République française

Premier ministre

Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaire

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Intervention de M. Jean-Louis Langlais
pour l'ouverture du séminaire universitaire "Sectes et laïcité"

Mercredi 8 octobre 2003

Ministère de la Recherche



Mesdames, Messieurs,

A l'ouverture de tout colloque ou de tout séminaire, il est de tradition de se féliciter de sa tenue. Je ne manquerai pas à la règle, mais je voudrais vous persuader de la sincérité du propos : je suis très heureux que ce séminaire universitaire puisse avoir lieu et je remercie très vivement ceux qui ont travaillé à sa réalisation.

- D'abord le cabinet du ministre chargé de la recherche et ses directeurs successifs, M. BIGOT et M. CERVEL.

- Ensuite l'école pratique des hautes études et sa directrice Mme COUREL.

- Enfin nos collaborateurs de la Mission interministérielle et notamment Anne FOURNIER qui a été la cheville ouvrière de cette entreprise.

Car il s'agit bien d'une véritable entreprise, qui va s'étaler sur plusieurs mois et qui va mobiliser, même si cela peut paraître quelque peu emphatique, ceux que le pays compte de plus avertis sur le sujet des rapports du phénomène sectaire et du phénomène religieux, et sur la définition d'une laïcité qui garantit à la fois la liberté de conscience et la dignité de la personne.

Le cadre universitaire doit conférer à ces exposés leur sérénité qui n'a pas toujours jusqu'alors entouré ces débats. C'est une litote, et j'escompte de ce dialogue, même s'il se déroule dans le temps, une approche un peu dépassionnée.

La mémoire que nous conserverons de ces travaux, grâce à la chaîne du savoir et grâce aux actes qui seront ultérieurement publiés, permettra, je l'espère, à la fois aux chercheurs et aux administrateurs de disposer de matériaux nouveaux et abondants.

Les différences d'approches, le balayage à 360 degrés de ce sujet, abordé sous l'angle historique, sociologique, philosophique, juridique, politique, devraient favoriser la prise de conscience de la complexité du dossier et de sa richesse.

Je souhaiterais précisément vous dire quelques mots supplémentaires - sur la motivation qui nous a animés - sur l'action des pouvoirs publics depuis vingt ans - sur les difficultés du débat engagé

I - LE SEMINAIRE

1.1. L'initiative du séminaire universitaire "Sectes et Laïcité".
1.2. Les motifs de la démarche

Lorsqu'a été acté le principe d'un séminaire de réflexion sur les groupes contestés que certains nomment "sectes" et d'autres. "nouveaux mouvements religieux", nous avions quelques fils directeurs.

Le premier était celui d'un débat où pourraient s'exprimer à la fois les chercheurs et ceux qui sont confrontés à la réalité des dérives sectaires. L'idée même de rassembler en une même démarche des personnalités qui n'ont pas l'habitude dé se rencontrer et de s'écouter était une première dont on peut espérer qu'elle aura des suites.

Le second fil directeur était celui de l'analyse. Quel que soit le dévouement des équipes administratives, il reste un vide d'analyse fine de ces groupes problématiques, et nous voulions impulser une recherche universitaire. La présence des écoles doctorales dans le public est la chance de voir aboutir ce souhait.

Le troisième fil directeur était une interrogation. Qui légitime l'Etat à créer ainsi des structures successives "d'observation", de "lutte", de "vigilance et de lutte » chargées d'observer le phénomène sectaire ? Au nom de quoi une telle politique ? C'est la raison pour laquelle nous avons décidé d'interroger les penseurs, les politiques et la société civile sur la laïcité, dite "à la française". Nous anticipions alors sur ce qui devient votre propos : du rapport Baroin à la mission parlementaire de Jean-Louis DEBRE, chacun réinterroge la notion, propose des modifications, ou cherche à préserver le statu quo de la loi de 1905. A l'évidence, c'est la définition d'un Etat laïque du XXIème siècle qui peut seul - ou non - légitimer la vigilance contre les groupes sectaires.

1.3. Les différents anales pour aborder le sujet

- Tous les intervenants, dont plusieurs sont ici dans cette salle, sont invités à intervenir sur le même sujet - secte et laïcité" - mais bien sûr chacun de sa "place" en fonction de son domaine d'enseignement, d'expérience, ou de son engagement.

- Deux cycles sont prévus

le premier d'octobre à février sur les aspects psychologiques et historiques. Il verra intervenir des soignants, des historiens des religions et des politologues, des représentants des grandes religions, des anthropologues.

. le second cycle, de mars à juin, donnera la parole à des personnalités étrangères, à des administrateurs, à des juristes, à des parlementaires, aux responsables d'associations d'aide aux victimes, enfin à des philosophes.

Je les remercie tous de leur participation et notamment les professeurs des l'École Pratique des Hautes Etudes en Sciences Sociales, spécialistes éminents, qui ont accepté d'éclairer le débat.

Il - L'ACTION DES POUVOIRS PUBLICS

2.1. L'action des pouvoirs publics de 1983 à 2003 2.1.1. Une action relativement récente.

C'est au début des années 80 que paraissent les premiers rapports.

- en 1982, un rapport administratif - corédigé par le ministèree de l'Intérieur et le ministère de la Santé,

- en 1983, un rapport parlementaire établi par Alain VIVIEN "les sectes en France - Expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation", rapport au fort retentissement, publié par la Documentation française - où l'auteur souligne les risques encourus par les adeptes : pressions psychologiques, financières, ruptures avec famille et société, etc..

Nous voici donc - vingt ans après - en mesure de fixer les principales étapes et caractéristiques de ce dossier.

2.1.2. Une action directement inspirée par les parlementaires.

- C'est en 1995 en effet qu'une commission d'enquête parlementaire (coprésidée par M. Alain GEST (Démocratie Libérale) et M. Jacques GUYARD (PS) établit un rapport qui désigne nommément une série de groupes ou mouvements "potentiellement dangereux".

La création de cette commission est en liaison avec le massacre des adeptes de l'Ordre du temple solaire qui s'est produit l'année précédente, et a bouleversé l'opinion.

La liste de 172 groupes va devenir dès lors une référence importante pour tous les acteurs, même si ce document, de source essentiellement policière, ne se voit pas reconnaître de valeur juridique par les cours et les tribunaux. - En 1999, un deuxième rapport parlementaire sous la signature de J. GUYARD, président, et de J. P. BRARD, rapporteur, va s'intéresser pour sa part à la "situation financière et patrimoniale des sectes". Le rapport "Les sectes et l'argent" pour faire bref, s'efforce de démonter les circuits financiers, généralement internationaux, qui font de certains groupements de puissantes machineries économiques.

2.1.3. Cette activité parlementaire l'organisation administrative.

recevait une traduction dans

Dans un premier temps, était créé en mai 1996, un Observatoire qui recevait pour mission d'analyser les évolutions. Un préfet en prenait la responsabilité avec une équipe restreinte de chargés de mission.

Ensuite en 1998, était créée une mission interministérielle de lutte contre les sectes - confiée à M. Alain VIVIEN, qui avait été secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères.

Un conseil d'orientation, composé de personnalités diverses - dont des parlementaires - était chargé de l'éclairer.

Le passage d'un simple Observatoire à une Mission de lutte contre les sectes marquait clairement une volonté de rendre plus offensive et opérationnelle l'action des pouvoirs publics.

On peut noter à travers ce rapide historique que la question échappe assez largement au débat politique partisan. C'est Alain JUPPE, Premier ministre qui créé l'Observatoire, c'est Lionel JOSPIN qui créé la MILS.

De même, la loi de juin 2001, dont on va parler maintenant, est partie d'une proposition de loi déposée par le sénateur UDF Nicolas ABOUT et par la députée socialiste Catherine PICARD.

Ce consensus politique ne signifie pas pour autant que la question ne soit pas controversée.

2.1.4. Le choix d'un dispositif renouvelé de la MILS à la MIVILUDES

M. VIVIEN, ayant démissionné de son poste de président de la MILS en juin 2002, la question était posée de la pérennisation de la Mission. Une certaine pression s'exerçait pour réclamer la suppression de la MILS, la refonte de la législation About-Picard, l'abandon d'un certain nombre de circulaires appelant les services administratifs et judiciaires à la vigilance.

En sens inverse, les défenseurs du dispositif existant ont fait valoir l'intérêt d'une coordination interministérielle au niveau du Premier ministre, la permanence des risques inhérents pour l'individu et pour la société, le caractère exemplaire de l'exception française dans ce domaine.

Le parti a été pris en définitive de faire succéder à la MILS une Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires : la MIVILUDES. Cet acronyme révèle assez clairement le choix médian qui a été fait à mi-chemin entre l'Observatoire et l'action contre les groupements - en faveur d'une structure qui assure une action de surveillance générale mais aussi de dénonciation des dérives sectaires.

La nuance peut paraître mince : elle indique bien toutefois une volonté de ne pas baisser la garde, mais de viser la manifestation déviante et non la doctrine ou la croyance.

Parallèlement, une meilleure efficacité est attendue du réseau administratif national dont la coordination, tant au niveau national qu'au niveau départemental, sera améliorée par le biais d'un comité réunissant les principaux ministères.

Enfin, le conseil d'orientation, composé de personnalités qualifiées a été élargi à des représentants nouveaux de la société civile : médecins, avocats, historiens, etc.. dont certains interviendront pendant ce séminaire.

Ainsi a-t-on cherché un nouveau point d'équilibre entre la prise en compte des menaces que peuvent représenter certains groupes et le respect des libertés publiques et individuelles, inhérent à tout Etat de droit et à la patrie des droits de l'homme en tout premier lieu.

2.2. Les premiers enseignements de l'année 2003

2.2.1. La législation About-Picard n'a pas encore reçu d'application.

Rappelons que ce n'est en rien une législation d'exception à l'encontre des mouvements sectaires. Le thème de "secte" n'est d'ailleurs pas mentionné dans le corps de la loi. Il n'apparaît que dans son titre.

Les possibilités de dissolution des personnes morales sont entourées de conditions très restrictives : existence de deux condamnations définitives pour des infractions graves (atteintes à la vie ou à l'intégrité de la personne). Le tout, sous le contrôle du juge judiciaire - permet de se prémunir contre toute forme d'arbitraire administratif ou politique.

D'ailleurs, un rapport du Conseil de l'Europe (rapport Voyame, novembre 2002) a conclu que cette législation était tout à fait compatible avec les valeurs de fendues par le dit Conseil.

III - Les difficultés d'un débat sur le phénomène sectaire

Elles tiennent au fait que le sujet touche à deux libertés fondamentales, la liberté d'opinion et la liberté d'association.

3.1. Il n'est pas nécessaire de développer ici des garanties constitutionnelles dont jouissent ces libertés en droit interne comme en droit international ni la savante construction jurisprudentielle qui permet au juge de contrôler leur exercice.

Il est évident que les adeptes d'une croyance, quelle qu'elle soit, et le groupe qui peut les rassembler, bénéficient pleinement de ces garanties dès lors que leurs pratiques ne sont pas contraires à l'ordre public ni attentatoires aux lois et règlements.

Si les agissements tombent sous le coup de la loi, s'il y a abus sexuels, exercice illégal de la médecine, fraude caractérisée, les choses sont relativement simples : l'action publique peut être engagée - je dirais classiquement. Les contrôles relevant de la police administrative sont également , très classiquement, menés en application de la loi.

3.2. Là où naît la difficulté - notamment pour le magistrat - c'est de caractériser de "sectaire" la dérive constatée - et de dire en quoi il y a phénomène d'emprise, d'abus frauduleux de faiblesse, physique ou psychologique, au sens de la loi de juin 2001.

L'approche par le risque potentiel est trop extensive. Mais l'approche par le délit constitué est trop étroite.

La deuxième difficulté, qui cette fois concerne l'administrateur et non plus le juge, c'est de savoir comment prévenir la dérive sectaire, comment protéger les citoyens, et notamment les plus faibles d'entre eux, de pratiques qui ne constituent pas en soi un délit mais qui peuvent se révéler dangereuses pour l'individu et pour la société.

Dans cet exercice, les oppositions académiques : ordre public / ordre moral ne sont pas d'un grand secours. On s'accordera sans doute à éviter d'un côté l'inquisition et de l'autre l'angélisme. Mais dans l'action quotidienne, la mise en garde, le signalement, la poursuite, le discernement est extrêmement difficile et le responsable est en permanence suspect de laxisme ou d'intolérance.

Les oppositions tiennent surtout au fait que nous sommes sur un sujet passionnel qui cristallise les positions. D'un côté des individus et des proches qui "souffrent dans leur chair" et de l'autre, des individus qui estiment qu'on touche à leur liberté de penser et à leurs croyances.

C'est cette opposition entre deux parties, profondément engagées, qui créée les difficultés du débat. C'est ce clivage, qui impose à la MIVILUDES d'adopter le recul nécessaire pour bien appréhender cette problématique. Le chemin de crête est pourtant celui que doivent suivre les agents publics engagés dans cet itinéraire. L'un des guides susceptibles de les aider, peut être trouvé dans une conception réaffirmée de la laïcité.

3.3. En quoi la laïcité peut-elle être utilement invoquée

3.3.1. La neutralité confessionnelle de l'Etat peut sembler constituer une faiblesse.

Les organisations sectaires peuvent en effet invoquer leur dimension religieuse pour bénéficier de l'abstention de l'Etat. Elles ne se privent pas de cet argument - notamment celles dont les liens avec les Etats-Unis sont les plus directs. La référence au premier amendement de la Constitution américaine est constante. L'État n'a pas à se mêler de ce qui ressortit à la conviction intime et à la pratique religieuse. Des groupements que nous qualifions de sectes sont là bas identifiés comme nouveaux mouvements religieux, même s'ils se proclament athées, comme l'Eglise raëlienne.

Une conception - "abstention - de la laïcité" serait donc un handicap certain dans le combat contre les dérives sectaires.

3.3.2. Mais une conception positive peut être au contraire un atout. Si cette conception prône des valeurs qui sont dans la tradition culturelle française. Un Etat tolérant certes, mais qui reste vigilant au nom de l'ordre public, au nom d'un principe de précaution, au nom plus généralement des Droits de l'Homme dont le droit à la liberté de conscience qui est directement mise à mal par les techniques d'emprise utilisées par la plupart des groupements dont il s'agit.

L'intervention de la puissance publique est d'autant plus légitime qu'elle s'exerce sous le contrôle du juge, gardien des libertés.

Une expérience de près de vingt années qui a mobilisé les services de l'Etat, soutenu l'action des associations et sensibilisé la grande opinion.

Une action que les pouvoirs publics entendent poursuivre, dans le respect des croyances, pour assurer la protection des individus et la garantie du droit.

Je vous remercie.



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