La Scientologie contre l'égalité

Cet article est le deuxième d’une série de trois écrits pour BULLES par Paul Ariès sur la Scientologie. Le premier article , intitulé "La Scientologie contre la liberté" est paru dans le n° 63 ; le dernier , "La Scientologie contre la fraternité" paraîtra dans le numéro du deuxième trimestre 2000.
( Source : Bulle n° 65 - 1er trimestre 2000 )

Paul Ariès est chercheur associé de sciences politiques à l'Université de Lyon 2 et spécialiste reconnu de la question des sectes - Cet article reprend l'essentiel de l'argumentation développée dans ses divers travaux, notamment son ouvrage "La Scientologie : Une secte contre la République" - Éditions Golias, 1999 - avec préface d'André Vivien

 


Introduction
Les limites à la communauté des égauxcientologique
Le Tableau des grades
L'état de Clair
L'état de Thétan Opérationnel
Le Tableau d'évaluation humaine
Le système disciplinaire
La délation systématique
Les conditions d'éthique


Introduction

"Vous êtes le mouvement le plus fort sur la surface de cette planète aujourd'hui (...) Les scientologues, à l'échelon mondial sont les gens les plus intelligents du monde"(L. Ron Hubbard)

La Scientologie propose de par sa doctrine et son fonctionnement une remise en cause de l'égalité entre les humains. Les révélations des ni-veaux secrets ne font que confirmer la volonté de mesurer les hommes, de les hiérarchiser et de les cliver en catégories. Le but objectif de la Scientologie est donc bien de briser l'égalité entre tous les humains. Le parcours scientologue apparaît donc formellement comme un enchaînement d'étapes. Les premiers niveaux sont publics, les niveaux supérieurs sont naturellement secrets. Ils représenteraient même un danger vital pour des individus non préalablement initiés. L'adepte accomplit deux parcours en parallèle, l'un de doctrine, l'autre d'audition. Le premier parcours dénommé "entraînement" consiste en une étude intensive des Écrits. Cette formation s'accomplit sous le contrôle d'un "superviseur de cours". Il existe en outre au sein de chaque "Académie" un "Clarificateur de mots" chargé de l'orthodoxie. L'adepte accomplit également un parcours en audition c'est-à-dire un travail psychique censé lui permettre de se libérer des engrammes en fonction des révélations doctrinales.

Les limites à la communauté des égaux

"Des preuves scientifiques établissent avec une certitude absolue que seul un dixième de la population a des capacités supérieures et que, dans ce dixième, le dixième supérieur appartient à la Scientologie (...) Il e en est ainsi. Nous constituons le dixième supérieur du dixième supérieur" (L. Ron Hubbard, The Auditor Europ-Africa, 127)

La Scientologie n'a de cesse de mesurer l'homme et de le cliver ensuite en catégories inégalitaires. Son programme est de passer de l'homo-sapiens à l'homme neuf (sic). On peut penser qu'à ses yeux certains ont déjà accompli cette métamorphose. Ils n'appartiennent plus à la même espèce que les autres humains, ils ont d'autres pouvoirs. Certains ex-scientologues renaîtraient ainsi en conservant le privilège de leur libération.

Le Tableau des grades

Le Tableau des grades est l'objectivation même de ce projet d'inégalité humaine. La première étape consiste à permettre le passage de l'état de préclair à celui de Clair. L'adepte se libérerait des incidents individuels du Thétan lors de chacune de ses vies. Elle comprend 10 étapes introduisant autant de clivages entre des catégories d'homme. Les seconds niveaux font passer de l'état de Clair à celui de pré-O.T. puis d'O.T.. Ils comprennent 15 grades qui constituent autant d'entorse à la "communauté des égaux". Elle marque le passage d'une dimension individuelle à une problématique collective. L'ensemble du parcours entretient l'angoisse des hommes face à leur vécu, leur futur.

L'état de Clair

"Un Clair n'est pas un Surhomme. Il ne se retrouve pas instantanément pourvu d'ailes ou d'une aura de dix kilomètres. Mais il a un certain nombre d’avantages sur les autres. Il a moins d'accident et jamais par sa faute. Il est en bonne santé. Il a à sa disposition toute son expérience passée et toute son éducation, et il peut puiser dedans à sa guise. Ses actes s'appuient tous sur la raison. Il raisonne rapidement. Son temps de réaction est deux fois plus court que la normale. Nous ignorons pour le moment quelle est son espérance de vie, mais nous pouvons supposer qu'elle est supé-rieure à ce qu'elle aurait été s'il était resté aberré. On a généra-lement tendance à considérer le Clair comme une espèce d'attrac-tion foraine. Bon, c'est vrai, il a atteint un état qu'aucun être humain n'avait encore jamais pu atteindre."

(Extrait de Science de la Survie, traduction provisoire communiquée à l'auteur par la Scientologie)

Le Clair n'est déjà plus un humain égal aux autres. L'accès à cet état est obtenu lorsque le "préclair" parvient à se délivrer de ses "aberrations" (de son "mental réactif"). Il faut pour cela se débarrasser de sa part d'humanité qui affaiblit l'individu tout-puissant. L'être Clair reste cependant encore un être composite car il n'est pas complètement "libre" dans son autodétermination en raison de ses restrictions socio-économiques ou physiques qui l'obligent encore à manger, à dormir, bref qui en font un être "encoché".

Le Tableau de Gradation comprend cinq grades successifs menant à Clair :

Le Grade 0 enseigne l'aptitude à communiquer n'importe quoi à n'importe qui,
Le Grade I concerne l'aptitude à reconnaître la source des problèmes et à l'effacer,
Le Grade II soulage des hostilités et des souffrances de la vie,
Le Grade III libère des bouleversements du passé et prépare à faire face au futur,
Le Grade IV permet de se libérer des conditions fixes et de faire de nouvelles choses.
L'adepte doit donc se libérer des entraves mais cette liberté n'est pas donnée comme illimitée car cette liberté postule la reconnaissance de barrières et de buts. Les barrières (idées inhibitrices) sont définies en fonction des buts que l'on se donne. L'objectif est de devenir pandéterminé c'est-à-dire d'être capable de dominer le jeu. L'individu pandéterminé déterminerait ainsi ses propres conditions et celles des autres.

L'état de Clair a reçu plusieurs définitions. Il a été classé, déclassé, reclassé, etc. L'idée reste cependant qu'un individu est Clair lorsque son "bank" d'engrammes est mis au Clair. Il aurait retrouvé sa personnalité fondamentale (d'avant son "mental réactif"). Il posséderait des aptitudes insoupçonnées, son QI serait beaucoup plus élevé, il ne pourrait plus se tromper sauf données fausses dans la section raisonnable de son mental. Il n'aurait ni maladie psychosomatique active ou potentielle, ni aberration (Hubbard). Le Clair serait un homme neuf voyageant entre l'homo sapiens et l'être tout-puissant. La durée nécessaire pour devenir Clair serait en moyenne d'un à deux ans. Certains individus naîtraient Clairs en raison de leur vie précédente en tant que scientologue.

L'état de Thétan Opérationnel

"Le triomphe consiste ici à avoir un thétan existant en tant que thétan, se trouvant à l'extérieur du corps, accomplissant des choses et changeant le corps. Nous savons que le thétan peut aller à l'extérieur du corps, et nous savons qu'il peut régénérer et nous savons qu'il peut gravir l'échelle des tons. Nous savons que le fait de le faire sortir et de l'amener au point où il le fait peut changer du tout au tout le comportement et l'état d'esprit de l'individu. Il est à l'évidence au mieux de ses capacités lorsqu'il est le plus en mesure de déterminer le temps et le lieu où appliquer l'énergie (...) Lorsqu'il sort de ce corps pour la première fois, il sait qu'il a gagné le gros lot, bien sûr, mais il n'arrive pas tout à fait à se décider à quitter son chez soi pour aller toucher son gain" (L. Ron Hubbard in Source issue 63).

La Dianétique ne prévoyait pas initialement ces fameux niveaux confidentiels. Ils n'ont été développés par Ron Hubbard qu'à partir de 1966 provoquant de nombreux départs.

L'accès aux niveaux de Thétan Opérationnel ou opérant (O.T.) est ouvert aux Clairs. Ce passage est obligatoire pour accoucher du surhomme que cha-cun possède en soi. Il est prévu par la "technique 88" qui vise à débarrasser vraiment l'individu de son corps Elle est dénommée "88" pour signifier qu'elle apporte l'infini "8" au carré "88". Le Thétan serait à même de contrôler la Matière, l'Espace, l’Énergie et le Temps (MEST) : La progression de l'état de Clair à celui d'OT marque aussi le passage de la dimension individuelle à la dimension collective de l'histoire et aussi des causes des aberrations. L'histoire collective n'est en effet pas moins traumatisante que l'histoire personnelle. Elle est faite d’événements dramatiques ayant causé des torts à l'espèce humaine. La Scientologie envisage l'existence de deux macro-événements dénommés "incidents". Les niveaux d'OT permettraient de "retraverser" ces "incidents" pour libérer les thétans (1).

La Scientologie propose de rendre chacun tout-puissant mais elle est une entreprise de fragilisation de l'individu par "purification" (expulsion) de l'humain dans l'homme. Il s'agit d'abord de se débarrasser des toxines et autres radiations (programme de purification) puis de se "purifier" des "faux buts" (transmis notamment par la société) ou des "valences" (identités notamment transmises par la famille), de se "purifier" aussi des parcelles d'autrui qui se trouvent en nous (OT III, OT V, OT VII) et enfin de purifier le groupe lui-même de ses adversaires (suppressifs ou sources potentielles de troubles). Admettons même que ce culte de la toute-puissance entretenu par la Scientologie soit sincère, il n'en reste pas moins qu'il représente un danger certain pour chacun de nous.

Le Tableau d'évaluation humaine

La Scientologie n'en a jamais fini avec son fantasme de perfection et de toute puissance. Son Tableau d'évaluation établirait "scientifiquement" l'inégalité entre les humains. L’Échelle des tons constitue certes un bon instrument d'analyse et de traitement des hommes mais il manquait sans doute encore une méthode fiable d'évaluation humaine. Ron Hubbard a donc conçu ce tableau standard qui met en relation les niveaux de l'échelle des tons et 24 autres paramètres comme le degré d'éthique, de responsabilité, la façon de considérer la vérité, l'état de santé, le comportement sexuel, l'attitude envers les enfants, etc. Ce tableau classe les êtres de "potentiel de survie" jusqu'à "réceptibilité à l'hypnose". Il est valable pour tous les individus mais aussi pour tous les groupes. On pourrait ainsi examiner les réactions habituelles d'une entreprise, d'une nation, d'un peuple et déterminer ensuite sa position exacte sur ce Tableau d’Évaluation Humaine. L'objectif pourrait être d'estimer le potentiel de survie d'un individu, d'une entreprise.

La Scientologie accompagne son document standard de deux constats :

1- Les positions occupées dans chacune des colonnes sont toujours symétriques :

"Si vous êtes 3,0 sur l'Echelle des tons, alors vous vous retrouvez à 3,0 dans chaque colonne du Tableau". (Extrait du Manuel de la Scientologie )

2- La seule erreur possible consiste à ne pas croire que ce tableau est toujours exact

L'individu comme l'entreprise ou la nation auraient donc leur niveau de ton chronique. La Scientologie propose d'élever ce niveau "normal" de chacun grâce à l'Audition. Les cas d'utilisation sont larges : choix de l'associé, de l'époux, d'un ami, d'un salarié, etc. Ce document reçoit semble-t-il un accueil parfois favorable auprès de certains patrons.

Ce tableau d'évaluation humaine comme l'échelle des tons est à la fois une fantasmagorie née d'un désis de "toute puissance" mais aussi la trace de cet effort constant d'élimination de l'humain dans l'homme. La visée est toujours la même : substituer des techniques à la culture, remplacer des interdits par des normes, supprimer le hasard, éliminer la faiblesse, interdire l'imperfection, "être cause sur la vie", etc. La Scientologie dit que ce système peut être utilisé pour choisir des associés, des amis. On peut déjà douter de la qualité d'une relation humaine fondée sur une telle objectivation. Il serait triste de choisir ainsi ses amis, sa compagne ou son compagnon en laboratoire. On ne voit pas ce que l'homme aurait à gagner de cette mise en équation de l'humain. On pressent en revanche tout ce qu'il aurait à perdre en termes d'authenticité, de vérité. Il est même certain que cette "tech" loin de donner la performance visée serait "iatrogène" (2). Les institutions ne recruteraient finalement que des personnages standardisés, banalisés.

Le système disciplinaire

La gestion inégalitaire des hommes suppose l'existence d'un système disciplinaire. La scientologie postule que l'homme est bon mais distingue l'élite, le suspect et l'asocial. Chaque homme voit son "éthique" définie par sa position sur "l'échelle des conditions". Toute activité est pour cela systématiquement encadrée, quantifiée, enregistrée.

L'Org. dispose pour cela d'Officiers d'Ethique mettant en oeuvre plusieurs procédures. (confessions en audition, interrogatoires de sécurité pour les adultes ou les enfants, etc.). La Scientologie oppose tout d'abord les "bons" et les "méchants" (les "suppressifs"). Ces derniers sont ceux qui "suppressent" la Scientologie c'est-à-dire qui la critiquent. Il existe en outre une troisième catégorie plus problématique car composée des P.T.S. Ces Sources Potentielles de Trouble (PTS) sont ceux qui font des "montagnes russes" c'est-à-dire qui présentent des variations de tonus (accident, maladie, hérésie, etc.).

Cette catégorie charnière fait tomber en fait l'humanité entière dans une position déchue. Le sujet en "mauvais standing" subit l'un des 34 degrés de sanction (perte d'un droit, etc. ).

Des centres de redressement (Rehabilitation Project Force) ont été créés depuis 1973. Les condamnations atteignent plusieurs mois avec travail physique et rééducation.

La Scientologie développe des tech de gestion des relations familiales soit de caractère soporifique (pour les gentils) soit incitant à la rupture obligatoire des liens.

Elle estime que les personnes antisociales seraient 20 % dont 2,5 % vraiment dangereuses. Elle explique ainsi que ses adversaires qualifiés d'ennemis ont tous un passé criminel. Elle se heurte cependant à sa propre logique normalisatrice : elle a du ainsi établir des garde-fous en définissant un pourcentage normal de "PTS-SP", en mettant en garde ses Officiers d’Éthique contre les "fausses conditions PTS" et en prononçant des amnisties.

La délation systématique

La délation systématique est le meilleur moyen de briser tout sentiment d'égalité.

La Scientologie a donc prévu, outre la délation orale, vingt types de rapports obligatoires :

Rapport de dégâts : tout dégât fait à quelque chose, ainsi que le nom de la personne chargée de l'objet ou de son nettoyage.
Rapport de mauvais usage : mauvais usage ou détournement de l'équipement, des matériaux ou des locaux.
Rapport de gaspillage : gaspillage du matériel de l'Org.
Rapport de paresse ; inutilisation du matériel ou inactivité de la personne qui devrait être en action.
Rapport d'alter-is : altération du but, de la policy, de la technologie, ou erreurs faites lors de construction.
Rapport de perte ou vol : disparition d'une chose qui devrait se trouver là, en donnant ce que l'on sait de sa disparition.
Rapport de non-obéissance : désobéissance ou inexécution.
Rapport de Dev-T : activité ou propos hors ligne, hors règlement, hors origine.
Rapport d'erreur : toute erreur commise.
Rapport de délit : tout délit constaté.
Rapport de crime : tout crime constaté.
Rapport d'absence de rapport : tout manque de rapport, rapport illisible ou dossier illisible.
Rapport de faux-rapport.
Rapport de fausse attestation.
Rapport d'ennui : tout ce qui vous ennuie, en indiquant la personne ou portion de l'Org qui ennuie ; on n'en fait pas sur le Dépt inspections et rapports ni sur une Org supérieure.
Rapport de mise en danger de poste : obligation de rapporter tout ordre reçu d'un supérieur mettant en danger son propre travail par altération ou déformation de la Policy ou des ordres d'un supérieur du supérieur.
Rapport d'alter-is technique : toute altération de technologie qui ne soit pas ordonnée par un HCOB, un livre ou une bande de LRH.
Rapport de non-obéissance technique : tout manquement à appliquer la procédure technologique correcte.
Rapport de connaissance : faire remarquer qu'une enquête a lieu et faire connaître à L’Éthique des données de valeur.

Cette délation systématique remplit trois grandes fonctions :


1- La délation nourrit le fonctionnement répressif de la Scientologie puisque ses organes disciplinaires obtiennent ainsi une quantité considérable d'informations. Le fait que cette délation soit considérée comme amicale voire religieuse ne change rien.

2- La délation produit ensuite un effet préventif en instaurant un climat d'insécurité.

Elle engendre une méfiance réciproque entre adeptes et une autodiscipline efficace. Chacun se sachant épié devient progressivement son propre bourreau (surveillant). Elle favorise le respect de la Tech, interdit le fléchissement de l'activité, la liberté de propos.

3- La délation équivaut enfin à l'interdiction des amitiés privées (type couplage) car elle consiste à apprendre à se méfier de chacun. Elle aboutit à un devoir de solitude. Elle instaure un véritable système d'évitement des relations individuelles/collectives. Les relations entre adeptes restent donc superficielles, d'autant plus que la "Tech verbale" c'est-à-dire le fait de parler librement de doctrine est strictement interdit.

Ces divers rapports sont classés par le dé-partement chargé de l’Éthique dans le dossier de l'adepte ou éventuel-lement en cas de faute collective dans celui de la portion de l'Org. La direc-tion peut toutefois nettoyer certains rapports pour rendre une "bio" conve-nable. Elle créerait ainsi des "biolégendes" conformes au statut d'un nou-veau dirigeant.

Ces "Life story" permettraient aussi de s'assurer que les adeptes aient le niveau d'éthique requis par l'organisation à laquelle ils appar-tiennent, le niveau des exigences étant en effet proportionnel à la place occupée au sein de la structure scientologique : un membre de la Sea-Org devant être plus éthique qu'un staff (pas de L.S.D. par exemple), un membre du HCO ou un Messager (CMO) doit être plus éthique qu'un Sea-Org, etc.

Les conditions d'éthique

La Scientologie, en distinguant douze conditions d'éthique, hiérarchise l'homme :

Puissance , Transmission de pouvoir , Affluence , Normale, Urgence, Danger , Non existence , Liabilité ou risque , Doute , Ennemi , Trahison , Confusion

Les conditions d'éthique se suivent dans un ordre rigoureux. La première étape d'une formule succède directement à une autre. Le passage d'une condition dépend donc du volume de travail ou des niveaux de formation acquis donc préalablement achetés. La déclaration d'une condition est fondée sur la seule observation des statistiques d'activité.

L'adepte est pour cela sans cesse "mesuré", "contrôlé" dans chacune de ses activités. Chaque personne ou groupe est ainsi placé dans une certaine condition d'existence. Il doit alors obligatoirement effectuer certains actes, ne pas en faire d'autres, etc. L'objectif est toujours de parvenir à une condition plus haute en augmentant sa production (stats).

La gestion de l'éthique se trouve déshumanisée car elle repose sur une objectivation intégrale de l'être humain et de ses liens au point d'en faire de simples "choses". Les stats ne sont pas considérées comme un simple moyen ou un artifice pour appréhender l'autre, elles sont données comme le seul chemin menant à sa vérité et à son être même. Le sujet se réduit à cette objectivation, à cette mesure, bref à cette instrumentalisation.

La même déshumanisation prévaut encore dans le choix des moyens à mettre en oeuvre pour réhabiliter l'adepte ou le groupe puisqu'il s'agit une fois encore de tech standard. Cette tech est élaborée de façon générale et abstraite sans prise en compte des sujets. L'adepte est produit par le système comme personnage plus que comme une personne.

La baisse des conditions éthiques ne constitue pas seulement une sanction morale. L'adepte devra "remonter ses conditions" en accomplissant divers procédés éthiques. Il devra par exemple confesser de nouvelles erreurs mais aussi travailler gratuitement. Le scientologue placé en "condition de risque" n'est plus seulement, pour utiliser leur vocabulaire, "inexistant" en tant que membre de l'équipe mais il devient un ennemi.

Cette condition de risque est assignée lorsque la personne porte préjudice au groupe. L'action peut avoir été volontaire ou non et le préjudice peut s'avérer grave ou non. Cette condition est distribuée si les conditions précédentes sont restées sans effet. Elle est attribuée "pour le bien des autres" c'est-à-dire en l'espèce de la Scientologie. Cette condition impose de se soumettre à quatre phases :

1- Le scientologue doit (re)définir qui sont véritablement ses amis (les scientologues) et ses ennemis (les anti-scientologues).

2- Il doit ensuite porter un coup efficace contre ses ennemis malgré le danger ou le désagrément que cela peut représenter pour lui.

3- Il doit également réparer le préjudice causé à la Scientologie par une contribution personnelle bien supérieure à ce qui est exigé ordinairement d'un membre du groupe.

4- Il sollicite enfin sa réadmission au sein de l'Org. locale en demandant l'accord de autres membres. Il faut en l'absence de majorité favorable refaire les points précédents.

La procédure a pour fonction officielle d'aider l'adepte à "remonter ses con-ditions". On peut craindre cependant qu'elle n'aboutisse en fait parfois à le blesser narcissiquement. L'adepte est culpabilisé car il doit reconnaître lui-même publiquement ses erreurs. L'Org. lui offre une issue en adoptant son point de vue c'est-à-dire en s'identifiant à elle. Cette identification peut aller jusqu'au sacrifice (symbolique s'entend) puisqu'on exige de l'adepte un passage à l'acte et même au besoin l'endossement de la responsabilité.

La réhabilitation passe par l'accentuation de l'identification au groupe et à ses vues. Ne peut-on pas craindre que cette persécution ne mue parfois l'adepte en auto-persécuteur ?

Il doit en effet entrer en conflit avec le monde suppressif pour retrouver son identité. Il devra donc pour cela se défaire de son mauvais Moi pour s'identifier à son groupe.

La contrition nécessaire pour remonter ses conditions s'apparente à un clivage du Moi. Les psychanalystes ont montré que toute punition (im)méritée contribue à renforcer la culpabilité mais aussi le sentiment du sujet de n'avoir aucun droit (Thoédor Reik). Elle prive aussi du sentiment de sa valeur surtout si l'adepte est désigné comme P.T.S./S.P..

Cette intimidation trouve pourtant une solution possible dans la soumission au groupe. L'obéissance absolue apporte la délivrance. L'adepte découvre la joie dans l'abandon. Il ressent plus que jamais que la "vérité" vient toujours d'"en haut" c'est-à-dire du dehors.

Cette conception géographique de la vérité créée bien sûr une dépendance infantile. La crise remplit par ailleurs une fonction psychique importante car l'exclusion du traître est toujours vécue comme la déjection (purification) du mauvais et de l'impur, etc.

Elle vient donc parado-xalement à travers ses projections renforcer l'unité du groupe.

Elle économise parfois la nécessité (plus coûteuse ?) de s'inventer un adversaire externe.

Paul Aries

NDLR : Il existe un dictionnaire de la Scientologie en anglais : Dianetics and Scientology Technical Dictionary - L. Ron Hubbard - Los Angeles, Bridge Publications Inc,1975 - 571 pages

1 L'espace manque ici pour décrire le contenu exact des huits niveaux secrets vendus plusieurs centaines de millier de francs. Nous avons exposé le contenu précis de ces "secrets" dans la Scientologie, Laboratoire du futur, Editions Golias, 1998; 478 pages.

2 NDLR : qui engendre l’inverse du but recherché, qui est contre-productif.



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