Belgique

Comment peut-on être scientologue?

Le Soir (Bruxelles), 2 octobre 1999. Par Martine Vandemeulebroucke.

Pourquoi, comment la scientologie fait-elle tant d'adeptes ? Nous avons «testé» les méthodes de recrutement de la secte à l'égard de ceux qui se présentent à elle, en toute naïveté.


Le hall d'entrée ne laisse place à aucune équivoque. Nous sommes bien à l'Eglise de scientologie. La croix, le buste de Ron Hubbard, une dizaine d'affiches publicitaires pour les publications de l'Eglise, une offre de prix pour un nouveau type d'électromètre, et, sur une table, des formulaires d'adhésion à l'Eglise et les conditions pour y être accepté: ne pas être un criminel, ne pas avoir été interné, ne pas être journaliste. Sans que soit précise la hiérarchie de ces critères d'exclusion... Nous devrons donc adopter une autre profession, une autre histoire pour nous informer des méthodes utilisées par l'Eglise.

Première étape: un film d'une vingtaine de minutes sur la scientologie censé nous faire découvrir un nouvel avenir. Cela ressemble à s'y méprendre à un vieux téléfilm américain. Images de la réussite (matérielle) de l'Eglise de scientologie avec ses bâtiments imposants, de sa reconnaissance aussi par les institutions des Etats-Unis: «la scientologie est une religion et la liberté religieuse une liberté constitutionnelle»... le message est répété à satiété. Sourire Colgate et costume trois pièces impeccable, un présentateur n'en finit pas non plus de nous conter l'histoire de Ron Hubbard, de ses innombrables oeuvres, des craintes qu'il a suscitées auprès du gouvernement américain.

Les premiers ennemis sont nommés: le gouvernement qui manipule les consciences des citoyens tout comme la psychanalyse, cette relique «préhistorique». Heureusement, nous affirment alors une vingtaine de «témoins», la scientologie est là pour transformer notre vie. En quoi? On ne le saura pas mais le présentateur nous l'affirme, droit dans les yeux, «notre avenir dépend de notre choix d'adhérer ou non à l'Eglise». Une porte s'ouvre sur un soleil radieux... The end.

On sort de là guère convaincu par ce film visiblement destiné à un public américain. D'ailleurs, les scientologues belges ne cherchent même pas à connaître l'impression qu'il nous a laissée. Une responsable nous invite à passer un test de personnalité, comme on offrirait une tasse de café. L'invitation est prudentissime: c'est pour nous aider à mieux nous connaître. Cela peut être utile professionnellement. Et c'est gratuit. C'est effectivement la seule chose qui le sera.

Tous malheureux

Le «test de personnalité» consiste à répondre à deux cents questions axées essentiellement sur la perception que l'on a de soi, des autres, du monde mais également la perception supposée des autres sur soi-même. Les questions se recoupent et se croisent, ce qui permet de vérifier la sincérité et la cohérence du répondant. On perçoit cependant au travers du questionnaire quelques-unes des obsessions de l'Eglise de scientologie: la famille, la consommation d'alcool, de drogues, l'obéissance aux lois et règlements.

D'autres questions intéressent également les permanents qui nous accueillent: quel est notre métier, nos responsabilités dans le domaine professionnel? Sous-entendu: fait-on ou non partie des cadres, des travailleurs qualifiés qui pourront servir l'Eglise et l'alimenter financièrement. Prudemment, on teste notre insatisfaction éventuelle dans ce domaine.

Mais c'est dans le décryptage du test qu'apparaît vraiment l'habileté des scientologues ou plus précisément la perfection de leurs techniques de manipulation mentale. Face à un graphique censé représenter les grandes tendances de notre personnalité, l'examinateur nous annonce, en nous regardant droit dans les yeux: Vous êtes très malheureuse. Le diagnostic a de quoi déconcerter pendant quelques secondes. Et il ne sert à rien de nier: l'ordinateur ne fait que «traduire» nos réponses. Le scientologue poursuit dans son entreprise de déstabilisation: "Vous semblez très sûre de vous. En fait, vous êtes extrêmement nerveuse".

Et, comme pour confirmer ce «diagnostic», le regard se fait scrutateur sur les mains, les pieds : "Vous avez des raisons d'être tendue?". Ici encore, la question déconcerte un bref instant. Pas simple d'éviter les «confidences» attendues.

La seconde étape consiste à rassurer provisoirement la personne avec des éléments positifs mais qui peuvent avoir malgré tout des répercussions négatives sur soi ou sur l'entourage. Le test tente de repérer le degré de dépression de la personne. Si rien n'apparaît en ce sens, on décrète qu'une trop grande assertivité (aisance) rend les relations avec autrui insupportables. Quel que soit l'état moral et psychologique du candidat, le but est d'arriver à lui faire intégrer ce message: «vous communiquez mal parce que vous êtes malheureux». Ou inversement. Donc, il faut apprendre à communiquer...

Nous sommes interrogés sur notre vie professionnelle et privée. Sur notre consommation éventuelle de médicaments, d'alcool. Le fait d'avoir des enfants est accueilli avec un sourire et un commentaire positif. Comment se passent les relations avec le mari, les enfants? On pousse à la confidence pour détecter les terrains fragiles.

Le diagnostic établi, l'examinateur nous interroge sur les moyens que nous comptons mettre en oeuvre pour aller mieux. Mais amène rapidement sa solution: les cours de communication donnés par l'Eglise de scientologie. Le scientologue se lance dans une longue explication sur l'intérêt de ces cours pour notre avenir professionnel, personnel. Coût: 5.600 F (belges). "Un investissement". Sans obligation d'adhérer à l'Eglise de scientologie... mais les membres ont une réduction de 10 % sur les cours. En principe, on sort de là convaincu que l'Eglise nous rend un service. Celui de nous former pour notre bien et de manière désintéressée.

Auparavant, nous avons entendu un jeune homme venir lui aussi discuter des cours. Il est sans emploi et parcourt les petites annonces comme l'Eglise le lui a conseillé. L'examinateur l'interrompt: Vous comprenez maintenant pourquoi il est grand temps de réorienter votre vie. Le jeune chômeur acquiesce mais sa voix tremble comme s'il réprimait une envie de pleurer. On a certainement dû lui dire aussi qu'il était très malheureux...

Contrôler la communication pour mieux manipuler

Ce jour-là, trois étudiants sont présents pour suivre les cours de scientologie. En tant que «nouvelle», nous sommes présentés au petit groupe puis chacun va étudier dans une salle différente.

"Nous allons vous apprendre à contrôler votre communication avec autrui", nous avait expliqué l'examinateur. Contrôler est effectivement un concept-clé en scientologie.

Le manuel que nous recevons («Réussir par la communication») comporte une série de feuilles de contrôle qui ont pour but de vérifier si nous avons lu toutes les pages imposées par le manuel et réalisé les exercices.

Mais qu'est-ce que la communication selon l'Eglise de scientologie? Elle est le déplacement d'une particule d'une partie d'espace à une autre partie d'espace. En clair, cela signifie que la communication est définie comme un pur «message» qui doit être entendu, réceptionné par l'autre. Nous ne pouvons donc pas nous laisser influencer par nos propres sentiments et émotions quand nous parlons à l'autre ni ressentir ce que l'autre provoque en nous.

Si l'on objecte que toute communication interpersonnelle est aussi émotive, corporelle, on nous répond qu'avec la scientologie nous pourrons communiquer enfin de façon «pure» sans «messages annexes».

Les tout premiers exercices consistent à «être là», d'abord les yeux fermés puis en regardant son «coach» en face-à-face. Sans bouger le moindre muscle, sans manifester la moindre tension. Un doigt tressaille après dix minutes? Un clignement des paupières? Il faut recommencer. Vous réussissez à rester parfaitement immobile pendant plus d'un quart d'heure? "J'ai l'impression, en regardant votre front, que vous étiez très concentrée. Il faut être parfaitement détendu". On recommence. Aussi longtemps que l'estime nécessaire le «coach».

Après une petite demi-heure, nous comprenons que nous ne devons surtout prendre aucune initiative. Nous sommes l'étudiante et nous avons tout à apprendre. Le manuel nous prévient: certains étudiants peuvent passer 14 à 15 heures ainsi s'ils n'ont pas atteint le phénomène final de l'exercice.

De la communication à la manipulation

Au bout d'une heure et demie, nous passons au troisième exercice. Il s'agit d'énumérer une série de nombres (sans compter) de la manière la plus distincte possible. Sans acccent, sans manifester la moindre tension. L'étudiant ne peut bredouiller ni varier dans la tonalité de sa voix. Le «coach» s'étonne: Vous arrivez à faire l'exercice très facilement. Avez-vous l'habitude de parler en public? Nous répondons que cela nous arrive. L'information semble vivement intéresser la responsable des cours. Mais le «prof» se rappelle la véritable finalité de la leçon: faire comprendre que nous ne savons pas communiquer. N'étiez-vous pas un peu tendue en parlant? Si on recommençait tout à zéro? Fermez les yeux...

Pendant que nous méditons sur le fait d'avoir payé 5.600 francs (belges) pour apprendre à ne pas bouger ses orteils, nous entendons un autre étudiant dans la pièce voisine. Pendant deux heures et quart, il va répéter indéfiniment trois questions sur le même ton de voix. On hésite entre le fou rire, l'effarement et l'envie de prendre ses jambes à son cou... Mais combien de personnes ne craquent-elles pas lors de ce premier cours? Convaincues que décidément, elles ne sont guère performantes dans leur contact avec autrui? Il est d'autant plus difficile de rester calme que les allusions, les questions portent sur les émotions ressenties. Rester les yeux fermés selon le bon vouloir du «coach», c'est accepter de se mettre dans une situation de vulnérabilité. Et cette soumission-là ouvre la porte aux autres...

Les exercices suivants devraient nous apprendre à donner à notre interlocuteur l'impression que nous l'avons écouté et compris. Puis, il s'agira d'apprendre à répondre sans répondre. Ou encore de mettre fin aux questions de son interlocuteur sans provoquer la moindre contrariété. D'autres exercices visent à interrompre une personne sans qu'elle s'en rende compte.

On aura compris que lorsque l'Eglise de scientologie parle d'apprendre à «contrôler» la communication avec autrui, il faudrait plutôt utiliser le terme «manipuler».

  


Scientologie et manipulation

Home Page
Sectes = danger !