Ils voulaient faire mourir notre bébé

(Source : Extraits de They wanted our baby to die. Traduction par les éditions Michel Lafon)

 


Lorsqu'on évoque les Témoins de Jéhovah, le chrétien moyen pense généralement à un groupe de personnes bien habillées, frappant à toutes les portes du voisinage pour vendre des livres ou le magazine La Tour de Garde. Pour ma part, c'est plutôt à vingt-huit ans de servitude sous l'emprise de la secte que je pense. Mon grand-père est devenu membre de la Watchtower Society au tout début du XV siècle. Mes parents demeurent des Témoins actifs ; mon père préside même sa congrégation locale.

0n m'a enseigné que les Témoins de Jéhovah sont les uniques détenteurs de la vérité. C'est du quartier général de Watchtower, à Brooklyn, New York, que les quatre millions de fidèles sont contrôlés. J'emploie à dessein le mot « contrôler », car les Témoins de Jéhovah pensent que tout ce qui est écrit dans la Bible de la Watchtower est d'essence divine et ne peut être contesté. Ils ajoutent que des anges insufflent régulièrement de la lumière à leurs dirigeants, les aidant ainsi à interpréter la Bible, et que Watchtower est le seul agent de Dieu sur terre. Par conséquent, ils estiment qu'en dehors de Watchtower l'humanité n'a plus d'espoir. fis sont persuadés qu'eux seuls sont dans le vrai, qu'ils sont les vrais chrétiens, qu'ils seront seuls à connaître la rédemption et que tous les autres seront détruits par Jéhovah lors de la bataille d'Armageddon.

J'ai commencé à servir le Watchtower à plein temps en 1971, après avoir interrompu mes études secondaires sur les conseils de nos dirigeants, qui annonçaient la fin du monde pour 1975. À cette époque, des millions d'adeptes ont encaissé leur police d'assurance vie, abandonné leur poste, et vendu leurs biens pour passer le « peu de temps qui leur restait » à prêcher avant l'échéance fatale. En tant que « pionnier », c'est-à-dire missionnaire de la Watchtower, j'allais de porte en porte. J'essayais de convaincre les gens de se plier à la volonté de Dieu en devenant Témoin pour faire, peut-être, partie des élus sauvés.

Je dis « peut-être » parce qtle tous les Témoins de Jéhovah ne sont pas assurés de leur rédemption. Pour la Watchtower, le chemin de la rédemption réside non pas dans la grâce de Jésus-Christ, dont nous jouissons en proportion de notre foi en lui, mais dans les oeuvres que chacun doit accomplir.

Les ventes au porte-à-porte permettent au Témoin de prouver sa soumission à l'organisation, et sa capacité à exécuter les consignes qui lui sont données. Sa fidélité à l'organisation le contraint à adhérer à des lois et des règles que les anciens appliquent avec beaucoup de zèle. Le moindre manquement à ces lois conduit fatalement à une série de châtiments correspondant à la gravité de l'infraction. Les anciens ont entre leurs mais la capacité de supprimer le droit à la rédemption, ou d'ordonner la « réclusion en prière » du pécheur, par laquelle on l'isole de ses proches ; en bref, ils peuvent infliger n'importe quelle peine, s'ils la jugent adéquate et propice au repentir.

Les Témoins de Jéhovah doivent rendre compte avec beaucoup de soin de leurs activités communautaires aux anciens. Ceux-ci répertorient l'information dans un dossier. Chaque Témoin est titulaire d'tm dossier où sont également inscrits ses péchés graves. Toutes les informations ayant trait à la vie privée des Témoins sont conservées à New York. Elles ne sont jamais détruites.

Ayant vécu toute mon existence dans cet environnement, je savais bien ce qu'on attendait de moi. Je devais suivre les règles et obéir aux lois pour faire partie des élus. Il n'a pas été bien difficile de m'acclimater à ce travail à plein temps, car j'allais de porte en porte depuis ma plus tendre enfance.

J'ai donc effectué ce travail pendant quelques années, sans en retirer toutefois beaucoup de satisfaction. S'échiner, en cent heures mensuelles de travail de représentant, à vendre un minimum de cent magazines et de quarante livres, devenait bien vite décourageant. Ce travail était bénévole, je ne touchais aucune rémunération. Tous les Témoins exercent une autre activité pour subvenir à leurs besoins matériels. En 1973, j'ai accepté de me rendre au quartier général de Brooklyn pour faire partie du personnel - nombreux - qui rédige les publications de la Watchtower. Dans un courrier personnel qu'il m'a adressé, le président de la Watchtower Society, Natllan H. Knorr, explique : « Vous allez suivre quatre années d'entraînement théologique avancé, ce qui est bien plus enrichissant qu'une éducation laïque courante. »

Plein d'espoir, je suis monté dans un avion à destination de New York. À bord, je me suis remémoré les regards envieux de mes amis lorsque je leur ai dit que j'allais vivre auprès de nos dirigeants, près du pouvoir. Mes camarades ont organisé en mon honneur des fêtes d'adieu, m'ont offert des cadeaux, rendant hommage à mes parents, qui m'avaient si bien éduqué au sein de la communauté. Peu de temps après mon arrivée à New York, mes illusions se sont rapidement estompées : on m'a affecté à un travail d'usine, à l'atelier de reliure. J'ai ainsi été amené à apprendre ce qu'était l'enrichissement qu'on m'avait annoncé. Je ne m'étendrai pas sur tout ce que j'à enduré dans l'atelier de reliure des Témoins de Jihovall, pour « le service du Seigneur ». Mais je me souviens encore du stress que j'ai subi à force de lois et de règlements. Les dirigeants de la Watchtower surveillaient toutes mes allées et venues, tous mes faits et gestes.

Après trois ans au quartier général, sans ressources, donc sans autonomie (nous gagnions quatorze dollars par mois), j'ai été confronté à la dure réalité, contraint de gagner ma vie sans aucun bagage intellectuel ou professionnel. En effet, on déconseille vivement aux Témoins de Jéhovah de poursuivre un cursus universitaire.

J'ai épousé une jeune fille, Témoin accompli elle aussi ; nous avons essayé de servir Dieu de notre mieux. C'est-à-dire que nous étions de bons Témoins, respectueux des règles. Ma femme avait été missionnaire pendant huit ans, envoyée par la direction du mouvement dans plusieurs régions de l'Amérique.

Dès mon retour à la maison avec un dossier satisfaisant sur mes états de service à New York, les anciens ont pris l'habitude de faire appel à moi pour enseigner en chaire. La plupart des Témoins s'accordent à dire que quiconque a passé du temps à travailler au quartier général est digne d'assumer d'importantes responsabilités au sein de la communauté.

Au fur et à mesure que je grimpais dans la hiérarchie locale, j'ai été coduit à participer à des opérations clandestines conduites par les anciens. Arpenter les rues en pleine nuit, épier les membres soupçonnés d'avoir dévié du droit chemin... comme c'est grisant ! J'ai eu accès aux dossiers confidentiels qui révélaient tous les secrets intemes de la communauté. Après avoir été moi-même contrôlé pendant mon séjour au quartier général, cette fois c'est moi qui tenais les gens à l'oeil. Mais je n'en retirais aucun plaisir. Je ne me sentais pas en paix avec moi-même. Je n'arrive pas à décrire ce qu'il y a de déplaisant à servir un Dieu considéré comme vengeur et hargneux. L'organisation dépeint toujours Jéhovah comme un Dieu prêt à « déverser sa rancoeur ». Tout  ce que je savais de Dieu, c'était ce qu'en disait la Watchtower. Certes, nous lisions la Bible, mais on nous disait bien que, si nous nous écartions des interprétations données par le Watchtower, nous risquions de nous fourvoyer et de tomber dans l'erreur.

Un jour, un ami m'a donné un livre écrit par un ancien Témoin, intitulé J'ai été pendant trente ans l'esclave de la Watchtower. Mon devoir en tant que Témoin scrupuleux me dictait de le signaler à mes supérieurs, parce qu'on nous interdisait de lire des ouvrages anti-Watchtower.

Mais j'ai lu le livre, comme un défi. Il m'a perturbé, car l'auteur avait lui-même travaillé longtemps au quartier général et il m'était facile de m'identifier à lui. Les choses que j'avais tenté d'effacer de ma mémoire refaisaient surface et je me suis surpris à remettre en question la validité de l'autorité de la Watchtower. L'auteur explique qu'il a trouvé la paix en étudiant une Bible expurgée des commentaires de la Watchtower.

Pendant tout ce temps, le Sait Esprit me commandait d'étudier la parole de Dieu. Bien que possédant notre propre traduction de la Bible (effectuée par la Watchtower Society et réfutée par les spécialistes grecs et hébraïsants), je me suis procuré une Bible standard américaine.

Ma femme et moi-même avons immédiatement commencé à la déchiffrer, en pleine nuit. Une grande partie des valeurs pour lesquelles nous étions prêts à mourir semblaient subitement erronées. Je fis part à mon père de mes découvertes. En sa qualité d'ancien, il comprit que je prenais un chemin d'opposition aux fondements des enseignements du Watchtower, et il s'empressa de nous dénoncer auprès des autres anciens. Ces derniers furent chargés de nous juger pour apostasie.

Après une séance pénible, nous nous sommes publiquement repentis, et on nous a autorisés à demeurer au sein de la communauté. Je fus toutefois déchargé de toute responsabilité. Je devais subir une période de probation de près d'un an avant de pouvoir espérer reprendre mes fonctions.

J'ai dû quitter la ville, en raison d'une mutation professionnelle. J'envisageai avec soulagement la perspcctive de m'intégrer dans une nouvelle communiauté et de prendre un nouveau départ. Mais mon enthousiasme est bien vite retombé lorsque je me suis souvenu que ma défaillance momentanée figurait dans mon dossier, et me poursuivrait toute ma vie, où que j'aille.

Dès que j'ai commencé à participer aux réunions, les anciens ont pris connaissance de mon dossier. Ils m'ont prévenu qu'ils me tiendraient à l'oeil pour s'assurer que je m'étais bien défait de mes idées subversives. Ils ajoutèrent qu'ils m'excommunieraient si je faisais part de ces idées à d'autres membres de la congrégation. J'ai juré fidélité à l'organisation, et j'ai promis de ne plus lire ni relater des positions opposées à celles de la Watchtower au sujet de la Bible.

Deux ans se sont écoulés. Le fait d'être constamment sur mes gardes m'a épuisé. Rien, pas même mes deux enfants, dont la naissance m'avait comblé, ne me semblait vraiment gratifiant. J'avais besoin d'autre chose, mais je ne savais pas quoi. Souvent, ma femme et moi buvions un verre de trop, tous deux en quête d'une forme de joie ou de plénitude. Il ne nous est resté de cela qu'une sensation de vide.

Après nos deux fils, nous désirions une fille. Nous espérions que sa naissance ramènerait la joie dans notre foyer. Quelle ne fut pas notre bonheur lorsque, le 10 août 1980, Jenny Lee Blizzard a vu le jour ! Mais une tragédie s'est aussitôt abattue sur nous. Au bout de cinq semaines, les médecins se sont rendu compte que le sang de notre bébé ne coagulait pas.

Nos médecins nous ont conseillé de nous rendre à San Antonio, au Texas, pour consulter des spécialistes. Nous avons donc emmené Jenny à la maternité du centre médical Santa Rosa, dans l'espoir que son état pourrait s'améliorer. Mais pourquoi saignait-elle intérieurement ? Pourquoi son sang ne coagulait-il pas normalement ? Les médecins se sont longuement penchés sur son cas et, pendant des jours entiers, ils ont recherché une explication.

Finalement, l'équipe de docteurs a conclu que Jenny ne serait sauvée que si elle subissait, au plus vite, une transfusion sanguine. Nous étions confrontés à un dilemme : la Watchtower ne permet pas l'usage de sang, sous quelque forme que ce soit. Les Témoins de Jéhovah portent en permanence sur eux une carte stipulant qu'ils refusent catégoriquement une transfusion sanguine, fût-ce au prix de leur vie.

Nous avons demandé aux médecins de quitter la pièce en leur expliquant que nous allions nous concerter avant de leur donner une réponse. Mon épouse et moi avons prié. Nous avons imploré le Seigneur de nous fournir des réponses. Je me souviens encore de ce que je pensais : « à Jéhovah, comment peux-tu me demander de prendre une telle décision ? Comment peux-tu mettre entre tes mains la vie de Jenny ? Quel genre de Dieu es-tu ? »

Puis nous avons rappelé les médecins, et nous leur avons expliqué qu'il fallait nous soumettre à la volonté de Dieu et laisser mourir Jenny.

Les autorités de l'hôpital ont alors contacté le département des Droits de l'enfance du Texas, et une plainte a été déposée contre nous pour négligence et mauvais traitements infligés à un enfant. Le shérif nous a fait convoquer devant la justice et a interdit au personnel hospitalier de nous laisser partir avec Jenny. Il savait que les Témoins de Jéhovah ont la réputation d'enlever subrepticement leurs coreligionnaires menacés d'une transfusion.

En fait, ma femme et moi étions secrètement soulagés : Jenny allait pouvoir bénéficier d'un sang neuf. J'avais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour éviter cette transfusion, avant de savoir que les tribunaux allaient s'emparer de l'affaire. Ma fidélité à l'organisation n'était donc pas en cause.

Mais l'histoire s'est ébruitée : deux joumalistes ont divulgué ce qui s'était passé. Avec du recul, je ne peux que rendre hommage à leur travail.

L'affaire prenait de l'importance. Certains de nos amis alertèrent les anciens, qui accoururent au chevet de Jenny. Ils étaient ravis de savoir qu'il leur restait du temps pour préparer une opération d'évacuation avant la transfusion. Je leur ai expliqué que je ne maîtrisais plus la situation, que j'étais sous le coup de la loi. Peu leur importait. Leur seul souci était de la faire sortir de l'hôpital. Je savais que Jenny succomberait si je débranchais les machines qui la maintenaient en vie. Je pouvais être accusé de meurtre. Les anciens m'ont répondu : « C'est un risque que tu dois courir ! Tu ne peux pas leur permettre de donner du sang à ton enfant ! »

Je ne voulais pas prolonger cette discussion. Je leur ai demandé de quitter les lieux, en leur disant que je ne pouvais laisser mourir quiconque dans des conditions pareilles. « Si c'est ce Dieu-là que je sers, eh bien, je ne veux plus en entendre parler. »

Les anciens sont repartis, furieux de n'avoir pas réussi à me faire plier. « J'espère que ce sang lui transmettra une hépatite ; tu sauras ainsi que cette substance est réellement souillée ! » ajouta l'un d'entre eux.

Lorsque nous sommes rentrés chez nous, nous nous sommes rendu compte qu'ils s'étaient passé le mot : nous étions devenus des parias aux yeux des Témoins, mais nous ne pouvions être excommuniés, disposition ne pouvant s'appliquer qu'à des personnes ayant donné leur accord explicite pour une transfusion.

C'est à ce moment précis que Dieu a fait sentir sa présence. Des chrétiens nous ont rendu visite, nous apportant régulièrement de la nourriture et de l'argent, cherchant constamment à nous aider. Le témoignage de ces gens nous a profondément marqués. Nous nous sommes remis alors à une étude approfondie de la Bible. Ces mois d'études intenses et secrètes nous ont amenés à comprendre que nous avions vécu dans le mensonge. Nous avions été les esclaves d'un système qui imposait une lecture réductrice de la Bible. L'esprit n'était pas libre. En relisant les textes originaux, j'y trouvais des réponses limpides sur tous les points doctrinaux, sur tous les dogmes qui me posaient un problème. C'en était fini de ces études guidées par un magazine ou un livre orientés. Je lis la Bible par moi-même à présent.

Au terme de cette étude, j'ai compris que la rédemption était un don de Notre-Seigneur Jésus-Christ. J'ai compris que Dieu n'est qu'amour pour les hommes, et qu'il ne s'exprime pas par la vengeance. [...]

Nous avons été rapidement désavoués par les Témoins de Jéhovah. Les règles de l'excommunication nous interdisent d'avoir des rapports avec notre famille ou nos anciens amis. Nos propres parents n'auront pas le droit d'assister à nos funérailles. D'après la loi édictée par le Watchtower, nous sommes morts à leurs yeux. Les Témoins de Jéhovah n'ont pas le droit de nous adresser la parole, sous peine d'excommunication.

Pour conclure, je dois dire que nous ne sommes pas morts. Rien loin de là, nous sommes parfaitement vivants. [...] Jenny, elle, n'a pu être sauvée. Sa santé exigeait bien plus qu'une simple transfusion sanguine. Les transfusions qu'elle a subies ont prolongé son existence mais, le 3 mars 1987, elle a quitté ce monde [...]. Pendant les derniers jours de la vie de Jenny, au centre médical pour enfants de Dallas, ma femme et moi avons consacré une grande partie de notre temps à prier et à réconforter des familles dont les enfants étaient également sur le point de mourir.

Certains détails concemant les funérailles de Jenny attestent encore davantage le contrôle que la Watchtower exerce sur ses membres. De nombreuses personnes se sont déplacées spécialement pour partager notre douleur. L'église était bondée. Les seuls sièges inoccupés étaient ceux réservés à nos deux familles. Les responsables du Watchtower leur avaient formellement interdit d'assister à la cérémonie. [...]



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