Le Patriarche, une communauté thérapeutique à but très lucratif

(source : Politique Santé, 5 octobre 1998. Par Mathieu Verboud).

Le voile se lève sur les circuits financiers et les appuis politiques d'une association sulfureuse qui sèvre à la dure les toxicomanes tous en les exploitant.


[Résumé]

La situation se présente mal pour l'association Lucien J. Engelmajer. En octobre 1997, Yves Legarrec, éminence grise du " Patriarche ", en charge des finances en Suisse, s'est évanoui dans la nature. Début 1998, au cours de son enquête sur l'utilisation des fonds publics dans la lutte contre la toxicomanie, la cour des comptes a épinglé sévèrement cette secte. D'autre part, deux plaintes, l'une pour harcèlement sexuel, l'autre pour détournements de fonds, sont en voie d'être déposées. Pour les cadres de l'association, il est temps de dissocier leur sort de celui du " vieux "...

L'association Lucien J. Engelmajer touche à une forme ultime de prédation humanitaire. Non contente de taper l'Etat et la générosité publique, elle transforme les personnes accueillies en pompe à fric. Mais le système Engelmajer va encore plus loin : appropriation des moyens de production, promesse d'un avenir radieux (" un monde sans drogues "), dépaysement systématique des fonds, évasion fiscale. Un savant mélange de capitalisme sauvage et de collectivisme.

Un système bien huilé

Au Patriarche, on paie pour travailler bénévolement. Chaque admission génère une subvention via un prix de journée plus ou moins généreux selon le pays. Dans certains cas, comme les pensionnaires français, ils doivent payer une somme mensuelle pour la cure. La réhabilitation par le travail est le principe fondamental de cette communauté thérapeutique. Mais le fruit du travail échappe au pensionnaire, qui rapporte infiniment plus qu'il ne coûte : par exemple, les ventes sur la voie publique de livres et de journaux à la gloire de l'association, considérées comme un véritable " grenier à fric " déclare un ancien.

Après avoir goûté à la vente, nombreux sont ceux qui décident de fuir l'association. Les autres choisissent de monter en grade, la dépendance à l'argent remplaçant la dépendance à la drogue. Les nouveaux prennent la relève, la boucle est bouclée... Beaucoup de vétérans de l'association ont tiré profit du système. Ils sont sans doute désintoxiqués, mais rongés par le sentiment de culpabilité de ceux qui se sont fait piéger par une association prête à tout, y compris un jour à empocher l'argent destiné à des pensionnaires participant à un protocole médical du laboratoire Abbott. Mais le nombre d'anciens s'accroissant avec le temps, la rentabilité s'amenuise dès lors que le nombre d'admissions est en baisse. Ce qui explique la haine féroce de l'association contre la politique de substitution, qui lui fait perdre des milliers de nouvelles recrues...

Une certaine opacité financière

Les subventions publiques des différents pays supposent que les toxicomanes soient soignés dans leur pays d'origine. Mais l'association tient à dépayser ces subventions pour avoir les mains libres, et donc les pensionnaires également. Très régulièrement, des sommes considérables en provenance d'Italie, d'Espagne ou du Portugal, passent les frontières en liquide pour atterrir dans des banques suisses. Objectif : dissimuler au fisc des différents pays les sommes collectées, notamment lors des ventes sur la voie publique. Le passage des frontières se fait dans des voitures dites " chargées ", confiées aux cadres sûrs, dont certains prélèvent néanmoins leur dîme.

Le développement international de la secte n'est pas sans problème : un comptable de la branche suisse s'enfuit, avec l'équivalent de 10 millions de francs français. Au Canada, le responsable roulait en Porsche, brutalisait ses pensionnaires et ponctionnait les comptes de l'association. Il a fini par être éjecté. En Suède, la vente des livres passe très mal. En Belgique, les pouvoirs publics finissent par lui couper les vivres.

En France, les subventions soulèvent l'indignation des intervenants en toxicomanie. Quand la DDASS réclame des comptes à l'association, celle-ci impute des sommes à des salariés fictifs, employées comme bénévoles.

La victoire de la droite en 1993 est une excellente opportunité pour Engelmajer, en dépit de son passé de militant communiste : création de nombreuses sociétés commerciales satellites dans les domaines de la restauration, la construction, l'ébénisterie, des stations-services ; supposées favoriser la résinsertion sociale des ex-toxicomanes. Malgré la promesse d'un statut et d'un salaire, " rien n'est jamais venu, ou presque ", dit un ancien. Ces sociétés dépendent de Sopasofi, une société à participation financière luxembourgeoise contrôlée par Engelmajer en personne. Selon les informations recueillies par Politique Santé, cette société aurait " servi de pompe à finances au profit de personnes proches de l'association, grâce notamment à ses investissements immobiliers ".

L'association est passée à un système où l'absence de règles permet pratiquement tout. L'argent coule à flot : près de 9 millions de francs d'acquisitions immobilières en Midi-Pyrénées entre 1992 et 1995.

Une complaisance calculée de l'appareil d'Etat français

Le Patriarche était à l'origine une association estimable : le Professeur Olivenstein a participé à sa création, avant de prendre ses distances. Les recours aux contrôles administratifs depuis 1980 montrent néanmoins que l'association inquiète. En 1985, aucune réserve sur les méthodes coercitives de l'association n'est émise lors de ces contrôles, signe que sur la question des soins aux drogués, les dirigeants sont sur la même ligne dure que l'opinion.

En 1990, le ministère de la Santé tente de déconventionner la Boère, fief du Patriarche, qui ne présente plus de rapport d'activité. Mais Lionel Jospin, qui a une circonscription à défendre dans le coin, intervient. Alarmé par les descriptions faites à Toulouse par le risque d'être " envahi par des troupes de choc brandissant des seringues remplies de sang contaminé ", il enjoint le ministère de la Santé à revenir sur sa décision. A l'époque, Engelmajer compte parmi ses amis Franck Perriez, préfet des Landes. La décision des subventions est ensuite confiée à la DGLDT, dirigée par un défenseur de choix, en la personne de Georgina Dufoix.

1996 est une année noire pour l'association. Françoise de Veyrinas, nouvelle responsable de la MILDT (Mission Interministérielle De Lutte contre la Toxicomanie), coupe toute subvention à cette association en raison de son opacité financière. Engelmajer qui confiait à ses proches avoir misé sur la victoire de Balladur aux présidentielles semble avoir perdu ses appuis politiques. En septembre, c'est la Cour des comptes qui se penche sur l'association : " voilà la Cour des cons ", dira Engelmajer... Le rapport évoque, à mots très couverts, des connivences politiques très fâcheuses, et relève une structure financière qui " ne permet pas d'appréhender l'origine des ressources ni leur utilisation ".

Depuis le putsch, les nouveaux dirigeants sont écartelés entre une volonté de transparence et la crainte de détailler les dérives d'Engelmajer, dérives qu'ils niaient jadis. L'association est sur le point de se rebaptiser Dianova. Une ère nouvelle semble vouloir s'ouvrir... avant ce dernier coup de théâtre : " le vieux " est de retour !

Le gratin des VRP de " Lucien "

" Le vieux " sait utiliser son bagout intarissable et son charisme pour charmer les interlocuteurs utiles à sa cause. A Nice, Jacques médecin lui exauce le voeux de bloquer l'artère principale de la ville, lui permettant de se marier en grande pompe sur la Promenade des Anglais. Quelques années plus tard, il fait demander à ses équipes de lancer des campagnes de signatures auprès de notables, en vue d'obtenir... le prix Nobel de la Paix.

Engelmajer se lie d'amitié avec des personnalités de la communauté scientifique souvent controversées, comme Jean-Claude Cherman (qui a réalisé des essais cliniques auprès de patients séropositifs de l'association), Gabriel Nahas, farouche adversaire du cannabis, Mirko Beljanski.

Léon Hovnanian, médecin, ancien député mendesiste, voyait en lui un allié pour la guerre à la drogue. Ils ont d'ailleurs participé ensemble à ECAD (European Cities Against Drugs). La rupture a été décidé par Englemajer en 1994, alors qu'un accord d'agrément des centres de l'association par Simone Veil était sur le point d'être obtenu. Selon Hovnanian, le Patriarche " ne voulait pas de contrôle sur ses affaires ".

Actuellement, les municipalités de Nice, Toulon, Marignane, et Marseille continuent de mettre à la disposition de l'association des locaux, parfois cossus. En 1996, l'ancien maire de la Seyne-sur-Mer, Charles Scaglia, cède à l'association l'immense château de La Motte (Isère) pour une modique somme de 1,5 millions de francs.

Mais c'est au RPR qu'Engelmajer trouva ses meilleurs appuis : Albin Chalandon, ancien garde des Sceaux ; Ernest Chénière, député de l'Oise, qui plaça des mineurs en difficulté dans son association, subventions à l'appui. Le meilleur ami de " Lucien " est Jean-Paul Seguela, éminent parasitologue, ancien député de Haute-Garonne, conseiller en toxicomanie en 1993 auprès de Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur. A partir de 1997, Jacques Séguéla est secrétaire général au bureau exécutif de l'OILJE (Organisation Internationale Lucien Engelmajer). Il en démissionne à la suite du putch de Miami, et quitte également la toute récente Fondation Engelmajer, basée au Lichtenstein, qui devait servir à gérer les fonds propres de l'OIJLE. En 1994, des pensionnaires de l'association ont retapé sa maison, à Bessières, en échange de petits et grands services. La Cour des comptes relève les imprudences d'une " personnalité du monde médical ", qui a accepté de la part d'Engelmajer un prêt, qui s'avère avantageux à l'époque (600.000 francs sur 10 ans, à 5%). Interrogé, Jean-Paul Séguéla reconnaît les faits, tout en précisant avoir déjà remboursé le prêt, et payé de sa poche les travaux.


 
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