Cultes et sectes sataniques

Adolescence et attirance pour le satanisme

(Source : Bulles n°74, 2 ème trimestre 2002 - par Christophe Allanic -
Psychologue clinicien )

 

 

Sommaire

Introduction
Le diable
L'adolescent et le diable
Conclusion

 


Introduction

Depuis quelques années, on note un nouveau phénomène de société : l’attrait de certains adolescents pour le satanisme. Le phénomène est d’autant plus inquiétant par les dérives que les croyances au "Prince des ténèbres" peuvent engendrer. Ainsi, de nombreux adolescents rejoignent ou forment des groupes satanistes, certains dangereux car déviants, d’autres moins, mais troublants. La question se pose alors :

Pourquoi un tel intérêt pour un monde intangible et parallèle, peuplé par des entités spirituelles maléfiques et dirigé par un "ange déchu" ?
Psychologie de l’adolescent

L’adolescent du monde occidental est aux prises avec de nombreux paradoxes face auxquels son corps et sa psyché se débattent à la marge de deux mondes : l’enfance qu’il quitte et la vie adulte vers laquelle il tend. Premier paradoxe, l’adolescent est fragile du fait des nombreuses mutations dont il est sujet, mais se trouve également mu par des forces vives, au niveau corporel (transformation du corps) et psychique (réactivation des pulsions sexuelles par exemple).

Deuxième paradoxe, son environnement relationnel est capital pour lui, pourtant son discours ne rend compte bien souvent que de désirs d’autonomie et d’indépendance.

Au final, la problématique de l’adolescent se situe autour de deux axes majeurs :

- la séparation vers laquelle il tend en vue de l’individualisation et de la subjectivation,
- la question de la perte, perte d’objet, perte de l’amour premier (la mère notamment).

La séparation implique la perte puisque, pour investir d'autres objets, il faut être capable d'en désinvestir d'autres. Comme le disait Freud (1916), la "tâche" de l’adolescent est de se séparer de ses parents (au niveau œdipien) pour placer ses investissements sur de nouveaux partenaires. On voit alors apparaître l’importance de la bande de copains et des premières relations amoureuses. Le groupe remplit généralement la fonction d’établir des nouvelles identifications en cette période de crise identitaire.

Sur le plan cognitif, l’adolescent est à présent capable de pensée abstraite et de projection dans l’avenir. Il s’intéresse autrement au sens de la vie, à la mort, à ses origines mais aussi aux relations à l’autre et au sens que celles-ci prennent.

Il paraît évident que l’adolescence, au vu des transformations qu’elle engendre sur tous les plans (physique, pulsionnel, social, relationnel et cognitif), est une période de crise nécessaire et inévitable ; c’est pourquoi l’adolescence "normale" est généralement "bruyante" (caractérisée par ce qu’on appelle communément la crise d’adolescence). Au contraire, une adolescence silencieuse peut paraître plus inquiétante.

Passons à une autre sorte de diable, plus mythique et symbolique, celui-là !

Le diable

Le terme Diable vient étymologiquement du grec "diabolos qui peut être traduit par "qui désunit". Dans ce sens, son antonyme est "symbole", du grec "sumbolein", assembler. L’idée de diable est quasi universelle puisqu’on trouve son équivalent dans de nombreuses traditions.

Dans la tradition catholique, Satan est un ange déchu qui, après avoir refusé de se soumettre à la volonté de Dieu, a été envoyé aux enfers, devenu dès lors son territoire dont il est le prince et maître. D’autres anges, rebelles également, l’ont suivi et sont devenus des démons. Avec ses multiples noms et facettes (on le représente comme un monstre hideux ou, au contraire, comme un homme séduisant), le prince des ténèbres représente le calomniateur, le tentateur, le séducteur, l’accusateur, le rebelle…

Dans cet article, je parlerai de ces adolescents qui se voient attirés par les croyances satanistes mais dont les pratiques ne sont pas juridiquement condamnables. Cette attirance peut être "normale" au vu de la psychologie de l'adolescent (comme nous le verrons ci-dessous) mais les parents ne doivent pas perdre de vue que cette attirance peut devenir progressivement une adhésion à un groupe sataniste déviant et dangereux. Cela peut alors concerner les domaines de la psychopathologie ou du sectarisme. Ce glissement est généralement insidieux et continu ; c'est pourquoi il est difficile de repérer les signes alarmants.

La vigilance des parents est donc primordiale.

L’adolescent et le diable

Nous avons vu précédemment qu’étymologiquement le terme diable sous-entendait la notion de désunion. Il paraît évident que cela renvoie à la problématique première des adolescents, celle de la séparation. Etre sataniste signifie renier, se couper de sa lignée.

L'adolescent, attiré par l’idéologie sataniste, signifie son désir de se séparer de ses parents, comme l'ange déchu à l'égard du Père. A l’image de Satan se révoltant contre Dieu, les adolescents marquent leur opposition à l’autorité parentale dans le souci de s’individualiser, de se dégager de la problémati-que œdipienne, réactualisée à l’adolescence.

Se séparer suppose un nouvel investissement, d'où l'importance du groupe chez les adolescents. L'appartenance à certains groupes pseudo-satanistes remplit souvent cette fonction d'offrir à ses membres bien plus un style identitaire qu'un corpus de croyances dangereuses. Ce style identitaire (vêtements noirs, piercing, tatouages, etc.) signe dès lors, chez certains jeunes, leur appartenance au groupe ; il constitue un moyen pour se démarquer des autres et signifier son altérité. Dans ces groupes, il n'y a pas alors une réelle adhésion aux croyances des satanistes mais uniquement à leur apparence.

Le diable représente un support identificatoire idéal pour certains adolescents. Satan a été le premier à refuser son affiliation, à rejeter toute autorité et toutes lois autres que les siennes. Satan représente la marge par excellence. Certains adolescents ne peuvent que s’y identifier, étant également à la marge de deux mondes : celui de l’enfance et celui des adultes. L’adolescent :

- d’une part, rejette l’enfant qui est en lui puisque l’enfant représente la dépendance aux parents et la soumission à leur autorité,
- et, d’autre part, exècre l’adulte qu’il devient puisque cela sous-entend que, pour le devenir, il doit se soumettre aux normes sociales.


Les adolescents sont en quête de personnalités à qui s’identifier et Satan, ce "héros" mythique, peut représenter pour certains jeunes un idéal : autonomie, toute-puissance étant hors des lois (même divines), absence de limites et de peurs, liberté absolue, libido exacerbée, etc. Ces différents attributs fascinent et séduisent de nombreux adolescents à la recherche de figures fortes à imiter pour en intégrer les "qualités".

L’identification va plus loin : le diable est le désordre par excellence. Tantôt monstre, bête ou encore humain androgyne, tantôt charmeur, tantôt hideux, le diable passe pour un "être", mais dans le paraître, se transformant sans cesse. Le diable, ayant le pouvoir de transformation, est symbole de discontinuité, de mutation constante.

Qu’en est-il de nos adolescents ? A l’image du diable, leur corps se transforme. Passivement, ils se doivent d’accepter cette mutation, pour que leur corps ne leur deviennent pas étrangers voire étranges. Cette transformation n’est pas sans heurt au point de vue fantasmatique.

A titre d’exemple, la venue de la pilosité ne laisse pas l’adolescent indifférent. Dans son versant positif, les poils symbolisent la virilité chez les hommes, mais aussi la force vitale, la libido, tandis que dans son versant négatif, il représente l'instinct, la bestialité (le contraire de la civilisation) et donc les pulsions sexuelles anarchiques. A titre anecdotique, il est intéressant de noter que symboliquement la pilosité renvoie à un animal, le bouc. Plus intéressant encore, que le bouc symbolise le diable !

Dans ce même ordre d’idée, de nombreuses représentations graphiques du diable l’affublent des attributs sexuels masculins et féminins. Cette androgynie ne renverrait-elle pas aux angoisses que peuvent ressentir les adolescents quant à leur identité sexuelle au cours de leur transformation physiologique ? L’apparition tardive des attributs sexuels secondaires n’entraînerait-elle pas chez certains de ces jeunes des "angoisses de devenir l’autre sexe" ou "des angoisses d’être indifférencié" (pour une fille, être un garçon manqué ou, pour un garçon, être efféminé) ?

Au cours de l’adolescence, de puissantes pulsions de vie (libido) prennent leur essor, mais accompagnées par leur contraire, les pulsions de mort. En effet, la capacité d’abstraction étant acquise, les adolescents réfléchissent davantage sur leurs origines (réelles, fantasmatiques et mythiques), sur leur devenir (le sens de la vie) et donc sur la mort. Leur problématique de séparation pouvant entraîner un climat dépressif, l’idée du suicide apparaît bien souvent chez les adolescents, poussés de plus par la curiosité de l'après-vie.

Tout homme s’interroge sur la mort, sur sa mort, et reste d’autant plus frustré qu’il demeure sans réponse. Face à ce vide de sens, il cherche à penser ce qui est justement impensable, dans le seul but de combler cet intolérable vide dans ses représentations. Les adolescents n’échappent pas à la règle. Bien au contraire, nombre d'entre eux centrent l’essentiel de leurs réflexions sur ce thème si angoissant, et certains jusqu’à y perdre corps et … âme !

Par sa nouvelle capacité d’abstraction, le futur adulte abandonne les conceptions magiques et naïves de l’enfance et, se projetant pour la première fois vers un avenir plus lointain, prend conscience que sa vie aura un terme. Prise de conscience vertigineuse quand on sait que l’homme à cet âge de la vie rejete toutes limites et ne rêve que de liberté, d’indépendance et de toute puissance dans un monde qu’il découvre sous un nouveau jour, dans une vie qu’il affrontera bientôt seul.

Perdre corps et âme, disais-je : certains adolescents sont prêts à sceller un pacte avec le diable. Ce pacte leur assure la réalisation de tous leurs désirs, mais à une condition – et non des moindres – celle de confier son âme au diable. Ce pacte répond à la pensée magique typique de l'adolescence, celle d'accéder à la toute-puissance en se soustrayant aux lois qui sont par essence "castratrices".

En allant plus loin, le pacte avec le diable ne serait-il pas un moyen d'assurer un destin à son âme, si funeste soit-il, plutôt que de rester face à un néant terriblement angoissant ? En quelque sorte, le pacte est une solution pour répondre à leur angoisse de mort, en y faisant volontairement front, tout en se soustrayant aux lois des hommes. Le pacte avec le diable répondrait ainsi aux pulsions de mort et de destruction sous-tendues par la problématique de perte de ces adolescents. Aussi, au lieu de tisser un lien social, lien réel (en réinvestissant d’autres objets), ils tissent un lien avec le monde intangible, monde imaginaire, au risque de perdre leur âme.

A croire que pour les adolescents, il est préférable de "se perdre" plutôt que "perdre"?

Conclusion

Les croyances au prince des ténèbres sont le signe du malaise des adolescents à cet âge charnière de la vie. Comme nous l'avons vu, ces croyances renvoient à des problématiques psychologiques non négligeables, qui restent normales jusqu'à un certain point.

Mais le risque de déviance demeure très important dans ces groupes.
Des pathologies mentales plus ou moins graves peuvent alors apparaître ou être à l'origine de l'appartenance à ces groupes. On retrouve parmi ces pathologies :
- des délires (la conviction d'être possédé),
- des troubles du comportement (associabilité, psychopathie),
- des perversions sexuelles (sadisme, pédophilie),
- la schizophrénie, etc.

C'est l'apparition de ces troubles qu'il est important de repérer avant leur installation.

Christophe Allanic
Psychologue clinicien


 
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