CONSEIL DE L'EUROPE

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Liberté de religion et minorités religieuses en
France

Rapport d'expert
établi par M. Joseph Voyame,
Professeur honoraire à l'Université de Lausanne, Ancien directeur de l'Office fédéral suisse de la justice

 


Sommaire

Mandat
La loi française du 12 juin 2001

1. Introduction
2. Portée de la loi
3. L'article premier
4. L'article 19
5. L'article 20
6. De la procédure

Les valeurs du Conseil de l'Europe
Compatibilité de la loi française du 12 juin 2001 avec les valeurs du Conseil de l'Europe

1. Introduction
2. La base légale
3. But et nécessité
a) Article premier
b) Article l9
c) Article 20
d) Article 22

Conclusion
ANNEXE I


Mandat

L'Assemblée nationale et le Sénat français ont adopté et le Président de la République a promulgué la loi n' 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. 1

Dès le 6 octobre 2000, M. Mc Namara, député à l'Assemblée parlementaire, et treize de ses collègues avaient déposé devant cette assemblée une proposition de résolution intitulée "Liberté de religion et minorités religieuses en France", dont la conclusion avait la teneur suivante: 2

" En raison de l'urgence de la situation et de l'ampleur des préjudices que cette loi pourrait causer, l'Assemblée invite les membres du Sénat et de l'Assemblée nationale à se souvenir que la France, en tant que membre à part entière du Conseil de l'Europe, est tenue de mettre en oeuvre la Convention européenne des droits de l'homme, et que la liberté d'expression, la liberté de religion et la liberté d'association sont des droits fondamentaux qui doivent être protégés par l'Etat; recommande de charger un rapporteur d'étudier les dispositions de cette loi et de déterminer si elles sont conformes à la Convention européenne des droits de l'homme et aux autres nonnes relatives aux droits de l'homme élaborées par le Conseil de l'Europe et d'autres instances internationales, et d'examiner les plaintes concernant la discrimination fondée sur la religion".

Par contrat n°4 des 28 septembre /17 octobre 2001, le Secrétaire général du Conseil de l'Europe a chargé le soussigné de rédiger un bref rapport sur "la liberté de religion et les minorités religieuses en France". Lors des entretiens qui ont précédé la signature du contrat, il a été précisé que le rapport devait porter sur la conformité la loi française n' 2001-504 du 12 juin 2001 avec les valeurs du Conseil de l'Europe.


La loi française du 12 juin 2001

1. Introduction

Après avoir passé par divers avatars au cours de la procédure législative, la loi du 12 juin 2001 est restée un corps relativement composite.

Les articles 1 er@ 19, 20 et 22 visent directement les personnes morales ou les groupements de personnes qui poursuivent des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique et physique des personnes qui participent à ces activités.

Les articles 2 à 12 étendent aux personnes morales la responsabilité pénale pour diverses infractions prévues par le code de la santé publique, le code de la consommation et le code pénal et indiquent les peines que ces personnes encourent.

Les articles 13 à 16 et 21, qui concernant le code pénal et la loi du ler juillet 1901 relative au contrat d'association, indiquent ou modifient les peines prévues pour diverses infractions et contiennent certaines adaptations formelles.

Les articles 17 et 18 criminalisent le maintien ou la reconstitution de personnes morales dont la dissolution a été prononcée; l'article l' alinéa 5 le fait spécialement pour les personnes morales visées à l'alinéa 1 er.

L'article 23 modifie le code de procédure pénale en ce qui concerne le placement sous contrôle d'un mandataire de justice.

Enfin, l'article 24 règle l'application territoriale de la loi

2. Portée de la loi

Selon son titre, la loi vise les mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. On retrouve cette expression dans l'intitulé du chapitre IV.

On admet unanimement qu'il est difficile, sinon impossible, de définir juridiquement le terme "secte". Les dictionnaires parlent d'ensemble des personnes qui font profession d'une même doctrine ou qui suivent une opinion accusée d'hérésie ou d'erreur (Littré, Quillet) ou d'ensemble des personnes qui professent une même doctrine philosophique ou de groupe organisé de personnes qui ont une même doctrine au sein d'une religion (Grand
Robert, qui estime que la première acception est vieillie ou historique). Mais cette incertitude importe peu. Sans doute le titre fait partie de la loi mais il n'a point par lui même de contenu normatif. Même s'il peut être utile pour l'interprétation, on ne saurait s'en autoriser pour trancher à l'encontre d'une disposition claire de la loi. Or, comme on le verra, les articles j,r@ 19 et 20 de la loi tracent avec la plus grande précision possible le cercle des personnes morales et des groupements visés.' Ce sont ces textes normatifs qui sont décisifs.

Il faut du reste noter qu'une notable partie des dispositions de la loi va bien au delà du libellé du titre, puisqu'elle vise les personnes morales en général. C'est notamment le cas des articles 2 à 12.

3. L'article premier

Selon son premier alinéa, cette disposition vise la dissolution de toutes les personnes morales pour lesquelles les conditions énoncées sont remplies. Il ne s'agit donc pas seulement de celles qui pourraient être considérées comme des "sectes". De même, il ne s'agit pas nécessairement de personnes morales à caractère religieux, comme paraissent le penser les auteurs de la proposition de résolution.

Quant aux conditions énoncées, les unes concernent les activités des personnes morales en cause, les autres leurs antécédents ou ceux de leurs dirigeants.

Selon les premières, il faut que les activités de la personne morale aient pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités. A mon avis, les termes sont clairs. Seule l'expression "sujétion psychologique ou physique" peut éventuellement donner lieu à quelque hésitation. Selon les dictionnaires, la sujétion est l'état de ce qui est astreint, obligé à quelque chose (Quillet),.l'état de celui qui est soumis à une autorité, une domination souveraine (Grand Robert). Au cours de la procédure législative, ce terme a été substitué à "dépendance", considéré comme moins précis. Il y aura donc sujétion psychologique, par exemple, lorsqu'une personne est mise hors d'état de prendre librement des décisions quant à ses opinions, son comportement ou son patrimoine. Quant à la sujétion physique, elle vise notamment le cas où une personne est retenue contre son gré. On va donc bien au delà de l'influence qu'un orateur peut exercer sur ses auditeurs, ou des pressions auxquelles les congrégations de religions traditionnelles pourraient se livrer à l'égard de leurs membres.

D'après la seconde catégorie de conditions, les personnes morales en cause ou leurs dirigeants de droit ou de fait doivent avoir été l'objet d'au moins deux condamnations pénales définitives pour l'une ou l'autre des infractions énoncées. Ces infractions, a-t-on considéré au cours de la procédure législative, sont celles qui sont le plus souvent commises par des "sectes" ou leurs dirigeants. Il faut relever cependant que ces conditions ne sont point parfaitement ciblées, puisqu'une personne morale poursuivie pour atteinte aux droits de la personne pourrait être dissoute même si elle-même ou ses dirigeants n'ont été condamnés que pour exercice illégal de la pharmacie.

Il faut noter enfin que, même si toutes les conditions requises sont remplies, la personne morale en cause peut être dissoute. Le tribunal aura donc toujours un pouvoir d'appréciation.

Les alinéas 2 à 4 et 6 de l'article premier règlent des questions de procédure. On y reviendra.

4. L'article 19

Cette disposition réprime la diffusion de messages qui sont destinés à la jeunesse et qui font la promotion d'une personne morale pour laquelle les conditions énoncées à l'article premier sont remplies ou qui invitent à rejoindre une telle personne morale. L'article 19 ne paraît appeler qu'un commentaire. C'est qu'ici la condamnation n'est pas à la discrétion du tribunal, mais doit être prononcée dès lors que les conditions requises sont réunies.

5. L'article 20

A l'origine, le projet de loi instituait une infraction spéciale de "manipulation mentale". On y a renoncé au cours de la procédure législative pour reprendre l'ancien article 313-4 du code pénal qui traitait de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse, et dont la portée a été élargie sur deux points. D'une part, ce nouvel article 22315-2 du code pénal ajoute au fait pénal l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de l'état de soumission d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement [pour conduire ... cette personne à un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables]. R reprend donc les termes de l'article premier de la loi du 12 juin 2001, en y ajoutant l'exigence que l'état de sujétion psychologique ou physique résulte de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement. D'autre part, en déplaçant la disposition en cause du livre III du code pénal ( De l'escroquerie et des infractions voisines) au livre H (Des crimes et délits contre les personnes), le législateur statuait que le préjudice subi par la victime ne devait pas nécessairement être de nature patrimoniale.

On peut se poser ici deux questions.

D'abord, faut-il déduire du complément indiqué ci-dessus que l'état de sujétion visé au nouvel article 223-15-2 du code pénal doit être plus grave que celui dont il est question
aux articles 1er et 19 de la loi du 12 juin 2001 ? il semble que ce n'est pas le cas et que le
législateur a simplement voulu préciser quelles doivent être, dans le premier cas, les
causes de la sujétion.

Secondement, on ne voit pas bien qu'une sujétion physique doive procéder de pressions ou de techniques propres à altérer le jugement. Ou faut-il interpréter la notion de sujétion physique autrement que ce qui a été esquissé ci-dessus à propos de l'article premier ? Cette question est intéressante, mais elle peut rester indécise en l'occurrence.

6. De la procédure

A l'article premier, 2è" alinéa, on avait d'abord envisagé que la dissolution serait prononcée par le Président de la République. Le législateur a préféré par la suite que cette procédure fût portée devant le tribunal de grande instance, à la demande du ministère public. Il a voulu par là donner aux parties les garanties d'une juridiction judiciaire et d'une procédure contradictoire. Selon les alinéas 3 et 4, la demande est formée, instruite et jugée conformément à la procédure à jour fixe et le délai d'appel est de quinze jours.

Enfin, l'article 22 de la loi amende l'article 2-17 du code de procédure pénale, en statuant que toute association remplissant les conditions exigées par cette disposition peut, à l'occasion d'actes commis dans le cadre d'un mouvement ou organisation ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter une sujétion psychologique ou physique, exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions énumérées dans cette même disposition. On a voulu par là pallier le fait que les victimes ou les membres de leur famille craignent d'agir eux-mêmes en justice ou répugnent à le faire.


Les valeurs du Conseil de l'Europe

Dans le domaine traité ici, ces valeurs trouvent leur expression, pour l'essentiel, dans les articles 9 à 11 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), qui garantissent respectivement la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'expression et la liberté de réunion et d'association. Toutes peuvent être invoquées en l'espèce. On peut noter à ce propos que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ces libertés ne protègent pas seulement l'expression des idées les plus connues ou traditionnelles. Elles comprennent aussi, par exemple, - sous réserve des alinéas 2 des articles 9 à 1 1 - la pratique de religions peu répandues ou l'expression d'opinions qui peuvent choquer ou inquiéter.

Cependant, la CEDH admet des restrictions aux libertés qu'elle garantit par ses articles 9 à1 1. Les limitations, réglées par les alinéas 2 de ces dispositions conventionnelles, sont soumises à des conditions précises. Celles-ci sont, dans leur énoncé, quelque peu différentes d'un article à l'autre, mais, dans le présent contexte, il suffit de retenir les points suivants, qui leur sont communs: la restriction doit être prévue par la loi et constituer des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection 1 des droits d'autrui.

Sur tous ces points, la jurisprudence de la Cour est abondante et ne saurait être reproduite ici. se bornera donc à relever succinctement les principes que l' on peut en dégager.

La restriction doit être prévue par la loi. Mais cet acte législatif doit remplir certaines conditions: il faut qu'il soit suffisamment accessible et qu'il soit prévisible, c'est-à-dire que son texte soit assez clair et précis pour permettre à toute personne - en s'entourant au besoin de conseils éclairés - de régler sa conduite en conséquence (principe de la légalité). Il est vrai qu'une certitude absolue n'est pas possible et que les législateurs doivent souvent se servir de formules plus ou moins générales, qui embrassent un grand nombre de cas divers et permettent à la jurisprudence, le cas échéant, de s'adapter à des situations nouvelles.

Deuxièmement, la restriction doit viser un au moins des buts légitimes énumérés par la CEDH.

Enfin, la restriction doit être nécessaire dans un pays démocratique. Cela implique trois conditions: il faut qu'elle permette d'atteindre le but légitime visé, qu'elle ne restreigne pas les droits fondamentaux plus que nécessaire et qu'elle réponde à un besoin impérieux (qualificatif que la Cour applique surtout lorsqu'il s'agit d'une restriction à la liberté de la presse). On doit arriver à un juste équilibre entre les biens protégés par la restriction et l'atteinte portée à la liberté garantie. Dans cette recherche, il faut se rappeler que les libertés protégées par les articles 9 à 1 1 CEDH sont à la fois des assises de la démocratie et des éléments fondamentaux de la dignité humaine; les dispositions qui permettent d'en limiter la portée ne sauraient donc être interprétées extensivement.

Il est vrai que les autorités nationales jouissent d'une certaine autonomie dans ce domaine, en particulier pour juger de l'existence et de l'urgence du besoin de restreindre la liberté en cause. Mais l'exercice de cette autonomie reste soumis au contrôle européen de la Cour, lequel porte tant sur la loi elle-même que sur les décisions qui l'appliquent.

Les valeurs du Conseil de l'Europe sont confirmées par les règles internationales de niveau universel, qu'il suffit d'évoquer brièvement.

La Déclaration universelle des droits de l'homme, du 10 décembre 1948, proclame, à ses articles 18 à 20, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'opinion et d'expression et la liberté de réunion et d'association. Par son article 29, cependant, elle permet, dans la jouissance de ces libertés, des limitations semblables, dans leur substance, à celles qu'autorise la CEDH.

De même, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du 16 décembre 1966, garantit, selon ses articles 18, 19, 21 et 22, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association. Chacun de ces articles autorise, à propos des libertés qu'il protège, des restrictions analogues à celles que permet la CEDH.


Compatibilité de la loi française du 12 juin 2001 avec les valeurs du Conseil de l'Europe

1. Introduction

Il faut rappeler d'abord que la loi du 12 juin 2001 ne vise pas toutes les "sectes". De fait, il est indéniable que de nombreux mouvements, groupements ou associations considérés comme telles peuvent avoir des activités très positives.

"Parfois par le biais des sectes, des personnes se retrouvent dans un groupe chaleureux, d'autres redonnent un sens à leur vie, d'autres encore se structurent. Parmi mes patients, certains sont entrés dans des sectes. Je ne voudrais pour rien au monde qu'ils en sortent, car cela leur sert momentanément de tuteur" 1

Et puis beaucoup de "sectes" sont à tout le moins inoffensives.

La loi du 12 juin 2001, elle, vise des personnes morales, des groupements, des mouvements qui poursuivent des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, à la condition encore qu'eux-mêmes ou leurs dirigeants aient été déjà condamnés pour certaines infractions.

Il faut maintenant apprécier si cette loi reste dans les limites fixées par les alinéas 2 des articles 9 à 1 1 CEDH.


2. La base légale

Comme on l'a vu, toute restriction aux libertés Garanties par les art. 9 à 11 CEDH doit être prévue par une loi accessible et précise.

En l'espèce, on a évidemment affaire à une loi, qui, publiée, est accessible à tous. Est-elle suffisamment précise pour que les intéressés puissent se fonder sur elle pour régler leur comportement ? Cela n'est pas douteux. Les conditions des incriminations et les sanctions que celles-ci peuvent entraîner sont énoncées de façon claire et déterminée. Il est vrai que le mot "sujétion" qu'on retrouve aux articles l', 19, 20 et 22 exige une appréciation, mais cela est dû au phénomène qu'il désigne et qui ne saurait, semble-t-il, l'être avec une plus grande précision. De toute façon, on l'a vu, la loi - même la loi pénale, soumise à l'exigence d'une stricte légalité - doit souvent se servir de termes généraux. C'est plutôt dans l'application qu'il sera parfois délicat pour le juge d'apprécier si l'on se trouve en présence d'une sujétion. Il pourra alors, le cas échéant, se faire assister d'un expert.

3. But et nécessité

Le but de la loi est, avant tout, de protéger les membres et les adeptes des groupements qu'elle vise contre la sujétion et les conséquences qu'elle pourrait entraîner pour eux, comme la perte de leur liberté de décision ou de leur liberté de mouvement. Ce but est légitime et est couvert par les dispositions des articles 9 à 1 1, alinéas 2, CEDH.

La nécessité se décompose, on l'a vu, en trois éléments: adéquation de la restriction, besoin impérieux et proportionnalité. Pour se prononcer sur ce point, il est préférable de considérer séparément chacun des quatre articles importants en l'espèce.

a) Article premier

il est clair que la dissolution de la personne morale en cause est un moyen adéquat de protéger ou au moins de contribuer efficacement à protéger ses membres et ses adeptes contre les conséquences redoutées.

Cette mesure répond, à mon avis, à un besoin. Pour n'évoquer que des faits qui sont de notoriété publique, on connaît les tragédies dans lesquelles certaines "sectes" ont entraîné leurs membres: suicides collectifs, meurtres; on sait que d'autres exigent des contributions exorbitantes, qui vont jusqu'à ruiner leurs membres et leurs adeptes; il est question aussi d'embrigadement de jeunes gens et jeunes filles, avec lesquels les familles ont la plus grande peine de rester en contact. Tout cela était le fruit soit de manipulations mentales qui enlevaient aux victimes - généralement consentantes - la faculté de décider librement, soit de mesures qui les privaient de leurs libertés physiques. Etant donné les risques, on peut considérer le besoin d'agir comme impérieux. On ne saurait en effet, dans de telles circonstances, demander aux autorités d'attendre que de tels faits se reproduisent concrètement pour agir sur le plan législatif.

Il s'agit enfin de juger si la dissolution est proportionnée au but visé, si le même résultat légitime ne pourrait pas être atteint par des mesures qui restreindraient moins les libertés des personnes morales visées. La dissolution est certes une mesure radicale. Mais on voit difficilement quelle autre mesure pourrait être aussi efficace et sûre, comme il le faut en l'occurrence. De toute façon, on a vu qu'on devait concéder, sur ces différents points, un certain pouvoir d'appréciation aux autorités nationales.

Il faut encore relever trois éléments:

Une garantie supplémentaire est fournie par la condition que la personne morale visée elle-même et / ou ses dirigeants aient déjà été condamnés au moins à deux reprises pour des infractions dont le législateur a considéré qu'elles étaient celles qui étaient le plus fréquemment commises par des "sectes". Il est vrai que cette exigence n'est point parfaitement ciblée, on l'a vu. Mais elle n'en contribue pas moins à établir la dangerosité de la "secte".

De plus, même si toutes les conditions légales sont remplies, le tribunal n'est pas tenu de prononcer la dissolution. Il peut y renoncer si certaines circonstances font apparaître, par exemple, que cette mesure n'est d'aucun profit dans le cas particulier.

Enfin, la personne morale visée jouit des garanties de la procédure judiciaire, notamment de son caractère contradictoire. La procédure introduite par les alinéas 2 à 4 est sans doute plus rapide que la procédure ordinaire, mais elle laisse à la personne morale incriminée le temps nécessaire à sa défense.

b) Article l9

La plupart des observations faites à propos de l'article premier sont valables ici. L'article 19 tend à protéger la jeunesse, qui, souvent "déstabilisée", est particulièrement exposée à être séduite par les personnes morales visées par la loi. Le but est légitime. La mesure répond à un besoin sérieux. Enfin, il semble nécessaire que l'Etat agisse par la voie pénale; ce moyen et la sanction prévue sont adéquats et, quant à la proportionnalité, ils ne paraissent pas dépasser la marge d'appréciation des autorités nationales.

c) Article 20

Comme on l'a vu, cet article, qui est d'application générale, ne fait que développer sur deux points l'ancien article 313-4 du code pénal. Ces adjonctions visent un but légitime, qui est de protéger mieux, à côté des mineurs et des autres personnes d'une particulière vulnérabilité, celles qui sont dans un état de sujétion psychologique ou physique résultant de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer leur jugement. Le but est légitime, le moyen paraît adéquat et ni l'incrimination elle-même ni les sanctions prévues ne semblent dépasser les limites du pouvoir d'appréciation de l'autorité nationale.

d) Article 22

La possibilité, pour certaines associations bien définies, de se constituer parties civiles dans les procédures prévues par la loi du 12 juin 2001 est légitime et adéquate. Elle répond à un besoin et ne va pas au delà de ce qui est nécessaire pour le satisfaire.

Conclusion

De ce qui précède, je déduis que la loi française du 12 juin 2001 n'est pas incompatible avec les valeurs du Conseil de l'Europe.

Cependant, elle n'a pas été appliquée jusqu'ici, à ma connaissance. Selon la jurisprudence nationale qu'elle engendrera, il se pourrait que l'on doive revoir cette appréciation. Aussi bien chaque application de cette loi pourra être déférée à la Cour européenne des droits de l'homme dans les conditions prévues par CEDH.

ANNEXE I

se reporter à loi12.htm



 


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