nelly Vic, puisqu'elle porte aussitôt plainte contre X pour homicide involontaire, escroquerie et exercice illégal de la médecine. Dépressif depuis plusieurs mois, Patrice venait en effet de rejoindre le centre de dianétique de Lyon, une des filiales de l'Église de Scientologie. Là, on lui aurait fait absorber gélule sur gélule. Comme celles que retrouveront les policiers sur la table de Patrice, en l'occurrence de l'oxadilène, un vasodilatateur classé au tableau A et délivré uniquement sur ordonnance.

 Le juge Georges Fenech décide de relancer l'enquête. Le 26 juin 1990, les policier du SRPJ de la capitale des Gaules investissent le centre de dianétique de Lyon, rue du Président Edouard Herriot. Le trésorier ainsi que la secrétaire du centre, Alain Barou et Corinne Medallin, tous deux âgés de 25 ans, sont interpellés. Des documents administratifs et comptables sont saisis, aine que plusieurs "électromètres", ces galvanomètres perfectionnés que les scientologues utilisent au cours de leur formation.

 Présentés au juge, Barou et Medallin sont inculpés d'exercice illégal de la médecine et d'escroquerie, et incarcérés. La moisson se révèle moins bonne que prévu. Très vite, Georges Fenech réalise qu'il a affaire non à une poignée d'illuminés mais à une organisation centralisée et hiérarchisée. Avec une doctrine. S'il veut établir l'escroquerie, c'est le procès de toute la secte qu'il doit faire. Non celui de quelques comparses aisément remplaçables. Pour cela, une seule solution: frapper à la tête. A Paris. Le mercredi 4 juillet 1990, deux équipes d'inspecteurs du SRPJ de Lyon, assistés de leurs collègues de la direction centrale de la police judiciaire, se présentent presque simultanément au Celebrity Center, rue Legendre, et au siège national de l'Église, rue de Dunkerque. Les perquisitions se prolongeront jusque dans la soirée. A l'issue de celles-ci, les policiers interpellent le président en titre du Celebrity Center, Yves Veau, le responsable des finances de l'Église, Jean-Paul Chapellet, et Danièle Gounord. Placés en garde à vue rue des Saussaies, ils sont transférés à Lyon et aussitôt inculpés par Georges Fenech de complicité d'exercice illégal de la médecine et de complicité d'escroquerie. Veau est remis en liberté sous contrôle judiciaire. Gounord et Chapellet prennent le chemin des prisons de Montluc et de Saint-Paul.

 La secte décapitée, le magistrat fonce. Le 6 juillet, c'est au tour du président de l'antenne lyonnaise de l'Église de Scientologie, Jean-Jacques M., 47 ans, d'être écroué sous le même chef d'inculpation. La veille, accompagné d'une quinzaine de scientologues et de son avocat, il s'était rendu au palais de justice afin de rencontrer le juge. Mauvais calcul: les policiers l'appréhendent aussitôt. Pour lui, l'addition va être lourde. Aux chefs d'inculpation précédents, le juge Georges Fenech ajoute celui d'homicide involontaire (...).

L'informateur des scientologues était un collaborateur de Jack Lang

Le 20 Juillet, 500 fidèles se réunissent à huis clos dans la salle bleue du Palais des congrès (louée 28.000 F). Objectif le lancement de "la croisade pour la liberté de religion". FLAG, le quartier général de la secte, installé à Clearwater, en Floride, a dépêché un de ses meilleurs spécialistes: Andrick Shappers, un scientologue néerlandais qui est spécialement revenu du Mexique pour l'opération. Malgré ses efforts, ils ne seront que 300, deux jours plus tard, à défiler place Bellecour, à Lyon. Moins qu'à Paris. Et ce, en dépit du renfort des Églises anglaise, suisse, autrichienne, belge et allemande. Apparemment, certains adeptes ont jugé plus prudent de ne pas afficher publiquement leurs convictions... Mais, nullement impressionné par ces démonstrations, le juge Georges Fenech demeure inflexible. Désormais, rien ne semble plus pouvoir stopper l'offensive de la justice. Rien... sauf le Bureau des affaires spéciales, OSA !

OSA occupe une place à part dans l'Église. Ce département possède ses propres structures et ne rend de comptes qu'à la direction internationale de l'Eglise. Dans chaque pays où est implantée la secte, il dispose d'une antenne: le Desk of Special Affairs (DSA). Tous sont reliés par fax et modem au quartier général, OSA International, installé au 4751 Foutain Avenue, à Los Angeles. C'est par ce canal qu'ils rendent compte de leur activité et reçoivent leurs ordres.

 Composé d'une vingtaine d'agents, pour la plupart permanents de l'église, le DSA France est divisé en cinq sections: Relations extérieures (contacts avec des non scientologues, Investigations, PR (en français Relations publiques, autrement dit les actions de propagande de la secte), Travail juridique et CCHR (Commission des citoyens pour les droits de l'homme). Deux antennes régionales, à Marseille et à Lyon, complètent la structure. La section Investigations est, incontestablement, la plus secrète, la plus puissante. Elle s'occupe en effet du travail clandestin: infiltration, renseignement et manipulation. Pour l'accomplissement de sa mission, elle peut mobiliser tout scientologue, qu'il soit ou non membre d'OSA. Son chef n'est autre que Pascal Parizot, celui qui a réussi à passer à travers les mailles du filet lors de la descente de police nue de Dunkerque. Pour l'assister, OSA International a dépêché à Paris l'un de ses agents les plus brillants, une Allemande installée aux Etats-Unis: Edith. Une vraie femme de l'ombre puisque même les scientologues français ne la connaîtront que sous ce seul prénom. C'est elle qui, chaque soir, rédige les rapports qui sont envoyés à Los Angeles. Des rapports très confidentiels puisqu'ils sont adressés à la plus haute autorité d'OSA, le chief officer. Une précaution justifiée. La plupart de ces documents détaillent point par point les opérations engagées par le DSA. Et quelles opérations ! De l'espionnage pur et simple. De haut niveau.

 Les agents du DSA ont en effet réussi à glisser dans les jambes du chef de cabinet du ministre de l'Intérieur, X.X., un "honorable correspondant". Son nom ? Alain Brunet. Sa fonction à l'époque ? Conseiller technique du ministre de la Culture. Un collaborateur apprécié et écouté, puisque le trompettiste de jazz chevronné - qui cultive avec application son étonnante ressemblance physique avec son patron, Jack Lang - a été promu en avril 1992 au rang de chef de cabinet du ministre - qui entre-temps venait de se voir adjoindre l'Éducation nationale. Là encore, Alain Brunet n'a pas démérité, puisque Jack Lang, dans la perspective d'un changement de majorité en mars 1993, l'a nommé inspecteur général de l'Éducation nationale à la mi-octobre 1992.

 Le rapport que rédige Edith, le 20 juillet 1990, rend compte de son activité en ces termes: "Alain Brunet, du ministère de la Culture, qu'Eva a vu hier, a rappelé. Il dit qu'il obtiendra du chef du cabinet du ministre de l'lntérieur des informations sur la situation d'ici lundi. Il les transmettra à Eva." Eva, c'est Eva Lefèvre, une des responsables de la section PR du DSA. L'officier traitant de la taupe.

 Brunet est-il scientologue ? A première vue, il semble que la réponse soit négative. Son nom n'apparaît sur aucune des listes de passage de grades que publie régulièrement l'Église dans ses bulletins et revues. Mais, s'agissant d'une recrue aussi précieuse, on peut supposer que les dirigeants de la secte aient préféré préserver son anonymat.

 C'est en 1987 que Brunet a fait la connaissance de X.X. A l'époque, elle était directeur de cabinet du préfet des Pyrénées-Orientales. Lui venait d'être nommé sous-préfet à Céret, un des chefs-lieux du département. Proches tous deux du Parti socialiste, ils avaient rapidement sympathisé. Leurs carrières respectives les ont ensuite séparés. En janvier 1988, en pleine cohabitation, X.X rejoint Château-Chinon, ville chère au coeur de François Mitterrand, pour y occuper les fonctions de sous-préfet. Quelqu'un, à l'Élysée, s'est souvenu qu'elle a été une collaboratrice dévouée lors de son passage au ministère de l'intérieur dans les cabinets de Gaston Defferre puis de Pierre Joxe.

 En février 1989, revenu aux affaires, ce dernier la rappelle et la nomme chef de son cabinet. Un poste où l'on voit passer beaucoup de dossiers "sensibles". Surtout lorsqu'on a, comme X.X, la confiance de son patron. A Paris, elle découvre qu'elle n'est pas la seule à être montée en grade. Alain Brunet a fait du chemin depuis Céret il est maintenant conseiller technique dans le cabinet de Jack Lang. On se téléphone, on se revoit, on parle politique et on échange des confidences. Comme tous les collaborateurs de ministre chaque fois qu'ils se rencontrent.

 Brunet a-t-il réussi à obtenir des renseignements à la faveur de ces entretiens? Pour X.X, la réponse est non. La collaboratrice de Pierre Joxe assure qu'il n'a jamais été question de l'Église de Scientologie au cours de ces contacts - qui se seraient limités, selon elle, à deux ou trois entrevues et quelques entretiens téléphoniques. Seuls les dossiers concernant la ville de Blois, la circonscription de Jack Lang, auraient été évoqués.

F10, notre agent à l'Élysée

Brunet n'est pas la seule taupe des scientologues. En parcourant les rapports d'Edith, on découvre que le DSA dispose d un autre agent au sein de l'appareil de l'État. Un agent si secret qu'il n'est désigné que par son nom de code: F10. Au terme de ses recherches, l'auteur de ce livre pense être parvenu à l'identifier. Mais il n'a pu établir formellement que F10 et l'individu auquel il songe sont une seule et même personne. Nous nous en tiendrons donc à son nom de code.

 Disons simplement que F10 évolue dans les premiers cercles du pouvoir. C'est un familier des palais de la République. Rusé et influent. Et qui a ses entrées partout... C'est lui qui est derrière le formidable coup de théâtre qui se produit le 24 juillet 1990 devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon. Les magistrats doivent ce jour-là se prononcer sur le maintien en détention de Danièle Gounord, Jean-Paul Chapellet et Jean-Jacques M.. Après avoir déposé des réquisitions écrites réclamant la poursuite de l'incarcération des inculpés, conformément aux instructions qu'il a reçues du ministère de la Justice, le procureur François Coste demande à user de sa "liberté de parole". Une procédure qui, sans être exceptionnelle, est néanmoins peu courante. Le magistrat se lance aussitôt dans un violent réquisitoire contre... le juge Georges Fenech, à la stupéfaction des avocats des parties civiles (des anciens adeptes et une association antisecte). Les défenseurs des inculpés se frottent les mains. Il n'y a rien dans le dossier, explique en substance l'avocat général, alors que les conclusions qu'il vient de déposer soutiennent exactement le contraire. Le suicide de Patrice Vic? Aucune relation avec sa fréquentation de la secte. Le prix de revient? Insuffisant pour démontrer qu'il y a eu escroquerie. Bref, il faut remettre en liberté les trois dirigeants scientologues.

 La cour va-t-elle se laisser convaincre ? Oui. Le lendemain, elle rend sa décision: les inculpés sont libres.

 Un désaveu cinglant pour le juge Georges Fenech. Lourd de conséquences. Certes, les trois scientologues restent sous le coup des inculpations prononcées par le magistrat lyonnais. Mais le message de la chambre d'accusation est clair: Fenech doit en rester là. Plus question de foncer. Et encore moins de démanteler la secte. Un enterrement de première classe. L'Eglise de Scientologie est sauvée.

 F10 a réussi son coup. Une manipulation increvable d'audace et de sang-froid. Pour contrer Fenech et le ministère de la Justice, F10 s'est en effet appuyé sur la plus haute autorité de l'État: la présidence de la République ! C'est l'Élysée qui, à l'insu du ministère de la Justice - et contre l'avis de ce dernier -, est intervenu auprès du procureur Coste pour qu'il convainque la chambre d'accusation de relâcher les scientologues incarcérés.

Une opération dont Edith retrace le déroulement dans le long rapport rédigé le 8 juillet. Le document mérite qu'on s'y attarde tant il en apprend sur le fonctionnement et l'importance du réseau mis en place par le DSA. Il débute par cette phrase "Comme je l'ai indiqué dans mes rapports d'hier, le mémoire a été transmis au président" Le président ? Il s'agit de François Mitterrand. Par l'intermédiaire de F10, les scientologues ont fait parvenir un mémoire au chef de l'Etat. Que contient-il ? Nous en ignorons la lettre. La teneur en revanche nous est connue. Point de départ de la démonstration, la personnalité du juge Fenech. Le magistrat est en effet un des responsables de l'Association professionnelle des magistrats (APM), une organisation très à droite, qui regroupe près de 15 % des juges et procureurs. Violemment opposée à la politique du gouvernement et à la personne du président de la République - qui elle reproche notamment d'avoir gracié Roger Knobelspiess et Anis Naccache -, l'APM s'est fait remarquer par ses déclarations incendiaires lors des différentes "affaires" qui ont émaillé le mandat de François Mitterrand. Attitude qui lui vaut depuis 1981 de voir la promotion de certains de ses adhérents quelque peu retardée. Et son assemblée quelque peu boudée par les différents gardes des Sceaux socialistes...

 Autant dire que, pour les scientologues, l'engagement syndical du juge Georges Fenech est pain bénit... Ils sont victimes d'un magistrat liberticide qui a décidé de construire sa carrière sur le dossier de l'Église de Scientologie, voilà tout. Il n y a pas d autre explication à son acharnement. La conclusion s'impose d'elle-même. Le pouvoir socialiste " défenseur des libertés " peut-il décemment laisser ce magistrat " réactionnaire "- en fait, il est proche de Raymond Barre - continuer son entreprise ? Bien évidemment non.

 Fenech est donc l'homme à abattre, juridiquement s'entend. Cependant, lui retirer le dossier de l'Église de Scientologie provoquerait un émoi certain, non seulement au sein de l'APM, mais encore parmi les organisations antisèches. Sans compter que, au ministère de la Justice, où on a décidé d'accompagner l'offensive des juges, on comprendrait mal pareille décision. Il faut donc procéder autrement. Par la bande. En coulisses. Pour transmettre ses instructions aux parquets, le ministère de la Justice passe par la Direction des affaires criminelles. C'est donc à ce niveau qu'il faut intervenir. L'interlocuteur élyséen de F10 va s'en charger. Il donnera à la Direction des affaires criminelles d'autres consignes. Des consignes de modération. Discrètes mais efficaces, puisque les magistrats de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon et le procureur François Coste les ont suivies à la lettre.

 La manouvre va prendre près de deux semaines pour se mettre en place. Deux semaines au cours desquelles F10 va rencontrer plusieurs membres du cabinet du président de la République. Entretiens dont la scrupuleuse Edith rend compte dans ses télex à OSA International.

 Rapport du 10 juillet 1990: "Une lettre personnelle a été reçue par le terminal. Il aura une réponse demain matin à 10 heures de l'assistant direct de M... F10 a rendez-vous avec l'assistant à 10 heures pour examiner les instructions que cette dernière aura reçues d'ici là et leur mise en oeuvre. Il est très confiant sur le déroulement de cette opération. Il vient se faire débriefer demain au déjeuner pour voir où nous en sommes."

 Le terminal, c'est F10. M... désigne François Mitterrand. L'"assistant direct" attend des instructions. Mais avant de se prononcer, le président de la République veut en savoir davantage sur cette affaire. Un complément d'information va être demandé au chargé de mission élyséen pour les questions de justice: Paule Dayan. Un conseiller en qui François Mitterrand a toute confiance: Paule Dayan est en effet la fille de Georges Dayan, qui fut certainement son plus proche ami.

 C'est avec elle que F10 va désormais traiter. La décision finale restant bien sûr du seul ressort du président. Le 20 juillet 1990, F10 touche enfin au but. "F10 est de retour et s'est entretenu avec Dayan, le conseiller privé de Mitterrand pour la justice, écrit Edith dans son rapport à OSA International. Le message est: "Ça va être O.K, le feu vert a été donné." I1 n'a pas voulu en dire plus par téléphone. Je le vois demain à 10 h 30 pour le préparer complètement. Il veut être encore préparé étant donné qu'il a rendez-vous lundi matin à l'Élysée...". Cette fois c'est gagné. F10 a convaincu Paule Dayan et le président de la République de corriger les élans de la justice. Cinq jours plus tard, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon remet en liberté Danièle Gounord, Jean-Paul Chapellet et Jean-Jacques M....

 Avant de poursuivre, ajoutons une remarque à propos de F10. Le voile qui plane sur son identité peut être aisément levé. Il suffit en effet aux services de l'Élysée de rechercher sur la main courante du poste de garde du palais présidentiel le nom du visiteur qui s'est présenté le 11 juillet 1990 à 10 heures (puisque, selon les rapports d'OSA France, c'est ce jour-là, à cette heure précise, que F10 a rencontré l'"assistant direct", de François Mitterrand), puis est revenu le lundi 23 juillet dans la matinée (date à laquelle, selon Edith, F10 devait se rendre à l'Élysée). Ils ne sont certainement pas nombreux à être dans ce cas. Si besoin, un recoupement avec l'agenda de Paule Dayan permettrait d'éliminer tout risque de confusion...
 

Il y a aussi des taupes à l'Intérieur et à la Défense 
En juin 90, la Direction de la surveillance du territoire informe discrètement Pierre Joxe des connexions entre Dialogic, une société qui vient de procéder deux mois plus tôt à un système d'audit pour le Raid (l'unité anti-terroriste de la police nationale) et l'Eglise de Scientologie. Les contacts avec Dialogic dont aussitôt coupés. Le 20 juillet de la même année, la mystérieuse Edith envoie toutefois un rapport à OSA International. "Michel Raoust (Directeur Général de Dialogic) est venu se faire débriefer. Il nous a dit que le dossier Dialogic-Raid a été volé au siège de la société quelques jours avant la parution des articles de presse. Une plainte a été déposée..." Difficile de croire après cela que certaines informations confidentielles auxquelles ont eu accès les ingénieurs de Dialogic n'ont pas fini entre les mains des scientologues. 

 L'Eglise a également infiltré pendant près de dix ans la Défense nationale. Leur cheval de Troie? Une société de sous-traitance informatique, Infi, qui a travaillé pour la fine fleur de l'industrie d'armement : Euromissile, Matra, Electronique Serge Dassault, Thomson, Sagem. Infi a ainsi participé à la réalisation de projets "sensibles" tels que le système de navigation du Super Etendard, le moteur de l'avoin de chasse Rafale, les communications d'un sous-marin nucléaire, le guidage de missiles, la protection de certains sites nucléaires ou les installations de sécurité de la Banque de France (projet Bastille). 


 
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