De Poona en Oregon et retour

Les pérégrinations aventureuses du Bhagwan Shree Rajneesh

(source : BULLES du 1er trimestre 1986)


Si les derniers déboires (en date) de ce Bhagwan (= « dieu », selon les uns, « maître illuminé », selon les autres) ont été mentionnés l'automne dernier dans la presse française, l'intérêt suscité ici n'est rien en comparaison de ce qu'il est aux États-Unis, en Australie et même en Allemagne - à en juger par l'épaisseur des différents dossiers de presse sur le sujet. C'est qu'il y a eu, selon les « Rajneeshistes » eux-mêmes, tout au plus trois cents « néo-sannyasins » en France, et ces gens vêtus de toutes les nuances de rouge, portant au cou la « mala » (collier de perles de bois avec en médaillon la photo du Maître) n'ont guère fait parler d'eux.

Le 28 Octobre 1985, M. Rajneesh Chandra Mohan (comme l'identifie son passeport), était arrêté lors de son arrivée à l'aéroport de Charlotte (Caroline du Nord) avec neuf de ses disciples. Il venait de son domaine de l'Oregon, « Rancho Rajneesh », où il avait décollé de son terrain privé. Il voulait quitter les États-Unis pour une île des Caraïbes ; mais la justice de l'Oregon l'avait devancé et demandé à la Caroline du Nord qu'il soit renvoyé dans son État d'origine, étant sous le coup de trente-cinq chefs d'inculpation.

A Portland, le Bhagwan a accepté de plaider coupable sur deux de ces chefs, comme le lui permettaient les us américains : avoir arrangé des mariages « bidon » pour quatre-cent-douze au moins de ses adeptes, afin de permettre aux étrangers, devenus conjoints d'Américains, d'obtenir des permis de séjour - et aussi, n'ayant pas utilisé le même truc pour lui-même, d'avoir fait de fausses déclarations au Consulat américain de Bombay, en 1981, quand il s'était fait délivrer un visa de quatre mois sous prétexte de se faire soigner aux États-Unis. Sa santé semble s'être rétablie miraculeusement dès son arrivée, l'opération soi-disant nécessaire ne l'était plus. Quatre ans plus tard, le Bhagwan était toujours là, et un peu là. Il a été condamné à une amende de 400.000 $ et a été expulsé des États-Unis. Il est reparti pour l'Inde - « du Nord », dit-on - mais on n'a plus entendu parler de lui depuis lors. On ne sait rien non plus de ses 300.000 (?) adeptes de par le monde.

Qui est ce Rajneesh ? Né le 11 décembre 1931 au Madhya Pradesh (Inde centrale), il « reçoit l'illumination » à l'âge de 21 ans. Il termine cependant ses études de philosophie et enseigne quelques années dans deux petites Universités. A partir de 1966, il parcourt l'Inde, fait des adeptes dont un petit groupe va bientôt le « manager » - d'abord à Bombay, où les premiers Occidentaux sont initiés par lui en 1970 - puis à Poona, à 150 km de Bombay (21/3/74 - 1/6/81). Une odeur de scandale flotte autour de son départ de Bombay ; le bon air de Poona ne la dissipe pas, au contraire ; et quand il fuira l'Inde, avec dans son avion, outre son état-major de gestionnaires, sa Rolls, il laissera derrière lui une belle ardoise (surtout au fisc, qui réclame de gros arriérés à sa Fondation, car bien sûr rien n'est à son nom), mais peu de regrets.

Aux États-Unis, ses disciples ont acheté pour lui, près de la petite ville d'Antelope, en Oregon, 26.000 hectares de terrain, le « Grand Ranch boueux » : 5,75 millions de $, 35 autres millions y seront investis, ainsi que le travail de nombreux adeptes : la population a compté jusqu'à 3.500 personnes. Une véritable ville, avec aéroport, avions, magasins, hôtel, immeubles, restaurants, une flotte d'autobus, un barrage, une exploitation agricole. Les adeptes pouvaient déposer leur argent à la Banque Rajneesh - les avoirs sont maintenant gelés -. La vie est moins détendue qu'à Poona, célèbre surtout par ses nombreuses « thérapies de groupe » où le sexe et la violence avaient un grand rôle ; il faut travailler dur et le « sexe à tout va » connaît des restrictions depuis qu'on a découvert les dangers du SIDA.

D'où venait l'argent ? Apparemment des adeptes de par le monde, en particulier des Américains, mais aussi d'Europe, Allemagne surtout, où les entreprises des Rajneeshistes poussaient comme des champignons : discothèques, restaurants « Zorba the Bouddha », boutiques, cabinets de dentistes, d'architectes. Non loin de Kassel, dans un château, c'est Rajneeshstadt, avec imprimerie, entreprise d'informatique, etc. Mais les investissements sont faits par les adeptes, les prêts sont à leur nom, même si les directives viennent d'en haut. Depuis quelque temps, les faillites se sont multipliées, beaucoup ont tout perdu, y compris leur santé physique et mentale. La grande célébration annuelle à Rajneehspuram (Oregon) drainait aussi des sommes coquettes. Il y a eu plusieurs centres en France, comme à Thorenc dans les Alpes mais Sheela, la toute puissante secrétaire et favorite du Maître, en avait décidé la fermeture.

Et puis, en septembre 1985, c'est la fuite de Sheela, en compagnie d'une bonne douzaine de dirigeant(e)s. Elle emporte avec elle la signature pour les comptes bancaires en Suisse. Arrivée en Allemagne, elle fait à la presse quelques déclarations fracassantes contre son ex-patron, qui, du fond de l'Oregon, lui donne la réplique. Actuellement, Sheela Silvermann est en prison avec ses deux compagnes à Bühl, petite ville entre Offenburg et Baden-Baden, en attendant que le tribunal de Karlsruhe statue sur la demande d'extradition formulée par le Tribunal de Portland (Oregon). Les accusations sont graves, il y est même question de tentatives de meurtre. La plupart des (récents) habitants de Rajneeshpuram ont quitté les lieux de leur désillusion, certains ne sachant pas où aller. En 1984, le Ranch avait pourtant vu affluer un surcroît de population : des milliers de clochards dont, disait-on, Bhagwan (ou Sheela) voulait se servir pour emporter la majorité au Conseil du Comté (arrondissement) comme il l'avait fait pour la municipalité d'Antelope deux ans auparavant. La ville avait été rebaptisée Rajneesh, le maire, les officiers municipaux, tous des adeptes. Les anciens habitants n'avaient plus rien à dire. L'opération, cette fois, a raté. Les clochards sont repartis.

Avant de partir, M. Chandra Mohan a rendu son nom à Antelope. Rendra-t-il aussi leur entendement (mind) à ceux qu'il avait aidés à s'en débarrasser, comme de leur argent et de leur « ego » ? Car c'est ce qu'ils trouvaient, disaient-ils, auprès de lui : plus de problèmes, plus de passé, plus d'avenir, le pur présent. Mais, comme disait en 1980 Jean-Francis Held qui était allé à Poona (témoignant au procès d'une jeune Anglaise arrêtée à l'aéroport de Roissy avec plusieurs kilos de haschich dans une valise qu'elle avait accepté de transporter de Bombay à Toronto moyennant l'argent nécessaire pour rester à Poona), pendant ce temps, la gestion, elle, connaissait le passé (les comptes) et l'avenir (la planification, totalement IBM).

Il n'est pas exclu que le « cirque Bhagwan » reparte un de ces jours. Où ? Mais l'écroulement du Rajneeshpuram d'Oregon, comme les faillites en Allemagne, montrent de façon exemplaire comment finissent, tôt ou tard, toutes ces entreprises : par les luttes internes, sans merci, entre les dirigeants mégalomanes, pour l'argent et le pouvoir. Leur sort ne doit pas trop nous préoccuper. Parmi les victimes, certaines n'y auront perdu que quelques plumes, financièrement, et quelques illusions ; ce sera même peut-être un souvenir excitant. Mais pour les jeunes idéalistes, un peu paumés, fauchés, les déçus de l'Occident qui avaient cru trouver la solution ?...

Cet article était achevé quand de nouvelles informations nous parvenaient d'Inde et d'Allemagne fédérale. Nous les transcrivons ci-dessous.

Selon la presse indienne (India Times du 15 décembre 1985), le Bhagwan est effectivement arrivé le 17 novembre à Delhi. Après trois heures passées à l'hôtel Hyatt Regency où soixante chambres lui avaient été réservées, il repartait pour Span Resorts, centre de villégiature non loin de Manaly (vallée de Kulu, dans le Himachal Pradesh, au pied de l'Himalaya). Transport par avion affrété et Mercedes. Pratiquement, l'ensemble de l'hôtel a été réservé jusqu'au 1er avril 1986 (vingt et une chambres et « suites »). Aux journalistes, le gourou a fait quelques déclarations. Tout le monde en a pris pour son grade : Jésus-Christ, Mère Thérésa, le Pape (« le Polack »), le Mahatma Gandhi, Ronald Reagan, feue Indira Gandhi...

D'après le Badisches Tagblatt du 15 janvier 1986 et le Badische Zeitung du 17 janvier, l'ex-favorite Sheela Birustiel-Silvermann (Ma Anand Sheelal) incarcérée depuis le 31 octobre 1985 (avec Jane Elsea et Diane Onang) à Bühl, petite ville de Bade entre Offenburg et Baden-Baden, a, selon son avocat, changé d'avis et demandé à être renvoyée aux U.S.A. pour y être jugée. Ses amis allemands auraient rassemblé des fonds importants pour couvrir les frais de justice.

 

 
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