La Scientologie contre la liberté

( Source : Bulle n° 63 - 3ème trimestre 1999 )

Un article de Paul Ariès, chercheur associé de sciences politiques à l'Université de Lyon 2 et spécialiste reconnu de la question des sectes - Cet article reprend l'essentiel de l'argumentation développée dans ses divers travaux, notamment son ouvrage "La Scientologie : Une secte contre la République" - Éditions Golias, 1999 - avec préface d'André Vivien


Introduction
La soumission à la "tech" scientologique
La soumission au groupe
Une religion de la marchandisation de l'homme
La militarisation de la Scientologie

La recherche de la toute-puissance contre l'homme


Introduction

Les sectes actuelles constituent de véritables phénomènes culturels géo-politiques. Il suffit pour s'en convaincre de se souvenir avec quel acharnement l'administration américaine monte au créneau pour défendre "sa" conception de la liberté "religieuse". Le rapport du 17 mai 1999 sermonne ainsi l'ensemble des pays européens qui enquêtent sur les activités sectaires en dehors des seuls actes illégaux.

La cible désignée des gouvernements "liberticides" ne serait pas, en effet, des activités pénalement répréhensibles mais des groupes minoritaires nécessairement sympathiques.

Le fait nouveau n'est pas tellement ce soutien affiché à l'égard de certaines sectes, mais sa visibilité de plus en plus grande notamment en ce qui concerne la Scientologie. Cette dernière ne se prive pas parallèlement de multiplier les signes prouvant qu'elle bénéficie d'un regard compatissant jusqu'au sommet de l'État voire même la Maison Blanche.

Pour ne retenir que deux exemples récents : le président Clinton a manifesté son soutien à la secte dans une lettre reproduite dans une publication récente de la Scientologie. Hillary Clinton a accepté pour sa part de se voir remettre une tapisserie réalisée dans le cadre des activités d'actions caritatives et des actions bénévoles de la Scientologie.

Libre bien sûr aux États-Unis de reconnaître dans la Scientologie une vraie religion, d'autant que ce label ne semble pas d'une grande qualité puisque l'Église d'Euthanasia qui milite pour l'Extinction Volontaire de l'Espèce Humaine se targue d'en bénéficier. Mais le gouvernement américain entend faire école : il menace d'utiliser sa diplomatie de façon énergique - et on sait quels sont en ce domaine ses moyens - afin de défendre partout dans le monde sa conception si particulière des grandes valeurs humaines. L'Europe aura bien besoin de son héritage pour défendre sa version de l'humanisme. Le succès du colloque européen prouve, s'il en était besoin, que les ressources existent. Le meilleur exemple en est sa commune volonté de combattre fermement la Scientologie. Non parce qu'elle serait minoritaire, américaine ou concurrencerait les vieilles religions mais parce qu'elle est une machine de guerre contre l'humanisme et la République.

Doit-on tolérer cette remise en cause des grands principes qui fondent notre société ? Loin d'être un phénomène marginal, elle constitue un laboratoire d'un monde possible. Sa nocivité ne réside donc pas tant dans son altérité exhibée que dans sa capacité à exprimer, de façon caricaturale, des tendances lourdes de la modernité marchande. Elle se veut un programme de réhabilitation permettant de passer de l'homo sapiens à l'" homo novis " (sic), qu'en est-il pourtant en Scientologie de la Liberté, de l'Égalité, de la Fraternité ?

La Scientologie constitue une entreprise de déshumanisation de par son culte de la technique, de par sa mystique de l'institution et de par ses pratiques idéologiques.

Elle ne tend pas à développer l'autonomie de ses adeptes mais les enferme dans un système qui les prive progressivement de toute autonomie, de toute initiative.

Cette soumission est justifiée par la perspective d'une toute-puissance, mais cet échange est un marché de dupe car l'adepte privé de son humanité se retrouve encore plus fragilisé.

La soumission à la "tech" scientologique

La Scientologie considère que le problème dans l'homme c'est l'homme lui-même en raison de ses imperfections, de ses dépendances, de ses faiblesses, bref de son humanité. Elle entend donc chasser l'humain en lui substituant des "tech" censées livrer la puissance.

Il existe des "tech" pour penser, pour communiquer, pour vendre, pour le couple, etc.

Elles sont officiellement l'ouvre d'un américain : Lafayette Ronald Hubbard (1911-1986), auteur prolixe de romans de science fiction mais aussi génie mythomane. Il serait le seul être à avoir trouvé, au péril de sa vie, la " route vers la Liberté totale ".

La Technologie standard qu'il en a tiré permettrait au reste de l'humanité de se libérer. Cette "tech" du bonheur, destiné à rendre fort, débouche en fait sur la servitude. L'individu ainsi réifié devient en effet l'exemplaire d'une identité fondée sur des normes. La Scientologie profane ainsi ce qui est généralement considéré comme sacré (l'humain, le lien social) et sacralise en retour le profane (l'argent, la technique, le marché). Cette sacralisation du profane institue un système excluant toute liberté, toute symbolique.

Ces "tech", présentées comme les plus efficaces au monde, constituent au regard de leur objectif avancé des loupés systématiques comme l'attestent les nombreux conflits qu'ils provoquent dès qu'une entreprise tente, par exemple, de les imposer à son personnel.

La soumission au groupe

L'individu fragilisé par la soumission à des "tech", qui prétendent indûment le transformer en surhomme, n'aura bientôt pas d'autres solutions que de se soumettre à l'organisation.

L'ensemble des "Orgs" agit de façon standard en appliquant les mêmes procédures. Les "Orgs" de base (classe V) vendent les services d'introduction (de "Préclair" à "Clair"). Les "Orgs avancées" (AO) commercialisent les niveaux secrets (de "OT 1" à "OT 8").

Une religion de la marchandisation de l'homme

La Scientologie n'a qu'un seul but : concevoir, fabriquer et vendre des biens de Salut.

Ce prosélytisme commercial permet de vendre un parcours entre 0,5 et 1 MF.

Le rapport parlementaire estime que ses recettes annuelles européennes peuvent être estimées à plus de 300 MF, celles de sa branche française étant évaluées à 60 MF.

La lourdeur de cette emprise financière ne doit cependant pas faire minorer l'existence d'un financement à rebours (centre vers la base) qui jette un autre éclairage sur le système. Les adeptes sont formés pour recruter (cours de dissémination, questionnaire type, etc). Ils apprennent parallèlement à lever leurs propres résistances à l'achat des produits.

Ces cours, destinés à devenir un client docile, doivent être pris en effet très au sérieux.

La Scientologie est aussi présente sur le terrain économique à travers son réseau "WISE". Le plus grave n'est sans doute pas qu'elle dupe parfois certaines entreprises mais que ces dernière soient satisfaites, bref que les transnationales adhèrent à la conception de l'homme, de l'entreprise et de la société que véhiculent ces "tech" scientologiques.

Il n'est pas acceptable, non plus, que d'autres transnationales comme Coca-Cola puissent laisser dire qu'elles financent la propagande scientologique du Chemin du bonheur.

 

La militarisation de la Scientologie

La Scientologie connaît une militarisation croissante derrière son apparence religieuse. La Dianétique se présente en 1950 comme une discipline scientifique et thérapeutique. Elle suscite rapidement l'opposition du corps médical notamment psychiatrique.

Hubbard développe alors la dimension religieuse afin de bénéficier de la protection du Premier amendement de la Constitution américaine et bien sûr de l'exonération fiscale. Il adopte alors tout un arsenal de signes religieux (credo, prières). Après avoir abandonné en 1966 la direction administrative pour se consacrer à ses recherches, il embarque, en 1967, à bord d'une flottille et fonde "Sea Org" (Organisation maritime), véritable organisation paramilitaire avec entraînement, grades et uniformes.

La flotte est désarmée en 1976 car l'état-major s'installe définitivement aux États-Unis. La totalité des postes de direction reste cependant contrôlée par ces moines-soldats ayant signé un engagement d'un milliard d'années, dévoués corps et âmes à l' "Org".

David Miscavige, jeune messager du Commandant - structure fondée pour regrouper les enfants des scientologues chargés de transmettre la parole du Maître - dénonce bientôt l'altération de la "Tech" par David Mayo, dauphin présumé d'Hubbard, et obtient la mise à l'écart des dirigeants du Bureau des Gardiens (dont Mary Sue épouse du fondateur) après leur condamnation par la justice américaine pour espionnage et vol.

L'État-major actuel exerce notamment son pouvoir à travers le " Comité de surveillance " (Watchdog Committee) qui contrôle l'activité des onze secteurs d'organisation et le Bureau International des Affaires Spéciales (Office of Special Affaires International, OSAI), service de sécurité, régulièrement dénoncé pour ses divers agissements.

La Scientologie se caractérise donc par un fantasme de toute-puissance entretenant une mystique de l'organisation pouvant offrir une forme d'étayage à des sujets fragilisés.

La recherche de la toute-puissance contre l'homme

La fragilité des adeptes est produite par une foule de mécanismes, comme son système de statistiques, obligeant chacun à toujours faire plus, objectif voué bien sûr à l'échec. L'adepte placé ainsi en situation d'impuissance ne peut que se soumettre à la "tech". Cette fragilité est renforcée par des mécanismes constants de surveillance et de délation.

La Scientologie libérerait les hommes car ils seraient des "Thétans" (principe spirituel immortel) qui, après avoir créé l'univers, se seraient accidentellement englués dans leur création. Ils auraient perdu leur puissance et auraient régressé jusqu'à oublier qui ils étaient. Le Thétan devenu "Opérant" dominerait matière, énergie, espace et temps.

La solution consiste à effacer les traces des incidents donc à effacer la condition d'homme. L'adepte doit d'abord se purifier de ses toxines, drogues, radiations puis de ses "faux buts" (ceux non "tech"), de ses "valences" (identités données par la culture, etc). Il découvre enfin au cours des niveaux secrets qu'il n'est pas seul dans son être, mais que des milliers d'autres identités lui ont été collées, il y a quelque trillions d'années. Il va alors tenter de s'en débarrasser au moyen d'une forme d'exorcisme "tech" mais sans fin.

Il découvrira cependant plus tard que ce " passage du mur du feu " (OT III) a échoué. D'autres entités endormies (clusters) sont lovées en lui, des morceaux de lui-même sont ailleurs.

Cette doctrine remet ainsi en cause les fondements mêmes du sentiment d'individualité, elle s'en prend à la frontière entre dedans et dehors, entre moi et autre, passé et présent.

Le risque est que ce processus conduise à une forme de décomposition de l'identité. Les adeptes pourraient alors soit se réfugier dans la folie (partir en roue libre) soit incorporer le moi du groupe et le faire fonctionner comme moi propre en s'y identifiant.



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