Les sectes et le droit pénal

Intervention Didier Thomas lors du colloque organisée à Nîmes le 24 mai 1997 par l'ARCLR
(Association régionale de criminologie Languedoc-Roussillon).

  1. Introduction
  2. Inutilité de créer une nouvelle infraction
  3. Nécessité d'améliorer la procédure


1. Introduction

Difficile à définir (cf. les différentes définitions proposées), le phénomène sectaire ne peut laisser le criminaliste et par là-même le droit pénal indifférent. Il est alors tentant d'imaginer une loi créant une nouvelle infraction. C'est là, il est vrai, une façon bien française de résoudre - ou en tout cas - donner l'impression qu'une solution est apportée à un problème dont nous ne contestons certainement pas la gravité (160 000 personnes seraient actuellement en France sous l'influence d'une secte).

 Pourtant, les réflexions sérieusement conduites en matière de politique criminelle montrent que l'inflation pénale - c'est à dire l'accumulation inconsidérée de nouveaux textes répressifs -, n'est pas forcément une garantie d'efficacité, même si elle donne bonne conscience à nos gouvernants et peut, pendant un certain temps, répondre à la demande d'une certaine opinion.

 Il paraît en effet difficile d'imaginer un délit qui réprimerait la création, l'organisation ou la gestion d'une secte en tant que telle : la diversité du phénomène, l'imprécision de la définition ne permettraient certainement pas à cette loi d'incrimination de respecter les exigences de précision et de clarté imposées par la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, de même qu'elle heurterait les libertés les plus fondamentales reconnues par nos principes constitutionnels, notamment la liberté d'opinion proclamée par les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. C'est en revanche aux dérives, différentes selon les sectes, qu'il faut s'attaquer.

 Or les recherches menées en cette matière (Rapport de la Commission d'enquête de l'Assemblée Nationale de décembre 1995, thèse soutenue en février 1996 à Paris X-Nanterre par Madame Catherine VIDAL-ENGAURRAN, sous la direction de Madame Pierrette PONCELA) montrent de manière particulièrement convaincante qu'il est inutile de créer une nouvelle infraction.

 Pourtant, si les textes en vigueur sont suffisants pour réprimer les dérives sectaires, leur mise en oeuvre demeure néanmoins délicate, en raison des difficultés liées au milieu et à l'environnement sectaire qui rendent particulièrement ardues, par exemple, la recherche des preuves. Aussi, est-il nécessaire d'améliorer l'efficacité de notre procédure afin que les textes répressifs, suffisants en soi, puissent enfin être effectivement appliqués.

  2. Inutilité de créer une nouvelle infraction

Outre les sanctions prévues par les législations civiles, sociales, fiscales, commerciales ou en droit des sociétés, les agissements sectaires sont susceptibles d'être qualifiés pénalement. De tels comportements peuvent parfois tomber sous des qualifications prévues par le code du travail lorsque, comme c'est le cas dans nombre de sectes, les adeptes travaillent au sein de la communauté au mépris de toute législation sociale. C'est néanmoins dans le code pénal que se trouve la panoplie la plus complète et la plus diversifiée de textes répressifs.

A - S'agissant ainsi des atteintes aux personnes,

on peut retenir l'incitation à la débauche et à la corruption des mineurs (227-22), voire le proxénétisme (225-5 et suivants) à propos des sectes qui telles " les enfants de Dieu ", rebaptisées " la famille " pratiquent le " flirty fishing " qui consiste à prostituer des enfants dans le but de recruter de nouveaux adeptes, en général influents socialement ou fortunés. Le viol (222-25) est constitué lorsque des rapports sexuels sont imposés par contrainte, violence, menace ou surprise, ce qui est manifestement la situation de certains adeptes dont l'état de dépendance psychique est si grave qu'il supprime en réalité tout véritable discernement. La jurisprudence a d'ailleurs admis que le viol pouvait être retenu lorsque la passivité de la victime est due à l'anxiété et à l'inhibition provoquées par la surprise (Crim. 25 oct. 1994, Droit pénal 1995, n° 63).

 Ce même état de dépendance dans lequel se trouve l'adepte, permettra certainement de retenir le harcèlement sexuel (222-33) lorsque le dirigeant a usé de son pouvoir pour obtenir des faveurs de nature sexuelle.

 Les violences sont réprimées plus ou moins sévèrement (222-7 et suivants) selon la gravité du résultat, c'est à dire de l'incapacité de travail qui en résulte. L'altération de la santé psychique de l'adepte sera prise en compte au même titre qu'une dégradation de sa santé physique. De même l'état de vulnérabilité de la victime, dès lors qu'il est connu de l'auteur, entraîne une aggravation des peines encourues. C'est là encore une faiblesse présente chez nombre d'adeptes et qui ne paraît pas être ignorée des auteurs puisque le recrutement au sein d'un certain nombre de sectes vise tout particulièrement les personnes présentant des signes de fragilité psychique.

 Les violences constituent même le crime de tortures et actes de barbarie (221-1 et suivant) lorsqu'elles présentent des caractères de grande cruauté, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération le mobile des auteurs (Crim. 3 sept. 1996 : Droit pénal 1997, somm. 4). En l'espèce, des tortures avaient été infligées à une dame afin de la désenvoûter. Ces traitements (flagellation, ingurgitation d'eau salée, étouffement...) qui ont entraîné la mort de la victime, étaient censés s'adresser au démon ! Le mobile d'inspiration religieuse laissait, par la cour de cassation, subsister l'intention criminelle.

 S'agissant de sectes qui poussent leurs adeptes au suicide (Temple solaire), on retiendra le meurtre (221-1), voire l'assassinat (221-3), lorsque l'acte homicide n'a pas été accompli par la victime, mais exécuté par un tiers. On sait en effet qu'une jurisprudence constante ne fait pas, en ce domaine, du consentement de la victime - d'ailleurs il est bien illusoire de parler ici de consentement ! - une cause d'impunité.

 Lorsque les adeptes se sont eux-mêmes donné la mort, les dirigeants de la secte peuvent difficilement être punis sur ce fondement, la complicité de suicide n'étant pas punissable en droit pénal français. On pourra néanmoins appliquer à leur encontre la provocation au suicide (225-13) dès lors que leurs propos ont incité les adeptes à mettre fin à leur jour.

 L'homicide par imprudence est constitué (221-6) dans le cas où le comportement fautif et déstabilisant des dirigeants est à l'origine du suicide, même s'il n'en est pas la cause directe (Crim. 24 janv. 1989, Bull. Crim. n° 13) ou exclusive (Crim. 21 mai 1974 : Bull. Crim. n° 187 - 15 Mars 1988, Bull. Crim. n° 130, 18 oct. 1995 : Bull. Crim. n° 314, qualification retenue par Tribunal Correctionnel de Lyon, 22 novembre 1996 à l'encontre de certains dirigeants de l'église de Scientologie).

 A l'encontre des sectes qui refusent le recours à la médecine, on retiendra le délit de non assistance à personne en danger (223-6), elles s'exposent même à des poursuites pour exercice illégal de la médecine (article L 372 et L 376, Code de la santé publique) dés lors que, se prétendant dotées de pouvoirs de guérison, elles prônent le recours à des médecines parallèles.

  B - S'agissant des atteintes aux biens,

nombre de sectes s'intéressent tout particulièrement au patrimoine de leurs victimes -, on pourra, selon les cas, retenir le vol, l'abus de confiance, l'escroquerie ou l'abus d'ignorance ou de faiblesse.

 Ces deux dernières infractions sont ici très intéressantes.

 L'escroquerie (313-1) a ainsi été reconnue à l'encontre de certains responsables de l'église de Scientologie par le tribunal correctionnel de Lyon dans son jugement du 22 novembre 1996. On sait que, s'adressant à des personnes en proie à des difficultés personnelles (perte d'emploi, faiblesse psychologique...), les responsables de cette secte les persuadent au moyen de divers artifices (utilisation d'un appareil" électromètre ", censé " localiser les zones de détresse " de l'individu !) de suivre des cours, des auditions, des stages, moyennant le versement de sommes d'argent, en faisant miroiter un " mieux être ". En cas d'échec, le client est " relancé " pour suivre d'autres stages de plus en plus onéreux. Pour le tribunal correctionnel de Lyon, ces agissements réunissent bien les éléments constitutifs de l'escroquerie : il s'agit en effet de manoeuvres, parfois accompagnées de menaces et de chantage, qui ont pour seul but la remise de fonds de plus en plus importante par des victimes dont la volonté a été atténuée.

 En l'absence de manoeuvres suffisamment caractérisées pour constituer l'escroquerie, les harcèlements qui ont conduit un mineur ou une personne particulièrement vulnérable, par exemple en raison d'une défaillance psychique, à accepter des engagements qui lui sont gravement préjudiciables peuvent être réprimés sur le fondement du nouveau délit d'abus de faiblesse (313-4). Ce texte nous paraît ici particulièrement judicieux dans la mesure où nombre de recruteurs cherchent les personnes en difficultés pour les embrigader dans leur secte. Il leur sera alors difficile d'arguer qu'ils ignoraient cet état de faiblesse alors qu'au contraire, il constitue bien souvent le critère de leur choix.

 Remarquons enfin que depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, ces infractions contre les biens, ainsi que certaines infractions contre les personnes comme l'homicide par imprudence, pourront être poursuivies non seulement contre les auteurs, personnes physiques, mais également contre les personnes morales. La plupart des sectes sont en effet constituées sous forme d'associations, elles sont donc pénalement responsables lorsque les infractions précédemment citées, ont été commises pour leur compte, par leurs représentants.

 Ces conditions seront le plus souvent remplies dans la mesure où ces agissements répréhensibles sont le fruit d'une stratégie élaborée au plus haut niveau afin d'enrichir la secte.

 Panoplie suffisante qui rend difficile, voire dangereuse, la création d'une infraction pour réprimer, comme on l'a parfois proposé, le viol psychique, c'est à dire la manipulation mentale (JP Morin, " Le viol psychique, un projet de définition juridique ", Revue Internationale de Criminologie et de Police Technique, Volume XXXI, 1987, n° 3).

 Pourrait - et devrait - néanmoins être améliorée la procédure applicable en ce domaine afin d'accroître l'efficacité du système répressif.

  3. Nécessité d'améliorer la procédure

Il est nécessaire d'améliorer la procédure afin de faciliter le déclenchement des poursuites et la production de preuves.

  A - Faciliter le déclenchement des poursuites

Il est bien entendu utile de sensibiliser les parquets aux problèmes posés par les sectes afin qu'ils poursuivent les infractions portées à leur connaissance. Ainsi entre 1990 et 1995, sur 27 plaintes déposées, 16 ont été classées sans suite et 7 ont débouché sur un non-lieu.
 
  • Il faudrait, en premier lieu, permettre aux associations de défense des victimes des sectes de se constituer partie civile. Les associations pourraient ainsi aider les victimes fragiles et déstabilisées qui n'osent pas elles-mêmes se constituer partie civile, notamment par crainte de représailles ; elles apporteraient également, grâce au témoignage de leurs adhérents, souvent anciens adeptes, des preuves fort utiles pour entraîner la conviction des juges sur les dangers de certaines sectes. Il suffirait pour cela d'ajouter un article à la longue liste des associations déjà investies d'un tel pouvoir aux articles 2-1 et suivants du Code de Procédure Pénale. A l'instar de la réforme opérée en matière de viol par la loi du 23 décembre 1980 - qui a créé l'article 2-2 du Code de Procédure Pénale - ce nouvel article 2-17 devrait permettre aux associations concernées de déclencher le procès pénal après avoir reçu l'accord de la victime.

  •  
  • S'agissant d'infractions aux lois sur la presse, en particulier des délits de diffamation, qui se prescrivent par un court délai de trois mois, il est nécessaire de reculer le point de départ de la prescription On a en effet observé que certaines sectes après avoir effectué le dépôt légal, - à l'issue duquel court actuellement le délai de prescription, attendent plusieurs mois pour distribuer alors en toute impunité brochures et journaux diffamatoires. Pour permettre d'utiles poursuites, il suffirait de reporter le point de départ du délai de la prescription au jour où a eu lieu la distribution effective auprès du public. Une telle réforme n'est d'ailleurs pas sans rappeler la jurisprudence qui, pour certaines infractions comme l'abus de biens sociaux, retarde le point de départ de la prescription au jour où l'infraction a pu être découverte.
  •   B - Protéger les experts

    Les travaux menés en notre matière, notamment le rapport de l'Assemblée Nationale, montrent que les experts auprès des tribunaux, en particulier les experts psychiatres, dont le rôle est essentiel dans ces affaires de manipulation mentale, subissent des pressions et sont insuffisamment protégés par les textes répressifs. Aussi a-t-on, à juste raison, me semble-t-il, proposer de leur faire bénéficier des dispositions qui protègent spécialement les magistrats contre les outrages (434-24) ou les magistrats, témoins, avocats, victimes... contre les destructions de biens (322-3) ou qui aggravent les violences commises à leur encontre (222-8, 222-10, 222-12).

     Semblables propositions rendraient certainement plus efficace notre arsenal répressif. Mais ne nous y trompons pas, la lutte contre le phénomène sectaire dépasse largement la stricte technique juridique. Il faut s'attaquer aux causes du phénomène par la formation et l'information.

     Paul Bouchet a merveilleusement montré l'ampleur du phénomène... et les limites de la loi (" Appliquer la loi ", Le Monde des débats, février 1994):

     


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