Thèse de doctorat

Le droit pénal et la progression intellectuelle au sein des sectes : l'exemple de l'Église de scientologie

L'Eglise de Scientologie vue de l'intérieur

(Source Le Figaro 13 novembre 2002 par Christophe Cornevin)

ENQUÊTE - Dans une thèse de doctorat diffusée aujourd'hui, un fonctionnaire de police décortique le fonctionnement de l'organisation controversée

Au terme de plusieurs années d'immersion, un policier estime pouvoir démontrer que l'organisation fondée par Lafayette Ron Hubbard serait le théâtre d'une série de faits répréhensibles, au premier rang desquels figurent l'exercice illégal de la médecine, l'escroquerie aggravée et la séquestration arbitraire.

L'Église de scientologie vue de l'intérieur
Pour la première fois, un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur livre sa vision des coulisses de l'Église de scientologie dans une thèse de doctorat de droit privé et de sciences criminelles. Au terme de plusieurs années d'immersion, ce policier estime pouvoir démontrer en quoi l'organisation fondée par Lafayette Ron Hubbard serait le théâtre d'une série de faits répréhensibles, au premier rang desquels figurent l'exercice illégal de la médecine, l'escroquerie aggravée et la séquestration arbitraire. Contactés à plusieurs reprises par Le Figaro, les responsables de l'Église ont refusé de répondre à nos questions. Ils ont préféré mettre en avant l'avis d'experts qui plaident leur cause (voir ci-dessous). Le document du policier, épais de plus de 700 pages, sera diffusé à partir d'aujourd'hui sur Internet . Le Figaro en révèle le contenu.

C'est un monde de science-fiction fait de singulières méthodes d'épuration physique et mentale, fondé sur un étrange sabir pseudo-scientifique et un corps d'élite, la « Sea Org », chargé de faire régner la discipline parmi les adeptes. Chapitre après chapitre, la thèse, intitulée Le droit pénal et la progression intellectuelle au sein des sectes : l'exemple de l'Église de scientologie, qui vient d'être soutenue à l'université de Cergy-Pontoise, démonte les « trois étapes clefs » du cheminement spirituel de l'adepte. Dans le fichier central des thèses, la domiciliation d'Arnaud Palisson apparaît ainsi : « Ministère de l'Intérieur. 11, rue des Saussaies. 75008 Paris. » Le reste est tenu secret.

PURIFICATION PHYSIQUE. Dès son adhésion, un « néophyte en scientologie » – appelé « Préclair », dans le langage de l'église – se « retrouve perdu, au milieu de la multitude d'ouvrages du fondateur, ne comprenant pas un mot du jargon scientologique ». Un scientologue « superviseur des cas » lui explique que sa perplexité « provient de l'accumulation massive de résidus toxiques dans son corps... Et il lui enjoint de suivre sans plus attendre le programme de purification ». Celui-ci est présenté comme indispensable pour comprendre l'enseignement. « Or, note Arnaud Palisson, en déterminant de la sorte une affection (une accumulation de toxines) au vu de symptômes précis (incapacité à comprendre l'enseignement dispensé), le superviseur des cas s'est donc livré à l'établissement d'un diagnostic par consultations verbales sans être médecin », en infraction avec le Code de la santé publique. Ce qui est punissable, quand la pratique est habituelle, d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Pour « évacuer les drogues et toxines du corps », les nouveaux adeptes acceptent la procédure d'épuration, dont Arnaud Palisson évalue le prix « entre 1 830 et 3 660 euros ». Chaque jour, ils doivent faire une demi-heure de footing avant de s'enfermer quatre heures et demi dans un sauna. Dans Corps pur, l'esprit clair, le père de la Scientologie écrivait que « la sudation dans le sauna se fait à des températures variant entre 60 et 80 ° Celsius. Tout dépend de la température que la personne peut supporter. » Et, ainsi que le voulait L. Ron Hubbard, la plupart de la quinzaine d'organisations scientologues françaises abritent donc leur propre sauna... Parallèlement, le néophyte doit notamment absorber une quantité sans cesse croissante de « Niacine », une vitamine censée expulser du corps diverses substances toxiques.


ÉPURATION MENTALE. « Une fois le corps débarrassé de toutes les formes de toxines emmagasinées depuis sa conception, le scientologue poursuit sa progression en purgeant son mental », grâce la purification de « certains souvenirs douloureux ». Voici le temps de la dianétique, ensemble de techniques constituant, selon la thèse, une psychothérapie. Ce que l'Église conteste.
Démontant ce qu'il estime être une « escroquerie », Arnaud Palisson revient là encore aux premiers pas du néophyte, en insistant sur « les manoeuvres visant à toucher le mental de l'impétrant » : en passant le seuil d'une « org », celui-ci effectue le « test de personnalité en 200 questions. Les réponses sont introduites dans l'ordinateur, qui ne met que quelques secondes à imprimer un graphique et un (mystérieux) texte interprétatif ». Inéluctablement, on relève des « problèmes de personnalité » tout en soulignant que « la situation n'est pas désespérée si l'adepte en devenir décide de prendre les choses en main ».

Arrive un « conseiller orienteur » qui tente de « vous convaincre de l'impérieuse nécessité de prendre en main votre destinée pour vous élever au-dessus du commun des mortels », en achetant un cours ou un livre consacré à la science du mental. Le « conseiller orienteur » dresse une hagiographie de L. Ron Hubbard avant de vanter la dianétique, capable de guérir les maladies psychosomatiques à l'origine, selon l'Église, du rhume, de l'arthrite, des troubles de la vue ou encore de la tuberculose. .

Suivent les séances d'« auditions » : les scientologues localisent dans la mémoire du novice des instants de « dé tres se » liés à un passé douloureux. Pour ce faire, ils manient l'électromètre, un instrument que tout membre se devra d'acheter ultérieurement (« entre 4 750 et 5 340 euros l'unité », d'après la thèse). « On vous place alors une boîte métallique dans chaque main. Votre interlocuteur (...) observe les réactions de l'aiguille, interprétées comme les manifestations de la charge émotionnelle afférente. » L'exercice sera réitéré plusieurs dizaines de fois si nécessaire, jusqu'à la disparition de l'affect, preuve que l'individu est « purifié ». A propos de la dianétique, le fonctionnaire du ministère de l'Intérieur précise : « Le peu de crédit que l'on pourrait légitimement lui accorder au premier abord s'amenuise encore lorsque l'on apprend qu'elle a été imaginée par un non-médecin – de surcroît ancien auteur de science-fiction et autres romans populaires –, et qu'elle est dispensée hors de tout cadre médical à un prix élevé. » En effet, selon les tarifs fournis par l'Église, l'heure d'audition est facturée entre 170 euros et 550 euros.

Certains « cours avancés » pouvant atteindre les 4 750 euros. Ce qui porte, selon Arnaud Palisson, « la route vers l'état de Clair à un minimum 45 730 euros ». Ne cherchant pas à juger scientifiquement la validité de la thérapie, il constate que les manoeuvres utilisées pour en persuader le novice sont frauduleuses. Commises en bandes organisées, elles sont, selon lui, passibles de sept ans d'emprisonnement.


LA DISCIPLINE DE FER DE LA « SEA ORG . Le travail d'immersion du policier dans l'univers scientologue lui a donné accès à certaines données internes confidentielles. Ce qui lui permet de dévoiler les contours d'un corps mystérieux : la « Sea Org ». Une fois « purifié » et parvenu à l'état de « Clair », l'adepte suit une progression spirituelle cette fois. Il pratique la « philosophie religieuse » de la Scientologie. On lui enseigne les théories ufologiques de Ron Hubbard. Il apprend, entre autres, que tous les hommes sont recouverts de « thétans du corps », des parasites extraterrestres vivant « plusieurs dizaines de milliards d'années ». Pour les déloger, les scientologues confirmés passent à un nouvel apprentissage, allant du niveau OT I au stade suprême OT VIII, l'Apocalypse hubbardienne. Il s'agit ici de l'élever « au-dessus de l'humain, en agissant à distance sur l'univers physique ». « Ainsi, révèle le policier, plusieurs témoignages reproduits dans le magazine Advance ! (destiné aux scientologues de haut niveau) font état de potentialité nouvelle. Un scientologue du grade OT III explique comment il a réussi à clouer sur leur siège, par la seule force de sa pensée, deux délinquants désireux de violer une jeune femme dans le métro. Un autre raconte comment il a arrêté le temps ( !) pour rattraper sa fille qui commençait à tomber d'un pont. Un autre raconte qu'il a pris le contrôle d'une voiture, dont il était le passager, par la seule force de son esprit. »

Certains de ces « êtres supérieurs » rejoignent le corps d'élite de la Scientologie, la « Sea Org », chargée de l'« éthique ». S'engageant par contrat pour un « milliard d'années », revêtus d'un « uniforme qui ressemble à s'y méprendre à celui de l'US Navy », ils répriment les simples « erreurs » administratives, les « crimes » de non-obéissance ou de négligence, ainsi que les « crimes majeurs » commis par les « suppressifs », qui cherchent activement à « opprimer la Scientologie ou un scientologue ».

Traduit devant un « Officier d'éthique », l'auteur d'un « crime majeur » encourt l'exclusion. Les « ennemis » peuvent être « privés de propriété ou blessés par tous les moyens par tout scientologue », ainsi que l'exigerait la loi dite du « gibier de potence ». Les auteurs de crimes majeurs pourraient en outre subir les foudres de la « propagande noire », « visant à détruire la réputation de personnes, de sociétés ou de nations, ou la foi que le public à en eux... » « Si la plupart des sanctions d'éthique n'intéressent pas le droit pénal, considère le document, certaines pénalités s'apparentent à des comportements répréhensibles, dans lesquels la privation de liberté de l'adepte est fréquemment évoquée. » Ainsi, un adepte présentant un « risque » pour l'Église serait sanctionné par « suspension de la paie, port d'un chiffon gris sale au bras gauche et détention jour et nuit dans les locaux de l'organisation ». En cas de trahison, il serait passible d'une « suspension de la paie et privation de tous les uniformes et insignes, une marque noire sur la joue gauche et détention dans les locaux de l'Org », selon une directive confidentielle du 18 octobre 1967, dont la Scientologie nie farouchement l'authenticité. Quant aux scientologues présentant des signes de déséquilibres mentaux, ceux que Ron Hubbard appelle les « psychotiques », ils seraient emmenés à l'isolement total pour une durée indéterminée. Or, précise la thèse, le Code pénal stipule que « le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d'arrêter, d'enlever, de détenir ou de séquestrer une personne est puni de vingt ans de réclusion criminel le » si cette rétention dure plus de sept jours révolus.

Ce qui amène le pénaliste à prôner la « dissolution de l'ensemble des « Org », qui dispensent l'enseignement de l'Église de scientologie ». Contactée à plusieurs reprises par Le Figaro, Danièle Gounord, porte-parole du mouvement, a préféré ne pas répondre, se bornant à considérer que le colossal travail du fonctionnaire de l'Intérieur, « piloté et écrit sur commande », est un « tissu de mensonges ». A l'issue de sa soutenance, la thèse a été couronnée par une mention « très favorable » et les félicitations du jury, composé de trois professeurs d'université, d'un maître de conférence et d'une magistrate de la Chancellerie.


 
SCIENTOLOGIE
 
Home Page 
Sectes = danger !