Les sectes pseudo-catholiques

(source : BULLES, 4ème trimestre 1985)

Dans le cadre des études sur les « petites » sectes, nous en présentons quelques unes, non parce qu'elles sont en marge et en rupture de l'institution catholique mais parce qu'elles appartiennent à l'univers sectaire. Elles ont été groupées pour la commodité et aussi parce qu'elles présentent maintes similitudes. Jamais nous ne combattons ni ne ridiculisons un groupe à cause de ses croyances, fussent-elles les plus aberrantes ou les plus insolites, jamais nous n'interpellons une communauté pour ses choix ou expériences de vie, fussent-elles scandaleuses, jamais nous ne culpabilisons des personnes parce qu'elles sont en état de rupture (la société contemporaine connaît quotidiennement des ruptures banalisées). Nous ne signalons un groupe que parce qu'il présente les critères du sectarisme totalitaire (chantage religieux, mercantilisme sans vergogne, mainmise psychologique sans issue, ni sans contrôle extérieur, manipulation de la personnalité et du comportement de l'individu, confiscation, violente ou subtile, du libre arbitre).

Nous avons voulu nous placer sur un terrain a-confessionnel mais pour la compréhension générale, nous avons indiqué brièvement les règles appliquées par l'Église catholique pour le discernement des personnes qui se destinent à la vie religieuse. Cette information est d'ailleurs utile pour faire les distinctions nécessaires entre les moines et moniales catholiques et adeptes communautaires de certaines sectes qui disent s'en approcher.

« Il y a eu de la lâcheté partout où il y a eu de la tyrannie »
Le Prince, Jean-Louis Guez de Balzac.


La « crise » de l'Église catholique semble accélérer le développement sur ses franges (et aussi parfois en son sein) de communautés qui ont les caractéristiques des sectes dites unanimistes, élitistes, sûres de leur vérité et allergiques au regard extérieur.

Si la protestation religieuse à l'intérieur même des églises ne concerne pas directement l'ADFI, car elle se veut a-confessionnelle et n'est, en conséquence, pas partie prenante du débat théologique en cours en revanche elle est directement concernée quand des pratiques malhonnêtes et parfois dangereuses sont utilisées dans les groupes pour embrigader les individus.

Une première pratique malhonnête

C'est d'abord celle qui consiste à faire croire, pour attirer les personnes, que la communauté appartient à l'Église catholique, alors qu'en réalité, bien qu'elle s'en prévale, non seulement elle n'est pas « reconnue » ou homologuée par la hiérarchie,
mais souvent même elle est dénoncée par cette dernière.

Comme « preuve » de leur fiabilité et de leur bonne foi, ces groupes dissidents/protestataires diffusent des « lettres de recommandation » (parfois authentiques) de vicaires généraux, d'évêques, voire même des « bénédictions » papales. Ces « lettres » constituent, bien évidemment, pour certains clients, une garantie qui les conforte et les rassure dans leur choix.

Quelques exemples

Lors du procès qui lui fut intenté en 1975, la secte des « Trois saints coeurs » (1) exhiba, pour sa défense, un chanoine fort d'une longue expérience en matière de conseil spirituel qui se déclara convaincu de l'authenticité des messages de Dieu reçus par la communauté. Lors de ce procès, l'archevêché de Malines-Bruxelles se vit obligé de faire paraître le communiqué suivant : « A l'occasion du procès de Mons, les promoteurs d'une secte (...) ont présenté leur groupement comme un groupement charismatique dont le cardinal Suenens s'est fait le promoteur. Le cardinal Suenens proteste avec indignation contre l'équivoque ainsi créée. Cette secte déplorable n'a aucun rapport quelconque avec le renouveau charismatique et relève du plus pur illuminisme de ses inventeurs ».

Même chose en Lorraine pour l'Église mystico-sectaire du pseudo-pape Clément XV (2) qui, dans toutes ses brochures, publie une carte avec la « Bénédiction apostolique » de Pie XII et s'en sert pour recruter.

A Puylaurens, le voyant Victor Lefèvre (décédé récemment) se targuait, quant à lui, de posséder une « bénédiction apostolique » signée par Jean-Paul II (3).

En Italie, Mamma Ebe (fondatrice de la « pieuse union de Jésus le miséricordieux ») condamnée en 1984 (4), pour association criminelle, séquestration de personnes, escroquerie et exercice illégal de la médecine, était considérée comme une « sainte » par Mgr Moneta, l'archevêque d'Udine qui avait reconnu en 1977 le caractère pastoral de la « pieuse union » et qui malgré les avertissements de Rome s'entêtait à croire celle qui disait : « Beaucoup, même parmi les cardinaux, m'ont protégée. Ils se servaient de moi pour faire marcher leur institution, souvent sans même payer. Aujourd'hui, ils font semblant de ne jamais m'avoir connue ».

Pour renforcer leur crédibilité catholique, beaucoup de ces communautés mettent en avant leurs prêtres, la plupart du temps authentiques mais (ce qu'ils n'avouent pas) ayant rompu avec leur église, ou étant suspendus ou interdits par celle-ci. La présence de ces (ex-)prêtres constitue également, aux yeux de certains clients potentiels, une garantie de sérieux souvent déterminante dans leur décision d'adhérer. Ce n'est pas fortuitement que par exemple les fondateurs de la communauté Notre-Dame d'Andiran le Fréchou (en Gascogne), près de Nérac, Roger Kozik et Michel Fernandez se sont faits « irrégulièrement » ordonner prêtres (5), ce qu'ils nient farouchement, mais leur permet d'abuser tranquillement leurs adeptes.

Prêtres en rupture

Parmi les prêtres en rupture dirigeant des communautés, citons : Ces prêtres en rupture connaissent parfaitement le fonctionnement des Eglises, savent profiter de leurs conflits internes, de leurs doutes, de leurs failles, de leurs contradictions et de leur dispersion géographique, pour recruter et prospérer à leurs dépens. Ajoutons que leur formation, leur savoir théologique constituent un atout considérable qui les prédispose à prendre l'initiative dans la déviance.

Seconde pratique malhonnête

A notre avis, beaucoup plus grave que la précédente, parce que plus conséquente à terme, une seconde pratique malhonnête consiste de la part de certaines de ces communautés à imposer à leurs membres, au nom de la tradition, au nom de Dieu, des valeurs ou des pratiques telles que l'obéissance (canon 601 et 618), la transparence et l'engagement à vie (consécration), tout en rejetant les garde-fous, les contrôles extérieurs que l'Église catholique a instaurés depuis longtemps, pour limiter précisément les erreurs ou les risques d'embrigadement au moment de l'entrée dans le groupe et les risques d'abus de pouvoir par la suite.

L'Église catholique a en effet fixé des normes juridiques extrêmement précises qui sont consignées dans le Code de Droit Canonique (8) et plus précisément encore dans les Constitutions des Congrégations reconnues. Il nous semble important dans l'effervescence communautaire actuelle d'en citer quelques passages :

Pour réduire l'emprise des supérieurs sur les religieux (9), le droit canon précise que le supérieur général d'une Congrégation doit être désigné par une élection canonique présidée par l'évêque et que les supérieurs soient élus pour un temps déterminé afin de ne pas demeurer trop longtemps et sans interruption dans leur charge.

Ces structures de contrôle remplissent actuellement largement leur rôle, mais ne peuvent, à elles seules, prétendre évacuer, tout risque de « trucage », toute « bavure » de la part de telle ou telle communauté, même homologuée, et de son leader. On sait qu'il y a toujours un décalage entre la règle, la structure officielle et la réalité vécue. Une règle peut être, parfois heureusement et d'autres fois malheureusement, contournée de multiples manières ou encore tout simplement ignorée faute de temps et de compétence. Il faut reconnaître qu'il est parfois difficile de cerner la structure informelle qui fonctionne derrière toute structure officielle, y compris celle qui crie la générosité et le désintéressement, mais ça l'est davantage encore quand une communauté, religieuse ou non, a des choses à cacher et que la consigne absolue vis à vis de l'extérieur est le silence et le mensonge. Pour aller au-delà des apparences et mettre à jour la structure totalitaire d'une communauté qui se prétend au-dessus de tout soupçon, il faut refuser la facilité et avoir beaucoup de perspicacité, surtout si elle s'est organisée de façon à ce que son intimité, son fonctionnement échappent totalement au regard extérieur, y compris, éventuellement, à celui de l'évêque ou de son représentant. Le visiteur extérieur qui souhaite vraiment savoir ce qui se passe et aller au fond des choses ne peut donc pas se contenter des sourires angéliques et sympathiques des moines et moniales qui l'accueillent. Les chefs (généralement immuables) des communautés perverses sont très forts pour imaginer les artifices permettant d'être reconnus à l'extérieur, voire même adulés et montrés en exemple, bref crédibles, tout en faisant, dans le même temps, régner, grâce à une structure secrète, une sorte de peur régressive à l'intérieur de la communauté.

Quelques exemples d'inattention

Prenons d'abord celui de la communauté charismatique, dite l'ex-Famille de Nazareth, (déjà citée) qui était reconnue très officiellement par la hiérarchie et dont le fonctionnement totalitaire exemplaire a été mis en évidence. Il semble qu'il y ait eu dans ce cas précis, pour le moins, un manque d'attention de la part de l'évêque dont elle dépendait. Marcel Cornelis, le fondateur-animateur, avait, contrairement à ce qui était annoncé dans les Constitutions du groupe, un pouvoir occulte quasi total sur l'ensemble de ses membres, alors qu'officiellement il n'était là que comme « prêtre conseiller ». Il avait obtenu ce pouvoir, d'une part grâce à son ascendant sur les adeptes (qu'il avait « sauvés un par un »), d'autre part grâce aux structures mises en place avec l'accord de la hiérarchie et dont l'élément essentiel était l'obéissance/transparence. Le contenu des confessions (sous la forme de révisions de vie collectives et publiques) remontait systématiquement aux oreilles du gourou. Or jamais aucun responsable d'Église extérieur à la communauté n'est venu voir comment fonctionnait réellement cette exigence d'obéissance/transparence qui interdisait toute déviance, ou encore de quoi parlait le journal intérieur confidentiel. Pourtant, cette « lettre » intérieure secrète trahissait le fonctionnement réel de la communauté.

Une simple visite de courtoisie de la hiérarchie, autour d'un repas festif et au milieu d'adeptes euphoriques, n'est pas suffisante pour savoir ce qui s'y passe réellement et mettre éventuellement à jour des pratiques inavouées parce qu'inavouables. Le drame, c'est qu'au lieu de remplir sa fonction de contrôle, une visite aussi formelle et rapide cautionne indirectement un système en train de devenir, ou même déjà totalitaire. Elle légitime son animateur à la fois « craint et aimé ».

Il est vrai que dans la situation difficile de l'Église actuelle et devant l'effondrement de beaucoup de congrégations religieuses traditionnelles, certains responsables ecclésiastiques sont tellement heureux de voir émerger des communautés nouvelles qu'ils préfèrent, de peur de les contrarier ou de les voir quitter l'Église, être à leur égard le plus discret possible, et sur leurs théologies et sur leurs pratiques communautaires. Les exemples à cet égard ne manquent pas.

De la reconnaissance à la rupture

Cela dit, ce qui peut se passer ici ou là avec une communauté reconnue par la hiérarchie, a beaucoup plus de chance de se produire, pour les raisons évoquées plus haut, avec une communauté à structures fortes totalement marginale. Tel est, de toute évidence, le cas de la communauté de moines et moniales installée à Saint-Parres-lès-Vaudes, depuis 1963, par l'abbé Georges de Nantes, malgré l'interdiction absolue de l'évêque du diocèse. Certes, là encore, au départ « l'Union pieuse » fondée en 1958 à Villemaur avait été reconnue par l'évêque de Troyes, mais quelques années plus tard, à la suite de divers actes de désobéissance à l'égard de ce dernier, Georges de Nantes avait reçu le 10 mai 1963 l'ordre de quitter le diocèse. Il refusa d'obtempérer et développa son « Union Pieuse » en totale liberté, c'est-à-dire sans les entraves du contrôle hiérarchique. Le résultat fut qu'il n'y eut plus de frein au pouvoir de son chef (auto-élu) et donc de recours éventuel possible pour ceux et celles qui sont sous son emprise. Le risque est d'autant plus grand qu'il n'a de compte à rendre à personne. Il se prend pour l'intermédiaire charismatique privilégié de Dieu à l'intérieur de sa communauté. Il mobilise ses religieux en permanence avec des thèmes tels que l'angoisse de la fin des temps, la crainte de l'invasion imminente de la France par les soviétiques, la peur du feu de l'enfer, et, pourquoi pas ?, les menaces d'attentat contre sa personne, c'est-à-dire contre celui sans lequel ils sont désormais convaincus qu'ils ne seraient plus rien, parce qu'ils ont fini par accepter de déposer à ses pieds leur conscience personnelle, leur libre arbitre et leur autonomie.

Qu'on en juge : dans sa « lettre » du 15 août 1982, Georges de Nantes écrit à propos de deux de ses religieux ayant prononcé leurs voeux perpétuels :

Le message est on ne peut plus clair et complète la règle « provisoire », officiellement toujours en vigueur, mais certainement largement dépassée par la réalité.

On peut lire en effet :

Comment ne pas être inquiet sur sa façon de commander sa communauté (10) quand ce même prieur affirmait récemment dans une conférence à la Mutualité :

Une vigilance qui s'impose

Ces deux exemples, que nous pourrions multiplier, suffisent à montrer à notre avis la gravité du problème et les conséquences possibles d'un manque de curiosité de la part des Églises sur leurs propres « sectes » ou de leur comportement parfois ambigu à leur égard.

Il faut cependant reconnaître que certains responsables d'églises sont d'une extrême vigilance et interviennent très efficacement (12). D'autres se font hélas régulièrement rouler dans la farine (13) par naïveté, lâcheté ou incompétence. D'autres encore craignent en les dénonçant de leur faire une inutile publicité ou de provoquer un scandale qui pourrait retourner l'opinion contre l'Église. En général, ils n'interviennent publiquement que contraints et forcés et après avoir beaucoup hésité malgré la malhonnêteté et la perversité parfois criante de certains de ces groupes qui se jouent d'eux et ne respectent évidemment pas la règle du jeu.

Il serait extrêmement regrettable qu'au moment même où certaines communautés ou sectes perverses, dénoncées par les uns et les autres, se multiplient, les Églises dominantes et l'Église catholique en particulier ne balayent pas sérieusement devant leurs portes. Il est bien connu, qu'il n'y a pas plus aveugles et sourds que ceux qui, pour diverses raisons, ont intérêt à ne pas voir et à ne pas entendre...

René Delataille


(1) Voir sur ce sujet par Yves Lecerf, Les marchands de Dieu, analyse socio-politique de l'affaire Melchior, éditions Complexe, Bruxelles, 1975.
 
(2) Cf. La brochure « La Vérité sur l'Église de Gloire, sous le Pontificat de Clément XV », N° 125, février 1974. Voir également Clément XV, prêtre et pape à Clémery, par Antoine Delestre, Ed. P.Il.N./Serpenoise, 1985.
 
(3) Voir par exemple l'article de Nicolas Beau dans Le Monde du 12/13.2.84.
 
(4) Cf. Le Monde du 29/30.7.84.

(5) Cf. la brochure : « Que penser des apparitions d'Andiran Le Fréchou ? », Supplément au n° 6 de « Voix de l'Église en Agenais », février 1982.
 
(6) Voir sur ce sujet, Olivier Braconnier, Radiographie d'une secte au-dessus de tout soupçon, ou l'histoire mouvementée du groupe de Saint-Erme, Ed. du Cerf, Paris, 1982.
 
(7) Sur ce groupe voir Patrick et Philippe Chastenet, Phophéties pour la fin des temps, Ed. Denoël, 1983.
 
(8) Cf. Code de droit canonique (latin-français), Ed. Centurion.Cerf.Tardy, Paris 1984. Précisons que sur ce sujet le
nouveau droit canon n'a pas changé les dispositions fondamentales de l'ancien.
 
(9) On peut consulter à ce propos : Règles des moines, Pacôme, Augustin, Benoît, François d'Assise, Carmel, Ed. du Seuil 1982. Sur les risques et les bienfaits de la sacro-sainte exigence d'obéissance dans les communautés, nous recommandons de lire le livre de Monique Hébrard, Les Nouveaux disciples, Voyage à travers les communautés charismatiques, et tout particulièrement le chapitre 3, « L'obéissance, risques et richesses », Ed. du Centurion, Paris 1979.
 
(10) Ce n'est pas par hasard que des parents, dont les trois fils sont sous la coupe de Georges de Nantes, ont créé à Orléans l'association Espoir et Dialogue, et se battent pour sauver leurs enfants et les autres membres du groupe comunautaire. Adresse : M. et Mme Decaris, Espoir et Dialogue, 23, rue Serenne, F-45000 Orléans.

(11) Cf. Le Monde du 23/24.6.85.
 
(12) Nous pensons en particulier ici à Jacques Trouslard, ancien vicaire général du diocèse de Soissons, intervenu vigoureusement et courageusement dans différentes affaires et en particulier celles de Saint-Erme et Dozulé, ainsi que Mgr Roger Johan et Mgr Sabin Saint Gaudens, évêques d'Agen, à propos de la secte du Fréchou.Andiran, Cf. note 5.
 
(13) On se rappelle des difficultés rencontrées par l'ADFI et la presse pour convaincre, malgré des preuves accablantes, les autorités ecclésiastiques du fonctionnement arbitraire de l'Association L'Eau Vive. Cf. entre autres les articles d'Alain Woodrow dans Le Monde du 26 et 27 novembre 1981 et d'André Vimeux et Albert Longchamp dans Témoignage Chrétien, du 8 mars 1982.


 
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