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Interview d'un couple d'ex-scientologues sur France 3

Le 29 avril 1992, France 3 diffusait une émission intitulée "L'empire des sectes". L'émission a débuté avec un reportage essentiellement consacré à une découverte de l'univers insolite de la Scientologie au moyen d'une caméra dissimulée dans le sac d'une personne volontaire. Le débat a été ensuite ouvert par l'animateur Jean-Marie Cavada en compagnie d'invités dont faisait partie un couple d'ex-scientologues.

 Voici leur témoignage.

 (voir aussi au cours de cette même émission La Scientologie est-elle une secte raciste ?, la publication du témoignage par l'ADFI Pour mes trois enfants, rendez-moi mon argent ! et l'article de La Croix Eglise de Scientologie, le combat d'une femme).

 

Jean-Marie Cavada : Je vous présente à la suite de ce document Pierre et Claude qui sont mariés, 4 enfants. Vous avez passé près de 9 ans dans l'Eglise de Scientologie. J'aimerais que vous expliquiez ce qu'a été votre vie dans cette église et si les choses que vous vous avez vécues, au passage, recoupent ce que vous avez vu dans le reportage.

 Pierre : Oui tout à fait. Le reportage donne un panorama assez précis. Dans notre cas, nous avons vécu de l'autre côté de la barrière, c'est-à-dire que nous avons été membre du personnel en Scientologie, ce qui était une expérience encore plus intense si l'on peut dire.

 Jean-Marie Cavada : Vous avez été recrutés comment ?

 Pierre : Alors moi j'ai connu la Scientologie par l'intermédiaire d'une conférence qui se produisait dans une université à Pau. Donc il n'était pas question de religion ou de quoi que ce soit, c'était sous le patronage de l'université.

 Jean-Marie Cavada : Vous y êtes allé librement évidemment ?

 Pierre : Oui bien sûr.

 Jean-Marie Cavada : Que cherchiez-vous en y allant ? Est-ce que vous saviez ce que vous alliez y trouver ? Et quel était état de votre mental ?

 Pierre : Alors là je ne savais absolument pas ce que j'allais y trouver. J'y allais par recherche et par curiosité. A l'époque j'avais 20 ans, donc euh... c'est sûr que j'étais un petit peu en désaccord avec le monde qui m'entourait. Je cherchais... C'était ni plus ni moins qu'une démarche vers une conférence, un approfondissement des connaissances.

 Jean-Marie Cavada : Et vous, madame, quelle démarche avez-vous eue ? J'imagine que, vous aussi, vous y êtes allée librement. Quel était votre mental ? Est-ce que vous cherchiez également quelque chose ? Est-ce que vous y êtes allée par des voies différentes ?

 Claude : C'était un petit peu différent, oui. Moi aussi, j'avais 20 ans donc je pense qu'à cet âge si on cherche à s'améliorer et qu'on veut trouver une philosophie meilleure, c'était quand même bon de regarder autre chose que ce que nous appris notre éducation, à l'école. Donc c'est par pure curiosité que j'ai accepté un livre qu'un ami m'a prêté. Je n'ai pas eu à faire la démarche d'aller dans une organisation. Comme ce très bon ami à moi m'a passé le livre, je l'ai pris en toute confiance. D'ailleurs, on ne savait pas, ni lui ni moi, tout ce qui allait y avoir derrière.

 Jean-Marie Cavada : Je voudrais vous demander à l'un et à l'autre au bout de combien de temps vous êtes devenus cadre et quelle promesses d'avenir vous a t-on faites ?

 Pierre : En ce qui me concerne, je suis très vite devenu cadre.

 Jean-Marie Cavada : Très vite, c'est quoi ? Quelques semaines ?

 Pierre : Pas loin. Raisonnablement 2 mois. Et après cela n'a cessé d'évoluer jusqu'à ce j'arrive dans une organisation située à Copenhague et qui chapeaute l'Europe et l'Afrique, pour laquelle j'étais cadre.

 Jean-Marie Cavada : Et vous as t-on fait de promesses d'avenir ? En d'autres termes qu'est-ce qui a fait que quelqu'un qui cherchait quelque chose est entré dans une organisation pour aller travailler ?

 Pierre : Disons que, vu mon âge, je n'avais pas de situation professionnelle établie, je n'avais pas de plan de carrière ni quoi que ce soit, et c'était formidablement intéressant de pouvoir s'occuper et d'avoir un impact sur plusieurs pays.

 Jean-Marie Cavada : Pierre, puis-je vous demander quelles formes de responsabilité vous avez exercées et très précisément au nom de ces responsabilités, qu'avez-vous fait ?

 Pierre : Et bien je vais passer parce que j'ai fait beaucoup de postes, mais mon dernier poste était " communicateur " de Ron Hubbard...

 Jean-Marie Cavada : Qu'est-ce que cela veut dire ?

 Pierre : Cela veut dire que j'étais chargée de m'assurer de l'application des règlements dont on a parlé notamment dans le reportage.

 Jean-Marie Cavada : Et vous même, madame, qu'avez-vous fait ? Avez-vous eu des responsabilités aussi ?

 Claude : Oui, mais pas au niveau administratif. J'avais la responsabilité des cours. J'étais superviseur de cours, puisque la Scientologie c'est des cours et de l'audition, et que je devais vérifier que les étudiants assimilent bien la doctrine et surtout qu'ils ne dévient pas.

 Jean-Marie Cavada : Est-ce qu'il est indiscret de vous demander combien vous étiez payés pour votre dernier travail ?

 Claude : Alors là c'est facile... (ironique).

 Pierre : Cela variait entre 0 et 100 francs par semaine, je n'ai jamais été payé au-delà.

 Jean-Marie Cavada : Et dans ce monde là, il n'y a pas plus de 4 semaines par mois... Donc en gros 400 ou 500 francs par mois. Hébergés, nourris, logés ?

 Pierre : Voilà. Disons que pour détailler la paye, étant donné que nous étions hébergés, logés et nourris. Cet hébergement était à concurrence de 400 francs. On avait droit à une somme qui n'était même pas versée puisqu'automatiquement retenue.

 Jean-Marie Cavada : Quels étaient vos liens avec l'extérieur ? Vous a t-on fait des recommandations quant au comportement vis-à-vis de l'extérieur ? En avez-vous même fait à d'autres personnes ?

 Pierre : Bien sûr puisque en tant que cadre, j'ai eu des directives à faire appliquer conformément à tout ce qu'on a vu dans ce reportage. Je l'ai donc fait faire moi-même. Les liens avec l'extérieur étaient très particulier. Ce que j'ai vécu dans la Scientologie était un monde à part, et le but était justement de changer la société dans laquelle nous évoluons.

 Jean-Marie Cavada : Changer avec quoi ? Avec des consignes particulières ? Par exemple, il y a dans ce reportage il y a du vocabulaire qui est surprenant - je m'en tiendrai à ce qualificatif - que d'aucuns jugeront inapproprié à leurs propres convictions - je m'en tiendrai aussi à ce qualificatif. Est-ce que vous mesuriez à ce moment là la signification de ces choses, où est-ce seulement après, en " décompressant " si je puis dire, que vous vous en êtes aperçu ?

 Pierre : Bien sûr puisque tout çà c'était un engrenage. Cela a commencé tout doucement et on s'est pris au jeu, mais pour réaliser tout cela il a fallu plusieurs années, et même actuellement il m'arrive d'utiliser encore des termes de Scientologie dans notre vie de couple. On n'est donc pas encore purgés de ces choses là.

 Jean-Marie Cavada : Vos relations avec vos enfants, madame et monsieur. Vos enfants étaient-ils avec vous quotidiennement ? Etaient-ils pris en charge par l'organisation ? Comment cela se passait exactement ?

 Pierre : A Copenhague, oui. Il y a une nurserie. C'est une vie quasiment communautaire. On vit dans un immeuble commun. Et les enfants sont pris en charge par une nurserie.

 Jean-Marie Cavada : Et le soir, étaient-ils avec vous par exemple ?

 Pierre : Alors pour donner les horaires, nous les abandonnions vers 8 heures et demie à la nurserie qui les prenait en charge toute la journée. Nous avions droit à un droit de visite d'une demi-heure en début de soirée. Et après nous retournions travailler jusqu'à 22 heures et parfois minuit. Lorsqu'on retournait dans la chambre ils dormaient.

 Jean-Marie Cavada : Qu'aviez-vous comme logement ? Un appartement ?

 Pierre : Une chambre. Dans notre cas nous étions quatre. On avait deux enfants à l'époque. Nous avions droit à une chambre de 10 mètres carrés.

 Jean-Marie Cavada : Est-ce que vous diriez objectivement que vos enfants ont été conditionnés ? Ont subi uniforme d'éducation ? Est-ce qu'ils en ont souffert ? A vous de choisir l'exactitude des propos qui sont important pour ceux qui vous regardent.

 Pierre : Dans notre cas ils n'ont pas eu le temps d'être conditionnés, parce que nous sommes partis avant. Il y a eu quelques séquelles mais on ne peut pas dire que ce soit grave.

 Jean-Marie Cavada : Quand vous dites des séquelles, c'est quoi ? Ce sont des habitudes qui ont été prises ?

 Pierre : Voilà. Ils auraient pris des habitudes. Mais nous avons réagi à temps.

 Jean-Marie Cavada : Dites-moi, avez-vous cru à ces choses comme " thétan " et " Xenu " ? Qu'est-ce que cela signifiait pour vous ?

 Pierre : Je n'ai pas eu l'occasion de faire sa connaissance (de " Xenu ", ndr) par les documents parce que ce dont vous parlez est à un niveau secret en Scientologie. Même à l'intérieur de la secte, c'est un niveau que l'on ne peut découvrir que lorsqu'on a atteint un certain stade de formation.

 Jean-Marie Cavada : Pourquoi et comment en êtes-vous parti ?

 Pierre : Par des désaccords répétés.

 Jean-Marie Cavada : Et vous madame ?

 Claude : Et bien on était ensemble, donc à chaque fois on se consultait. Il y avait tout le temps des choses en contradiction, déjà à l'intérieur de l'église, entre ce qui sa faisait et ce qu'Hubbard avait écrit. Ce n'était pas comme sur le papier et c'était fréquemment comme çà.

 Jean-Marie Cavada : Est-ce que vous n'avez pas été confrontés à des problèmes financiers ?

 Claude : Tout à fait.

 Jean-Marie Cavada : Pouvez-vous nous expliquer pour qu'on comprenne le système ?

 Claude : C'est à peu près ce qu'on a vu dans le reportage. C'est de cet ordre là.

Jean-Marie Cavada : C'est-à-dire ?

 Claude : Des prêts, beaucoup de prêts. Et un engrenage financier qui vous dépasse. Cela nous dépassait certainement parce qu'au moment où on signait des chèques de sommes importantes, on est suffisamment endoctrinés pour euh...

 Pierre : On ne mesure plus l'importance de tout çà.

 Jean-Marie Cavada : C'est-à-dire que vous êtes dans un monde qui est finalement relativement isolé et vous ne mesurez plus la conséquence des actes matériels que vous êtes amenés à faire vis-à-vis du monde extérieur ?

 Pierre : Pour ma part, j'avais perdu tout repère par rapport à ce que je faisais.

 Jean-Marie Cavada : Cela vous a coûté combien cette aventure ?

 Claude : 500.000 francs à peu près.

 Jean-Marie Cavada : Pour être très précis vous avez reçu l'aide, pour " atterrir " si je puis dire, pour réintégrer le monde extérieur - ce qui ne doit pas être facile - des autorités publiques. A vous de choisir de les nommer ou pas d'ailleurs. C'est exact ?

 Claude : Oui. On a fini par avoir des ennuis avec les banquiers et avec la justice à cause du cycle financier qui nous échappait complètement. Et comme on est dans un monde à part, comme on est décalé de la réalité, on déconnecte de ces choses là.

 Pierre : Dans notre démarche, lorsqu'on s'est retournés et qu'on a voulu remettre les choses en place, on a été aidé par l'ADFI.

 Jean-Marie Cavada : Avec le recul, vous diriez à ceux qui regardent que les pratiques que vous avez connues et dans lesquelles vous êtes allés de votre gré, il faut bien le dire, c'est d'ailleurs là toute la force de ce système - si c'est une force - , vous diriez que c'est un système de quoi ? Qui a fait de vous quoi ?

 Pierre : Moi j'estime que durant ces 9 années, il y a eu manipulation. C'est vrai que j'étais volontaire. C'est sûr que j'ai eu une responsabilité. Mais il y a eu abus de confiance. Il m'a été promis des choses qui n'ont pas été tenues. Il y a eu privation de...

 Jean-Marie Cavada : Qu'est-ce qu'on ne vous a promis et pas tenu ?

 Pierre : Dans les résultats de certains cours qui sont proposés par exemple. Ou dans des buts personnels que l'on avait par rapport à la Scientologie. Dans les libertés qui auraient pu être respectées.


Diffusion d'un reportage sur le suicide d'un ancien adepte (voir l'exposition des faits dans un extrait du verdict du procès de Lyon en 1996)


Jean-Marie Cavada : Encore une question sur ce problème matériel qui est une des conséquences de l'engrenage et de l'isolement dans lesquels vous avez déclarés vous y être sentis. Claude, c'est aussi à cause de problèmes financiers que vous avez eu maille à partir avec la justice. C'est aussi ce qui provoqué votre rupture (avec la Scientologie). Je voudrais vous demander jusqu'où vous étiez prête à aller pour rester et " satisfaire aux besoin de l'Eglise " ?

 Claude : Et bien justement, c'est qu'il y a de " formidable " dans ce genre d'église, c'est qu'il n'y a jamais de fin, çà ne s'arrête pas, on peut toujours aller à l'infini, toujours s'améliorer. Et quelque part çà m'a choqué particulièrement à la fin, parce qu'on peut atteindre un état de " surhomme " et puis, non, il faut toujours aller encore plus loin, encore et toujours, il n'y a pas de limite. Donc il n'y a pas non plus de limite pour payer, parce que c'est toujours de plus en plus cher.

 Jean-Marie Cavada : Mais vous étiez d'accord pour devenir un " surhomme ", un esprit de plus en plus volontariste, mais visiblement il y a un moment où financièrement cela a commencé à coincer quand même.

 Claude : Oui, tout à fait. Mais j'emploie le mot " surhomme ", c'est une image...

 Jean-Marie Cavada : Oui, le dépassement en quelque sorte...

 Claude : Oui, s'améliorer, tout simplement.

 Jean-Marie Cavada : Et vu d'aujourd'hui, que pensez-vous de votre attitude, madame ?

 Claude : Je suis sûre de toute façon que j'ai été manipulée et robotisée. On parle beaucoup du langage de la Scientologie. Et quand on est dans le cocon de cette secte, on est bercé par tous ces mots là et cela devient un langage courant qui fait que même lorsqu'on va acheter une baguette de pain, il y a déjà une barrière au niveau du langage, comme si on était un étranger.

 Jean-Marie Cavada : Quand vous êtes devenue cadre permanent, est-il exact qu'on vous a fait signer une facture en blanc ?

 Claude : On m'a fait signer des reconnaissances de dettes.

 Jean-Marie Cavada : Et vous aviez contracté des dettes ?

 Claude : Non. Simplement quand j'étais membre du personnel, j'étais soi-disant auditée " gratuitement " et je recevais de la technique d'Hubbard " gratuitement ", mais je devais à chaque fois signer une reconnaissance de dettes comme quoi si je n'étais plus scientologue, je devais " rembourser " des grosses sommes à la Scientologie (ndr : c'est un des multiples procédés employés par la secte pour tenir l'adepte en laisse. D'ailleurs, l'Eglise de Scientologie n'hésite pas parfois à menacer l'ex-adepte de le poursuivre en justice pour réclamer cet argent. Ce que l'adepte ignore en général, c'est que cette secte ne mettra jamais ce genre de menace à exécution, pour la simple raison que cette forme de reconnaissance de dettes est totalement illégale, et qu'elle le sait très bien !).

 Jean-Marie Cavada : Grosses sommes, cela veut dire combien au total ?

 Claude : Cela s'élevait à environ 140.000 francs.

 Jean-Marie Cavada : J'ai un point précis encore. Vous avez fait une semaine de grève de la faim en 1989. Quelle le but ? Récupérer votre argent ?

 Claude : Ce n'est pas une grève de la faim qui est venue comme çà, je ne me suis pas dit " tiens je vais faire une grève de la faim ". C'est très difficile d'expliquer tout le contexte, mais on en était venus à un point où les huissiers venaient à la maison, où on ne pouvait plus rembourser les prêts, où nos enfants n'étaient même pas scolarisés. Il y a un moment où j'ai commencé à devenir malade, à devenir anorexique, à ne plus pouvoir dormir. A ce moment là, j'ai commencé à demander à l'église mon remboursement. Je me suis aperçue à ce même moment qu'ils ont commencé à être odieux avec moi, alors que j'étais un ex-membre. Je leur ai pourtant rappelé " qu'Hubbard a dit que si on n'était pas content, on pouvait être remboursé, donc je veux être remboursée ". En fait, çà n'est pas du tout appliqué et j'ai rué dans les brancards très longtemps, j'ai tenu deux mois ainsi, j'avais perdu 10 kilos en très peu de temps tandis que j'étais toujours au téléphone en train de les harceler pour qu'ils me remboursent. Et comme ils ne l'ont pas fait, je n'avais plus que cette solution : faire une manifestation pacifique, mais qui devait amener à un résultat. J'étais obligée, je devais ramener cet argent à la maison. Pour moi c'était vital.



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