Amendement Accoyer

Complexité et évolutions du concept de Soin

(Source : Une note de 2003 de Michel Monroy - Psychiatre)



Mis en ligne le 15 janvier 2004
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On ne peut comprendre l'engouement actuel, tant pour les médecines " alternatives " que pour les psychothérapies " originales ", qu'en les remettant en perspective avec les variations culturelles et historiques de la notion de Soin. Il ne s'agit pas ici d'émettre un jugement de valeur mais de tenter d'explorer certaines mentalités contemporaines.

La notion de Soin, ou plus largement de recours à un tiers chargé de chasser le Mal ou d'apporter un mieux, fait intervenir plusieurs paramètres dont chacun prête à débat.

Le problème sans doute le plus ancien, mais également le plus actuel, concerne les rapports du corps et de l'esprit, ou si l'on préfère du Somatique et de la Psyché. Un autre problème concerne la distinction du Bien et du Mal dans laquelle s'inscrit le soin. Contrairement aux apparences, l'accord est loin d'être fait sur ce point qui semble très lié aux contextes culturels. L'exemple des vaccinations, des trafics d'organe, du clonage humain l'illustre bien.

Un autre paramètre concerne l'axe de la Connaissance, (des causes, des processus et des remèdes). Sur cet axe, se situent à l'opposé, d'une part le Connaissable, vérifiable, voire maîtrisable, d'autre part l'Inconnaissable, le secret échappant aux protocoles de soins reproductibles, et que seuls les initiés prétendent explorer.

Un autre paramètre de l'intervention " thérapeutique " concerne les objectifs, qui vont du soulagement de la souffrance et du traitement d'une pathologie à la quête de performances ( intellectuelles ou sportives), à la conquête du bonheur, voire de la Félicité Suprême dans l'Au-delà. Dans le même ordre des finalités , le soin se définit par ses bénéficiaires prioritaires : il peut s'agir d'un individu, d'un tiers exploitant, d'une communauté limitée ou encore d'une société toute entière quand il s'agit de mesures épidémiologiques.

Un autre paramètre concerne la position fonctionnelle et statutaire du " thérapeute ", disons plutôt de l'intervenant. Cette position peut être revendiquée comme celle d'un simple technicien appliquant une procédure, mais, dans des registres différents comme celle d'un moniteur, animateur, guide, formateur, analyseur, artiste praticien, " Sujet supposé savoir ", et à l'extrême révélateur, initié-initiateur, maître à penser, interprète de l'Inconnaissable et gourou.

En résumé, historiquement et selon les cultures, la définition de ce qu 'est le Soin ainsi que la demande et l'offre de soins se déterminent en fonction du Connaissable et de l'Inconnaissable dans le cadre considéré, des rapports supposés du somatique et du psychologique, d'une échelle de valeurs et de priorités allant du technique au spirituel, de la prise en compte relative des intérêts individuels, communautaires ou collectifs, d'une gamme de finalités allant de la survie au bonheur ou au Salut, du type de fonctions dévolues à l'intervenant, et enfin des dispositifs réglementaires qui sont le reflet de toutes ces considérations. Or, dans tous ces domaines d'importantes évolutions dans les mentalités ont changé la donne.

La science, victime de ses succès

Même dans nos contrées, où le rationalisme scientifique semblait avoir triomphé, un certain nombre d'évolutions ont remis en question ce primat, aussi bien dans les mentalités que dans les pratiques. Malgré ou à cause des progrès considérables constatés, les réalisations scientifiques sont à la fois considérées comme un du et comme une menace. Après les scandales du sang contaminé et de l'ESB, et les catastrophes industrielles, les scientifiques ne rassurent plus. Cette méfiance, assez largement injustifiée profite paradoxalement au succès de techniques relevant d'une logique irrationnelle voire magique. Dés lors que la science est faillible, tout se vaudrait alors dans l'ordre de la vérité !

Un élargissement du domaine de la psyché

Loin de l'ivresse du scientisme propre au 19° siècle, le champ dévolu à la psychologie a connu une extension sans précédent. Au développement des techniques psychothérapiques ( à la suite, en complément ou en opposition à la psychanalyse) a correspondu une multiplication des indications des psychotechniques, de la souffrance individuelle à la productivité collective, de la propagande politique au management et à la publicité, ou encore à la victimologie. Les besoins psychologiques ont acquis une légitimité égale à celle des besoins matériels de telle sorte que la demande de soulagement, de mieux-être et de développement personnel est énorme. Ceci fait apparaître sur un marché, inévitablement mal réglementé, des professionnels auto-proclamés pouvant tout ignorer de la psychopathologie, et des groupes avides de s'engouffrer dans ce créneau porteur.

Parallèlement, on a assisté, peut-être au contact d'autres cultures à la progression d'une conception holistique de l'ensemble corps-psyché aboutissant à un syncrétisme dans la recherche de l'Harmonie et de l'Equilibre. Puisque la psychologie, voire le spirituel sont des voies d'accès privilégiées pour la préservation de " l'Homme Global ", la tentation de substituer des pratiques de ce type aux traitements scientifiques est grande. On est ici dans le domaine de l'hypothétique, du révélé donc de l'irréfutable à l'opposé de ce que Popper a défini comme la démarche de la science.

Des conceptions diversifiées du Bien et du Mal

Les aberrations en matière de soins inefficaces, de prescriptions absurdes ou dangereuse, d'abstention risquées, ne sont pas souvent l'effet d'une intention criminelle même si la Loi les condamne comme telles. Dans les groupes " guérisseurs, religieux, ou de développement personnel où se rencontrent ces aberrations, c'est souvent la conception même de ce qui relève du Bien et du Mal qui entraîne des pratiques qui se révéleront dangereuses.

Si, dans le cadre d'une pratique médicale ou psychothérapique non sectaire, la notion de Bien recoupe la sécurité et le soulagement du sujet, son autonomisation, il n'en est pas de même dans les groupes d'embrigadement. Agir pour le "Bien " du sujet peut couvrir tout autre chose. Quelle que soit l'idéologie défendue, le bien se confond avec la conformisation du sujet au groupe et au désir de ses chefs, ainsi qu'avec une adhésion sans réserve à la doctrine. L'intérêt, voire la sauvegarde physique et psychique du sujet ne peuvent être pris en compte que dans le cadre de cette conformité. C'est ainsi que l'on peut replacer la souffrance du coté du Bien et des mesures salvatrices du coté du Mal si elles ne sont pas conformes au dogme. Ceci est une application de la volonté de tous les groupes d'embrigadement de proposer en tous domaines des alternatives radicales, face aux usages, règles et valeurs en cours dans la société globale, renforçant ainsi un sentiment identitaire élitiste.

En deçà d'une intention criminelle

Les aberrations évoquées plus haut peuvent aussi correspondre à une vraie croyance dans la validité du " remède universel " que constituerait la " Vérité Absolue " à laquelle adhère le groupe. Dans d'autres cas les effets collatéraux dangereux des pratiques sont considérés comme un prix à consentir pour atteindre des objectifs d'un ordre supérieur.
Parfois certaines pratiques dangereuses peuvent être prescrites et acceptées dans une optique de purification et d'extirpation du Mal hors des sujets, fût ce au prix de dommages graves.
Enfin, dans certains groupes, il existe des " traitements " à visée éducative ou punitive, visant à préserver l'harmonie du groupe et son homogénéité, sans prise en compte des risques encourus par l'individu visé. La violence ainsi exercée trouve sa pseudo légitimité dans le droit que se donne une instance dirigeante auto proclamée ,d' élaborer et d'appliquer sa propre loi sans tenir compte des institutions démocratiques.
Les interprètes de l'Inconnaissable
On comprend mieux la situation actuelle des psychothérapies si l'on revient sur la genèse de la médecine scientifique. Jusqu'au 19° siècle, les connaissances se construisaient à partir d'une observation globale des phénomènes, en ne pouvant que conjecturer quant aux mécanismes impliqués. Les interprétations divergentes et approximatives de ces mécanismes conduisaient à des protocoles de soin très diversifiés, de nombreux échecs, certain traitements mortifères et un prolifération de charlatans. Actuellement les protocoles de soins médicaux sont bien définis pour la plupart des maladies, reproductibles avec précision et susceptibles d'être enseignées à n'importe quel médecin . Le génie diagnostique et thérapeutique vient de surcroît.

Dans le champ des psychothérapies, malgré les progrès réalisés, on est loin d'en être là. Sans même parler des " traitements ", l'accord n'est pas général sur la classification des diagnostics et encore moins sur les mécanismes en cause dans la survenue et l'évolution des phénomènes. La fonction dévolue au thérapeute, la façon de le former et de contrôler sa pratique reste un sujet de discussion et sont largement déterminées par la culture ambiante. Chaque Ecole revendique une certaine conception du développement infantile, une explication sur la genèse des dysfonctionnements, des propositions spécifiques d'intervention, et implicitement une certaine idée de " l'homme achevé " ou moins dysfonctionnant après la thérapie.

Il en ressort que le psychothérapeute reste paré du mystère d'un explorateur et interprète des ressorts cachés, du mystère de l'esprit ,de l'Inconnaissable. D'où son prestige mais aussi ses limites.

Bien sur, il n'y a aucune comparaison possible entre un thérapeute très longuement formé par des maîtres compétents et honnêtes, dans le cadre d'une discipline approfondie, avec un contrôle permanent, et, à l'opposé l'amateur auto proclamé reconnu par son seul groupe . Dans ce domaine ,l'amalgame ne peut résulter que d'un confusionnisme ignare. Mais on conviendra qu'il est difficile à un public non averti de s'y reconnaître.

Des facteurs de carence dans les soins et les psychothérapies

La dichotomie vérité/erreur est insuffisante pour définir ce que l'on peut légitimement attendre des psychothérapies et ,plus généralement de toutes les instances de soins. Il semble plus intéressant d'observer les pratiques, marginales ou non, à la lumière de ce qui leur fait parfois défaut.

En effet les pratiques dangereuses pêchent moins par leur différence ou leurs erreurs que par ce qui leur manque. La carence concernant la pratique de soin ou d'aide psychologique peut concerner le thérapeute, la prise en compte de tous les paramètres, les règles de l'(art, les finalités et priorités, l'enseignement et la transmissibilité, les modalités de validation, l'accessibilité à tout un chacun.

Le thérapeute est il avant tout soucieux de son patient lui même, est il dûment formé, contrôlé dans sa pratique, curieux de recherches et de critiques, en perfectionnement continuel ?
Toutes les dimensions de la vie du sujet et de la sécurité des tiers sont elles prises en compte ? (.risques thérapeutiques facteurs affectifs, sociaux économiques, respect de la personne, de ses valeurs, prise en compte de ses peurs.

- Les règles de l'art (connaissance de la psychologie et psychopathologie, du danger de certaines pratiques) sont elles appliquées ?
- Les finalités prioritaires sont elles au service du sujet de son équilibre, de son autonomisation de sa libération de toute emprise
" thérapeutique " ?
-Les " connaissances " sont-elles transmissibles et contrôlables ou incommunicables et réservées, voire secrètes ?
- Les méthodes sont-elles validées dans le cadre d'un débat contradictoire public et d'une évaluation objective ?
- Les échecs, les erreurs, les accidents et les effets collatéraux nocifs font-ils l'objet d'une investigation critique approfondie ?

On voit que ce questionnement ne s'adresse pas exclusivement au secteur des médecines parallèles et des psychothérapies marginales. Il pourrait contribuer à relancer un débat bloqué sur les seules notions de vérité et d'efficacité.

 



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