72 morts à Waco

De la recherche de la vérité au nihilisme auto-destructeur

(source : BULLES du 2ème trimestre 1991).

 

Qu'un jeune Américain se prenne pour Jésus-Christ, qu'en même temps il se livre à la débauche, qu'il asservisse ses disciples et se retranche avec eux dans une ferme muée en forteresse qu'il préférera faire exploser plutôt que de se rendre, voilà qui dépasse l'imagination et la raison.

 Les événements de ce printemps 1993 à Waco (Texas) sont de ceux qui forcent à réfléchir et à s interroger.

 Voici successivement les origines de la secte des Davidiens, la vie quotidienne dans le ranch fortifié de Waco, les assauts des 28 février et 19 avril enfin, les questions et controverses suscitées par ce drame horrible : qui sont les vrais responsables, qu'aurait dû faire - ou ne pas faire - le gouvernement américain pour éviter la catastrophe, pourquoi les autorités n'ont-elles pas tenu compte des avertissements qu'elles avaient reçus ?

 Peut-on, doit-on tirer quelque enseignement de tant d'aberrations et d'horreur ? Nous nous garderons de juger. Tous les protagonistes, au demeurant, de David Koresh à Bill Clinton, sont, si l'on peut dire, de bonne foi.

 On ne peut que se demander comment la recherche de la vérité peut mener d'abord à des divagations apparemment innocentes et comment celles-ci peuvent finalement aboutir au nihilisme le plus absolu et au fanatisme auto-destructeur.
 


Qui étaient les Davidiens de Waco ?

L'histoire des Davidiens de Waco remonte à 1929 quand Victor Houteff, un Adventiste d'origine bulgare est expulsé de l'église adventiste. Il était obsédé par des passages du livre d'Ezechiel, en particulier le chapitre 9 (avant la chute de Jérusalem menacée par les Babyloniens, les justes, qui seront sauvés, sont séparés des pécheurs). Pour Houteff, les pécheurs étaient les Adventistes.

 La fondation du groupe des Davidiens à Waco, dans la prairie texane, remonte à 1935.

 Houteff meurt vingt ans plus tard, en 1955. Sa femme, qui lui succède, prédit le début des " derniers jours de la création " pour le 22 avril 1959. Rien ne s'étant produit, elle dissout le groupe. Un " petit reste " demeure près de Waco avec Benjamin Roden qui prétendait être le successeur du roi David. Vernon Howell qui deviendrait plus tard David Koresh naît en 1959 d'une mère célibataire. Peu intéressé par les études, il quitte l'école à quinze ans. Il préférait la guitare (rock, heavy metal) et la Bible dont il savait par coeur de longs passages. A l'origine, Adventiste du Septième Jour, il avait été séduit dès sa jeunesse par la " branche des Davidiens ", dissidence d'une dissidence des Adventistes.

 En 1984, Vernon Howell, exclu de l'église adventiste, se joint au groupe des Davidiens. Il entre vite en conflit avec Benjamin Roden qui est finalement chassé sous la menace. Il emmène quelques fidèles. Les deux communautés vivent quelque temps non loin l'une de l'autre.

 Roden tente de ressusciter une disciple dont il déterre le cadavre. Échec, et finalement confrontation armée. Howell et ses adeptes sont inculpés de tentatives de meurtres ; les adeptes sont acquittés. Howell bénéficie d'un non-lieu, les jurés n'ayant pu se départager. Quant à Roden, il est actuellement dans un hôpital psychiatrique.

 L'instruction avait au moins révélé que la secte de Howell était bien armée. Devenu le chef unique et incontesté du groupe, Howell et quelques disciples recrutent de nouveaux membres au cours de voyages aux États-Unis, en Angleterre, Australie, Amérique du Sud, et même aux Antilles françaises, où il s'en trouve encore à l'heure actuelle, selon des informations récentes.

 En 1990, Howell obtient de changer son nom officiellement pour celui de David Koresh (c'est assez facile aux États-Unis). Koresh est la forme hébraïque de Cyrus, le roi de Perse qui conquit la Mésopotamie et permit aux Juifs exilés à Babylone de rentrer dans leur pays.

  

Chronique d'une catastrophe annoncée

A Waco, Koresh concocte une théologie où se combinent des éléments de l'Apocalypse et d'autres, plus profanes, qui se retrouvent dans divers groupes aux États-Unis : la catastrophe (nucléaire par exemple, ou une révolution violente) est proche, il faut se préparer à survivre. Pour cela, on se retranche avec des stocks de nourriture et d'armes. On construit des bunkers.

 Le site de Waco, composé de plusieurs bâtisses vétustes, disséminées sur 32 ha de bois et de prairie, est transformé en un complexe compact, construit avec des moyens de fortune, équipé d'un bunker (un vieux car enterré), et d'un arsenal attenant à la chapelle. Koresh préparait ses adeptes, mentalement et physiquement (entraînement paramilitaire, discipline, jeûnes) à la bataille finale contre les incroyants. Il était question de rebaptiser l'ensemble " Ranch de l'Apocalypse ".

 La police fédérale avait détecté plusieurs transports d'armes : 36.000 kg de munitions, et de quoi assembler des centaines d'armes automatiques et semi-automatiques. Quelque temps avant l'assaut, un colis adressé au ranch s'était ouvert en route. Contenu : des grenades à main.

 La vie quotidienne était un mélange de sermons bibliques apocalyptiques et de dur labeur ; l'exaltation était maintenue par la projection des films favoris de Koresh (sur la guerre du Vietnam) : Platoon, Full Metal Jacket, Hamburger Hill.

 Les femmes vaquaient aux travaux ménagers et s'occupaient des enfants. Elles sortaient rarement. Pas de télé, pas d'anniversaires.

 L'argent : certains membres travaillaient à l'extérieur et donnaient leur salaire. Les membres âgés donnaient leurs retraites et leurs bons d'alimentation.

 C'est le processus classique, explique un ex-adepte australien, James Thom : on donne peu à peu tout ce qui faisait votre vie. Un jour, Koresh lui demande : " Jusqu'où es-tu prêt à aller ? ". Devant la perplexité de Thom, Koresh précise : " Lequel de tes deux enfants es-tu prêt à sacrifier ? ".

 Ce messie auto-proclamé ne s'appliquait pas à lui-même les règles d'austérité qu'il imposait aux autres; pour lui, bière, viande, air conditionné, télé. les autres hommes étaient séparés des femmes (y compris les leurs), mais toutes les femmes, et les jeunes filles, appartenaient à Koresh. Il en était arrivé à prêcher que lui seul avait le droit de procréer. Il avait un goût prononcé pour les filles très jeunes. Il avait finalement trouvé une théorie bien pratique : il devait être un " Jésus pécheur " afin de pouvoir être un juge expérimenté quand il aurait à juger les pécheurs lors du Jugement dernier...

 Il y avait bien eu quelques enquêtes sur les mouvais traitements à enfants, mais elles s'étaient enlisées faute de preuves tangibles suffisantes.

  

Les autorités décident d'en finir

Le 28 février, premiers morts et premiers blessés

Soudain, le dimanche 28 février dernier, des agents du BATF (bureau des alcools, tabacs et armes à feu, dépendant du ministère des finances) se présentent, munis de mandats de perquisition, à la porte principale du complexe.

 Il sont accueillis par des salves nourries d'armes automatiques. Au bout d'une heure de fusillade, quatre agents du BATF sont morts et seize sont blessés. A l'intérieur, il y a des morts et des blessés dont, peut-être, Koresh lui-même.

 C'est une guerre des nerfs qui commence. Koresh laisse partir, par petits paquets, vingt et un enfants (mais aucun des siens) et onze adultes, les hommes étant aussitôt mis en détention. Le siège va durer cinquante et un jours.

 Le 12 mars, l'électricité est coupée, mais les Davidiens ont de grosses réserves de kérosène et de fuel.

 Les négociateurs - le FBI supervisé par le ministre de la justice, Janet Reno - vont tout essayer pour déloger les assiégés : réveil en fanfare tous les matins, chants divers à pleine puissance, y compris tibétains (!), projecteurs braqués la nuit sur le ranch, hélicoptère le survolant et, surtout, d'innombrables discussions téléphoniques.

 A plusieurs reprises, Koresh annonce qu'il va se rendre : d'abord en échange de la diffusion d'une de ses harangues -58 minutes - par des radios chrétiennes dans tout le pays : c'est fait, mais sans succès. On lui propose alors de participer en personne à l'émission " America talks " sur CBN (Christian Broadcasting Network). Toujours non. Un des adultes relâchés par Koresh téléphone, de sa prison, à Today Show que Koresh voulait participer à une émission de télévision avec d'autres chefs religieux, par exemple " le Pape, Billy Graham, Pat Robertson ", pour un concours d'interprétation biblique. On ne donne pas suite.

 Plus tard, Koresh fait savoir qu'il veut terminer son explication définitive du passage de l'Apocalypse de saint Jean sur les Sept Sceaux... Finalement, Janet Reno, avec l'accord du Président Clinton, ordonne qu'on en finisse.
 

Le 19 avril, après cinquante et un jours...

Au petit matin du lundi 19 avril, les haut-parleurs du FBI avertissent les assiégés : on ne leur fera aucun mal mais qu'ils sortent tranquillement. Aucune réaction. Alors, des tanks munis de béliers (longues barres de fer) enfoncent les murs, et par plusieurs trous, on envoie du gaz lacrymogène (non dangereux) à l'intérieur. Réponse: fusillade. " Ne tirez pas ", crient les haut-parleurs, " nous n'entrerons pas ". Les assaillants ne répondent pas aux salves d'artillerie, mais continuent à envoyer du gaz lacrymogène à l'intérieur. Ils savaient que les Davidiens avaient des masques à gaz.

 Juste après midi, brusque silence. On aperçoit un drap blanc à la porte. Espoir vite envolé. Des flammes et des nuages de fumée s'élèvent, puis c'est un énorme champignon orange : ce sont les munitions qui explosent. Un vent assez fort attise le feu. Les bâtiments, les meubles sont en bois, les toits en papier goudronné.

 Les pompiers ont mis près d'une demi-heure à arriver - mais, de toute façon, ils n'auraient pu approcher, en raison des explosions. Neuf personnes ont pu s'échapper, certaines avec des brûlures. Aucun enfant n'a survécu.

  

De l'horreur à l'interrogation

Questions et controverses

Tout ce drame, depuis le début, s'est passé devant la presse et les téléobjectifs des caméras de télévision, maintenues à près de 2 km de distance. CNN en a aussitôt transmis les images dans le monde entier.

 Mais les braises n'étaient pas encore éteintes que les discussions commençaient. Qui avait mis le feu ? Les adeptes de Koresh qui réalisait ainsi ses propres prophéties ? Les tanks du FBI ? Une lampe à kérosène s'était-elle renversée accidentellement ? On n'aura sans doute jamais de certitude absolue. On a estimé d'abord le nombre des victimes à 80 - dont 17 enfants. Puis, le nombre a été ramené à 72, plus probable.

 Quand on a pu identifier les cadavres - ce n'est pas facile, et long - on s'est aperçu que plusieurs, dont Koresh, avaient été tués par balles.

 93 % des Américains (selon un sondage de CNN/USA Today publié le 21 avril et rapporté par l'AFP) estiment que le responsable du drame est David Koresh lui-même ; 73 % approuvent l'usage du gaz lacrymogène ; 57 % pensent que le FBI aurait dû agir plus tôt.

 Mais dans le monde politique et la presse, on a aussitôt reproché au ministre de la Justice, Janet Reno, de s'y être mal prise. Boule versée, Mme Reno a admis que ce devait être une mauvaise décision, étant donné le résultat. Elle n'a pourtant pas été prise à la légère. Depuis des semaines, les " experts " cherchaient en vain le moyen d'en finir sans effusion de sang. Mme Reno a indiqué qu'on a pensé avant tout aux enfants. Ni elle, ni ses conseillers ne pouvaient croire que des mères sacrifieraient ainsi leurs enfants, et qu'au dernier moment, elles ne se sauveraient pas avec eux si elles en avaient le moyen, dans la confusion qui suivrait l'envoi du gaz, Sentiment normal et humain, mais c'était compter sans la paranoïa causée par un endoctrinement forcené, en vase clos depuis longtemps, et plus encore depuis le début du siège. Koresh avait persuadé tous ses adeptes que c'était l'assaut final des forces du mal contre eux, les élus, " L'Harmaguédon " annoncé par la Bible, et à quoi se réfèrent nombre de sectes. Il pensait même sortir vainqueur, les assaillants étant dévorés par les flammes. En tout cas, le sacrifice des élus les ferait entrer tout droit au Paradis.

 Les chefs du FBI, ont eu recours aux services d'une équipe de psychologues spécialisés dans les prises d'otages. Mais ce n'était pas du tout la même situation (sauf sans doute, objectivement, pour les enfants). Le preneur d'otages exige quelque chose et espère l'obtenir, en menaçant la vie de ceux qu'il détient, contre leur gré bien sûr : il veut de l'argent, un avion, un sauf-conduit, la libération de condamnés, etc. On peut discuter, l'amener à envisager l'avenir s'il obtient satisfaction. Mais les adeptes ne sont pas des otages ; ils sont consentants, volontaires, totalement identifiés à leur chef. Ils sont prêts à mourir avec lui et pour lui. On ne peut rien offrir, rien promettre à celui qui se prend pour le Messie - sauf la conversion du monde, ou au moins d'un pays, à ses idées, ce qui est exclu.

 Seule, la surprise aurait pu faire sortir du ranch les membres de la secte. C'est ce qu'on a essayé, le 28 février, assez maladroitement, semble-t-il. Ensuite, on pouvait simplement laisser pourrir la situation, pendant des mois, avec les risques pour les enfants, et celui d'un suicide collectif. L'idée de créer la confusion par l'envoi de gaz s'est révélée malheureuse - elle n'était pas absurde.

 Il est facile de faire des reproches aux responsables ; mais qui a une solution à proposer à ce genre de situation ? Ceux qui ont étudié sérieusement les " sectes " et leurs chefs sont les derniers à prétendre en avoir. Ils ne pouvaient que dire: danger de mort. Tout ce qu'on peut conclure, au milieu de la consternation, de l'immense compassion pour les victimes et leurs familles, c'est qu'il ne faudrait pas laisser les choses aller jusqu'à ce point de non-retour. Mais là encore, des voix s'élèvent : de quel droit intervenir quand des gens ont choisi un mode de vie, des croyances ? N'en sont-ils pas libres ? C'est ce que soutient déjà l'American Civil Liberties Union, respectable association qui défend en toute circonstance le droit à la libre expression (y compris les nazis défilant à Skokie, ou M. Moon, condamné pour fraude fiscale, ou d'autres). On ne peut que l'approuver en général - mais on voit aussi que les meilleurs principes, poussés ad absurdum, aboutissent à la négation même de ces principes de liberté.

 Juridiquement, que pouvait-on reprocher à Koresh ? Polygamie ? Mauvais traitements à enfants ? Il y avait des témoignages, mais on pouvait les discuter. L'accumulation d'armes ? Ici intervient le puissant lobby des armes à feu (Firearms Association), qui milite pour la liberté absolue d'acheter et de détenir des armes à feu ; elle est puissante au Congrès, riche et persuasive. En fait, toutes les armes détenues au Ranch n'étaient pas légales et c'est d'ailleurs cela qui a motivé la première intervention.

 Il y a certainement de longues (et macabres) procédures en perspective. Les adeptes qui ont survécu sont en prison, et seront jugés - pour quoi ? Détention d'armes illégales, complicité ? Complices, mais d'abord victimes. Et il se pourrait bien que leurs avocats réclament des dommages et intérêts, y compris pour la mort de leurs proches.

 La suite, c'est aussi la curée médiatique : des livres, des films sont en projet, on se bat pour les droits...


Sources : International Herald Tribune du 1er mars au 1er mai 1993 - articles et éditoriaux du New York Times et du Washington Post - Time Magazine mars-avril-mai 1993.

  

On n'avait pas voulu y croire

Les avertissements n'avaient pourtant pas manqué. Le journal The Philadelphia Inquirer (22.03.93) rapporte qu'un Australien, Geoffrey Hossack (ancien membre de la police antidrogue en Australie) avait enquêté sur la secte de Waco, à la demande de familles australiennes ayant quitté Koresh et inquiètes pour leurs proches restés avec lui. (Koresh avait conduit des campagnes de recrutement à Melbourne en 1986, 1988 et 199Ô. Quatre au moins des victimes sont australiennes). Hossack avait déposé un rapport écrit au Consulat U.S. de Melbourne, le 3 janvier 1992. Il mentionnait, parmi les menaces potentielles posées par cette secte : Le responsable de l'information au consulat US, de Melbourne a confirmé, le 15 mars 93, qu'il avait reçu " quantité d'informations au sujet de Koresh " et de ses activités et qu'il les avait transmises au Département d'État, qui à son tour, les avait communiquées au FBI, à l'ATF (Bureau des Alcools, Tabacs et Armes à feu) et aux services de l'Immigration.

 Un certains nombre d'Australiens ayant laissé des enfants et des petits-enfants avec Koresh étaient fort inquiets. Ceux qui avaient quitté la secte avaient été menacés par Koresh qui leur avait dit qu'ils étaient sur sa liste " de gens à abattre ". Tous ont témoigné des bizarreries grandissantes du chef : son tempérament autoritaire, ses agressions et tentatives d'agression, la privation de sommeil, le contrôle de ce qu'ils mangeaient et faisaient. Il prenait plaisir à les humilier en public. Ceux qui s'écartaient de ses commandements étaient condamnés, selon lui, à la damnation éternelle.

 Les enfants devaient se comporter en adultes. Des bébés de 8 mois étaient, selon lui, capables de distinguer le bien du mal. Michelle et James Thom ont assisté sans protester à une séance de quarante minutes pendant laquelle Koresh battait leur fille Tarah, âgée de neuf mois, à l'aide d'une latte, parce qu'elle ne voulait pas rester assise sur ses genoux devant le groupe.

 C'est en 1990 que Koresh a commencé à se prétendre Jésus-Christ. Il urinait devant les membres de la classe biblique. Tous confirment les appétits sexuels de Koresh et son goût pour les filles très jeunes, enceintes de ses oeuvres.

 Hossack est allé à Waco pour présenter sa documentation à une réunion au Département de la Sécurité Publique du Texas. Étaient présents aussi un procureur fédéral, le procureur du district et un représentant du bureau du shérif local.

 Chacun a dit que l'affaire ne relevait pas de sa responsabilité. Tout au plus, le procureur fédéral a accepté de faire enquêter sur de possibles mariages blancs et l'usage d'armes par des étrangers.

 Hossack a également rencontré un fonctionnaire des Impôts et lui a signalé comment Koresh s'enrichissait sur le dos de ses disciples - mais il n'en a jamais plus entendu parler.

 Ceci montre bien comment, malgré de nombreux avertissements, les responsables ont tendance à se " repasser le bébé ", comment les chefs de sectes sont souvent plus malins qu'eux (les adeptes, interrogés, ont été préparés à dire ce qu'il faut, même les enfants). Tant qu'il s'agit de faits en apparence bénins, cela peut se comprendre - mieux vaut ne pas faire de vagues - mais il arrive que, comme dans ce cas, tout le monde sache très bien que les risques sont grands ; mais personne ne veut prendre de responsabilité, de peur d'être accusé d'intolérance et de mépris des droits de l'homme. Il faut avouer que c'est difficile - on n'apprend pas cela à la Faculté de Droit ni à l'école de police. Et pourtant cela arrive.

  

Les enfants survivants de Waco racontent...

Pendant deux mois, les pédopsychiatres ont écouté dix neuf des vingt et un enfants survivants de la secte des Davidiens. Ils avaient été relâchés peu après le premier assaut, le 28 février. Ces enfants ont entre quatre et onze ans. Les deux autres, sept mois et six ans, sont trop jeunes pour s'exprimer. (leurs mères, restées au ranch sont mortes avec les outres. Certaines avaient épinglé sur les vêtements de leurs enfants, avant leur libération, des notes indiquant leurs plats préférés).

 Le Dr Perry, qui dirigeait l'équipe des psychiatres et psychologues, a rédigé un rapport destiné aux familles des enfants et aux thérapeutes qui pourront être appelés à s'occuper d'eux.

 Le monde décrit par les enfants - qui n'en connaissaient pas d'autre - apparaît comme une " communauté paramilitaire dévoyée ", dons laquelle " se mêlent le sexe, la violence, la peur, l'amour et la religion ".

 Les enfants lui ont dit que Koresh avait " des femmes " très jeunes - onze ans - et que, lors des leçons bibliques, il discutait ouvertement de sexe même avec les filles les plus jeunes.

 Les enfants ne voulaient pas dévoiler les secrets de la secte. Mais peu à peu, ils se sont mis à parler de plus en plus librement. Il était tout à fait clair que pour eux, " être la femme " de Koresh incluait les relations sexuelles avec lui.

 Koresh possédait tout un assortiment d'équipement électronique et des armes puissantes, mois le ranch n'avait ni eau courante, ni tout à l'égout. Les enfants faisaient leurs besoins dans un pot et le vidaient une fois par jour. Après leur libération, ils étaient fascinés par les toilettes, et auraient actionné les chasses d'eau toute la journée, surtout les plus jeunes.

 Les punitions étaient courantes même pour des peccadilles, comme de renverser du lait. Les enfants étaient battus avec une latte de bois appelée " assistant " (helper). Pour les entraîner à la bataille finale, ils devaient se battre entre eux, et s'ils n'y allaient pas assez fort, ils recevaient des coups de latte.

 Koresh leur disait d'appeler leurs parents " les chiens " - lui seul était appelé " père ".

 En plus des coups, ils étaient punis par la privation de nourriture, parfois une journée entière. Après avoir quitté le ranch, ils ont eu du mal à s'adapter à une forme non-physique de discipline.

 Les enfants savaient lire à peu près comme ceux de leur âge, mais il n'y avait pas d'enseignement organisé en dehors des cours de Bible.

 Les filles se levaient à l'heure qu'elles voulaient mais les garçons étaient forcés de se lever à 5 h 30 pour la " gym " : marche et exercice militaires (peut-être avec des fusils) et autres exercices guerriers.

 Mais pour les enfants, ce monde était normal. Même en décrivant les punitions, ils parlaient de leur amour pour Koresh. Pendant les séances de thérapie, plusieurs ont dessiné des coeurs avec en-dessous : " J'aime David ".

 Le Dr Perry pense toutefois que leur véritable sentiment était la peur. Dans leur langage, " amour " remplaçait " peur " (1).

 Le 11 mars, lorsque le Dr Perry a rédigé cette description de leur univers par les enfants, il concluait qu'il y aurait pour leurs familles " une fin absolument explosive ". C'est ce qui s'est réalisé, à la lettre, le 19 avril.

 D'après Sara Rimer et Sam Howe,
The International Herald Tribune (New York Times Service) 05.05.93

 

(1) : Cette confusion entre " peur " et " amour " a été notée chez des enfants retirés à une autre secte américaine où les enfants étaient systématiquement battus, même tout petits, pour " faire sortir d'eux le démon ", Ils demandaient à leurs éducateurs ou parents nourriciers : " Tu ne m'aimes donc pas, puisque tu ne me bats pas... ". Les sectes " fondamentalistes ", qui prennent la Bible au pied de la lettre (du moins telle qu'ils la comprennent) se basent sur la citation : " Qui aime bien châtie bien " - confondant " bien " et " beaucoup ").

  


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