Mouvement raelien

Clones, marchands et secte

Par Bertrand Jordan

(extrait d'un article de Sciences et Pseudo-Sciences, novembre 2001)

Le clonage est en plein accord avec l'idéologie raélienne : cette secte 100% scientiste est très favorable à toutes les utilisations du génie génétique, et envisage une immortalité scientifique obtenue par le clonage d'un (jeune) adulte à partir d'un individu âgé suivi du " transfert " de toutes les mémoires de l'un à l'autre. Cette idéologie, les moyens financiers non négligeables dont dispose le mouvement, mais aussi et surtout son caractère sectaire, sont en l'occurrence de sérieux atouts.


Rencontre avec un couple

La matérialisation du projet raélien est liée à la rencontre avec un couple américain qui a perdu un enfant à 10 mois, à la suite d'une erreur médicale. Bien que jeunes (ils n'ont pas atteint la quarantaine), les parents, qui ont déjà deux autres enfants, tiennent absolument à recréer ce bébé afin qu'il poursuive sa vie prématurément et injustement interrompue. Ils sont prêts à y consacrer des sommes importantes (provenant notamment du procès qu'ils ont gagné contre l'hôpital), et ont pris à cet effet contact avec les Raéliens en Juin 2000. Quoique n'appartenant pas à la secte, ils ont abouti à un accord, et c'est leur enfant que l'équipe raélienne tente actuellement de cloner.

[En mars 2001, le couple américain est finalement revenu sur sa demande de cloner leur bébé décédé. Voir la lettre du père du premier bébé qui devait être cloné]

La directrice scientifique de Clonaid est une chimiste française, Brigitte Boisselier, " Evêque Raélien ", qui a longtemps travaillé pour l'Air Liquide. Elle a, selon ses dires, rassemblé une équipe comprenant un généticien, un biochimiste et un obstétricien-gynécologue affilié à une clinique de procréation médicalement assistée, et a entamé ses travaux depuis la fin de l'année dernière - travaux qui peuvent bénéficier de l'environnement très particulier que leur offre la secte.

Les atouts des Raéliens

Sur le plan technique, les problèmes du clonage reproductif humain se situent pour l'essentiel en amont et en aval. En amont : comment obtenir régulièrement les nombreux ovocytes nécessaires pour des essais dont on sait qu'a priori un sur cent seulement a des chances d'être une réussite ? La stimulation hormonale à subir, et le prélèvement lui-même ne sont pas anodins tant du point de vue physique que psychologique. Mais il se trouve apparemment parmi les adeptes de Raël des dizaines de jeunes femmes prêtes à se plier avec enthousiasme à cette discipline. L'étape suivante, énucléation de l'oeuf et introduction d'un noyau prélevé sur des cellules somatiques convenablement traitées, n'est probablement pas plus difficile à effectuer pour l'homme que pour d'autres espèces. Pour la culture en laboratoire de l'embryon obtenu, puis sa réimplantation dans l'utérus d'une mère porteuse, on dispose au contraire d'un avantage évident sur le modèle animal, la déjà longue expérience de fécondation in vitro qui a permis la naissance de milliers d'enfants conçus au laboratoire...

Restent les risques de mort au cours du développement, ou d'anomalies graves imposant une interruption provoquée de la grossesse. Dans cette phase aval, l'idéologie sectaire assure apparemment la disponibilité de nombreuses mères porteuses (dont la propre fille de Brigitte Boisselier, âgée de 22 ans), prêtes à assumer les aléas d'une telle grossesse (la mère biologique du clone n'étant pas mise à contribution). Au total, et si l'on se fonde sur les chiffres connus dans d'autres espèces, l'affaire semble jouable : de nombreux ovules produits par quelques dizaines de donneuses, une centaine d'embryons implantés deux par deux dans l'utérus d'une cinquantaine de mères porteuses pourraient, statistiquement, aboutir à un clone "réussi "... L'on est bien sûr ici en terre inconnue et des facteurs encore ignorés peuvent rendre le clonage d'un être humain nettement plus difficile (ou, au contraire, bien plus facile) que celui d'une vache ou d'une brebis ; mais la possibilité de succès semble suffisamment réelle pour être prise au sérieux.

" Succès " qui ne serait d'ailleurs pas acquis dès la naissance d'un enfant apparemment normal : les problèmes de santé des clones animaux commencent à faire surface, malgré la discrétion des entreprises du secteur, qui ont naturellement intérêt à les minimiser. Coeur hypertrophié, poumons sous-dimensionnés, tendance précoce à une obésité pathologique, voilà quelques-unes des anomalies qui sont fréquemment évoquées. Lors de la production d'un clone, l'ADN, qui devrait provenir d'un spermatozoïde et d'un ovule, est fourni par une cellule somatique, cellule de peau par exemple. Or, même si cet ADN contient bien l'ensemble des gènes en deux exemplaires, il existe entre le matériel génétique de ces cellules et celui des cellules sexuelles de subtiles différences (méthylation de certains atomes, par exemple), qui n'altèrent pas le message, la séquence, la suite des lettres mais jouent néanmoins sur les modalités de fonctionnement des gènes. Ce sont justement ces différences qui faisaient penser, il y a dix ans, que le clonage de mammifères était impossible ; les techniques mises au point notamment pour Dolly permettent de contourner, mais apparemment pas de maîtriser complètement, cette difficulté.

Si néanmoins un tel enfant naissait, espérons-le sans troubles physiologiques à la naissance ou par la suite, il constituerait sans doute le moins inacceptable des clones humains : jumeau à retardement d'un enfant récemment disparu à un âge très précoce, il ne serait pas placé dans la position psychologiquement impossible du clone " copie " d'un adulte, écrasé sous le poids d'attentes disproportionnées. Ses parents tenteraient sans doute de reprendre son éducation comme s'il s'était agi d'une parenthèse dans la même vie. Cela pourrait même réussir - mais l'on peut s'attendre à une pression médiatique énorme sur cet enfant, de nature à ruiner toute chance de développement normal. Et même si les parents (dont l'identité est actuellement dissimulée) tentaient de l'y soustraire, on peut compter sur les Raéliens pour agir en sens inverse... Les conséquences symboliques et idéologiques d'un tel événement seraient en tous cas majeures.

Aux dernières nouvelles, les Raéliens n'ont toujours pas renoncé, malgré les difficultés scientifiques qui s'accumulent et le passage dans de nombreuses nations de lois interdisant le clonage reproductif : en date du 29 juin dernier, Brigitte Boisselier affirmait que Clonaid poursuivait ses travaux. Son site Internet (http://www.clonaid.com) précise " La compagnie Valiant Venture qu'avait créé RAËL aux Bahamas pour poursuivre le projet CLONAID n'existe plus. Elle a été annulée par le gouvernement des Bahamas, suite aux pressions de la télévision française demandant aux autorités des Bahamas s'ils allaient accepter que le clonage humain se fasse dans leur pays... Le Dr Brigitte Boisselier, évêque Raëlien, et responsable du projet, a fondé aux USA une autre compagnie qui poursuit le projet Clonaid et les autres projets présentés ici et dispose désormais d'un laboratoire entièrement équipé qui a commencé le travail. Le nom de cette compagnie est pour l'instant tenu secret pour des raisons de sécurité évidentes, tout comme l'endroit ou se trouve le laboratoire ". Notez d'ailleurs, si vous êtes intéressés, que " RAËL est disponible pour des conférences publiques sur le clonage humain pour un coût de 100.000 US$ " et aussi qu'il vient de publier un nouveau livre Oui au clonage humain, la vie éternelle grâce à la science"...

Un impact désastreux

Je frémis (et je ne suis sûrement pas le seul) à l'idée qu'un jour la grande presse puisse annoncer la naissance du premier clone humain et présenter cet évènement comme un éclatant succès de la secte raélienne - et, quelque part, comme une preuve de ses théories délirantes et une incitation à leur accorder crédit. Certes, le succès de l'opération est loin d'être acquis, les législations deviennent dissuasives, et il est possible que même les Raéliens se découragent ou que leur source de volontaires se tarisse. En tout état de cause, il serait étonnant que le clonage devienne une opération de routine, les risques médicaux, l'opposition d'une grande partie de l'opinion et, de plus en plus, des législations ad hoc vont l'en empêcher. Le danger n'est donc pas, me semble-t-il, l'apparition immédiate de volées de clones, mais la transgression d'un interdit officiel et majoritairement partagé. Transgression qui montrerait que, décidément, à partir du moment où une procédure devient techniquement possible, elle est réalisée, quelles que soient la position des autorités morales (du Pape à l'UNESCO en passant par le Président de la République...) et les stipulations de la loi. Elle prouverait que nos tentatives de régulation sont vaines et que nous ne sommes décidément pas capables d'encadrer les applications de la génétique et de la "procréatique ". Que ce pied de nez aux autorités provienne d'un groupe marginal àl'idéologie extravagante ne ferait qu'aggraver le choc.

Le clonage selon Raël : l'arme absolue contre le terrorisme

Dans un autre contexte, ceci pourrait faire sourire... Voici la déclaration de Raël faite à la suite des attentats de New-York. Le clonage selon les Raëliens serait l'arme absolue contre le terrorisme, permettrait même de capturer les terroristes et offrirait la possibilité de ressusciter les disparus...

" II faut accélérer le développement du clonage humain car cette technologie rendra les attaques terroristes inefficaces dans le futur. En effet, cela se fera lorsque la phase 3 du clonage sera atteinte, celle qui permettra de cloner directement un individu adulte grâce à !a Croissance Accélérée, puis à télécharger (downloader ou uploader) les informations qui dans le cerveau contiennent la personnalité, la mémoire et l'expérience des gens. Ainsi lors d'un drame comme celui-ci, toutes les victimes pourront être ramenées à la vie grâce au clonage, directement en tant qu'adultes, et leur personnalité sera téléchargée dans leur cerveau. Il suffira qu'une banque génétique dans chaque pays contienne le code génétique de chaque individu dès sa naissance (son "âme" comme disaient les primitifs) et que chaque personne sur un ordinateur personnel télécharge régulièrement un back up de sa personnalité, (mémoire et expérience) qui pourra être transférée dans le support physique cloné. La personne bénéficiant de cette technologie après un attentat aura juste la dernière journée qui manquera à sa mémoire. Cette technologie permettra également de cloner les terroristes et de pouvoir les juger pour leurs crimes. Ainsi, aucune attaque suicide rte verra ses auteurs échapper à !a Justice par la mort. "

 


Raël & Cie : petite mise à jour

L'article précédent, écrit fin 2000, a été publié par la revue Médecine/sciences en mars 2001 ; les informations qu'il rapporte étaient à l'époque peu connues du grand public français. A partir du printemps 2001, la grande presse s'est saisie du sujet et a publié de nombreux articles, notamment à l'occasion de débats sur l'interdiction du clonage reproductif humain aux Etats-Unis.

Que s'est-il passé en fait dans ce domaine, en dehors de ce renouveau d'attention médiatique ? Je m'intéresse ici uniquement au clonage reproductif ayant pour objectif l'obtention d'un enfant génétiquement identique au donneur de l'ADN, pas au clonage thérapeutique qui pose d'autres questions. Sur le plan scientifique, rien de très nouveau pour le moment, sinon une prise de conscience plus aiguë du très faible " rendement " du clonage. II ne s'agit pas seulement du fait que plusieurs centaines de tentatives restent nécessaires pour obtenir un seul animal cloné, mais aussi, surtout de la " mauvaise qualité" des individus obtenus : ils présentent presque toujours des anomalies plus ou moins graves (problèmes cardiaques, pulmonaires, obésité, vieillissement précoces) qui aboutissent souvent à une mort prématurée. Cela découle apparemment d'une " reprogrammation "incomplète de l'ADN. Les manipulations mises au point notamment lors du clonage réussi de Dolly (culture des cellules " donneuses " dans des conditions très particulières) permettent d'effacer dans une large mesure les modifications (réversibles) présentes dans l'ADN d'une cellule somatique. Ce dernier devient alors capable de diriger le développement d'un embryon. "Dans une large mesure ", suffisamment pour que quelques embryons arrivent jusqu'au bout de leur développement... mais pas assez (en général) pour que l'organisme résultant soit totalement normal. C'est sur ce plan que pourrait survenir une avancée scientifique majeure, la mise au point d'une technique éliminant totalement ces modifications et permettant donc un développement entièrement normal de l'embryon : une telle avancée est certes concevable, mais totalement imprévisible.

Ces difficultés étaient déjà connues il y a un an, mais les laboratoires et surtout les entreprises impliquées dans le clonage d'animaux avaient une tendance bien naturelle à les minimiser. Elles apparaissent aujourd'hui beaucoup plus clairement et rendent à l'évidence toute tentative de clonage humain totalement irresponsable, sur le strict plan de la sécurité médicale et en dehors de toute considération de principe. Pourtant, les " cloneurs "annoncent leur intention de persister dans leur entreprise... Ils l'ont notamment affirmé lors d'une réunion spécialement organisée sur ce sujet par la National Academy of Sciences (Etats-Unis) début août 2001. Au cours de ce débat (qui a souvent tourné à l'empoignade), Antinori et Zavos ont annoncé qu'ils avaient deux cents couples candidats, et qu'ils soumettraient les embryons à des tests pour s'assurer de leur normalité avant implantation - or il n'existe actuellement pas de moyen de détecter à l'avance les anomalies relativement subtiles décrites plus haut. Boisselier, elle, a annoncé avoir entamé des expériences sans donner aucun détail.

En fait le projet développé à l'origine par les Raéliens, ce clonage visant à produire un double d'un enfant mort à l'âge de 10 mois, est maintenant abandonné, les parents qui l'avaient commandité ayant rompu avec Brigitte Boisselier. Leur identité est maintenant connue : il s'agit de Mark Hunt, un avocat exerçant en Virginie, qui avait investi près d'un demi-million de dollars dans l'aventure. Aventure matérialisée par l'installation d'un laboratoire à Nitro, dans la banlieue de Charleston... laboratoire qui se résume à deux ou trois pièces très sommairement équipées et qui ne semble pas avoir abrité une quelconque activité scientifique. Bien entendu, Brigitte Boisselier (dont le palmarès de publications scientifiques est nul, contrairement à ceux de Zanos et Antinori) affirme qu'elle a d'autres candidats, et de nouvelles installations dans un lieu tenu secret... Antinori, lui, envisagerait d'implanter son laboratoire sur un bateau ancré dans les eaux internationales...

Sur le plan législatif enfin, la chambre des représentants des Etats-Unis a voté en juillet une loi interdisant le clonage humain, qui devait être examinée au Sénat avant la fin septembre... mais les évènements actuels donnent d'autres soucis aux législateurs. La France et l'Allemagne, par ailleurs, ont lancé une initiative au niveau de l'ONU pour interdire le clonage, qui est déjà hors la loi en Europe.

Au total, la situation est sans doute un peu moins alarmante qu'elle n'apparaissait il y a six ou neuf mois : les difficultés maintenant évidentes du clonage animal devraient jouer un rôle dissuasif, les promoteurs du clonage humain ont visiblement du mal à engager la réalisation de leurs projets et les législations se durcissent. II n'en reste pas moins que les obstacles techniques sont par nature provisoires, que toute législation peut être tournée, et qu'une extrême vigilance reste nécessaire...

B.J.



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