Sectes et patrimoine

  

L'appropriation de patrimoine par les Sectes

(Source : Éditorial de BULLES 3ème trimestre 1997)

Par une belle après midi de printemps, une foule se pressait dans une salle de la mairie d'une petite commune de la côte atlantique, attirée par un événement rare: l'administration des Domaines s'apprêtait à vendre aux enchères, comme ce fut déjà le sort de nombreuses petites gares de campagne, un sémaphore qui avait appartenu à la Marine. Construit à la fin du Second Empire sur un site choisi pour l'étendue de sa vue sur la mer, afin de surveiller les abords de la côte et participer à la sécurité de la navigation, ce petit édifice militaire ne répondait plus aux besoins d'une Marine moderne. Mais il gardait une place dans l'histoire locale, et dans la salle ensoleillée de la petite mairie, les curieux étaient plus nombreux que les acheteurs potentiels.

C'était après tout une pièce du patrimoine commun qui allait devenir propriété privée. Dans un silence tendu le processus des enchères commença et très vite s'emballa, au grand dam des amateurs de bonnes affaires, pour rapidement ne plus laisser en lice que deux poids lourds. Chacun retint son souffle à l'énoncé, énorme, de la dernière enchère, et, lorsque retentit le cri "adjugé", la salle croula sous les applaudissements. Mais, à qui s'adressait cet hommage crépitant ? Au montant d'une somme hors de portée du commun ? Au gagnant d'une compétition de haut niveau ? A l'objet des enchères lui-même, dont chacun se sentait un peu propriétaire et dont la valeur était ainsi reconnue ? Un journal régional consacra un article à l'événement, se réjouissant notamment que l'acquéreur soit un enfant du pays, amoureux d'un site qui resterait ainsi un peu dans le patrimoine commun et serait préservé des atteintes à la mémoire.

De cette anecdote récente, on est tenté de retenir deux éléments:

Les sectes ont compris depuis longtemps l'impérieuse nécessité de disposer de capitaux très élevés. Cela leur permet d'asseoir leur pouvoir, et de surcroît il s'agit pour elles de véritables assurances vie. Or, tous les dirigeants d'associations savent combien il est difficile de faire face aux frais qu'entraînent leurs activités bénévoles, avec comme seules ressources les cotisations des adhérents. Même la générosité de la puissance publique ne permet pas toujours les développements souhaités.

Alors pour passer à la vitesse supérieure, il ne reste que deux solutions : faire appel au plus grand nombre au prétexte vrai ou bidon d'une grande cause capable d'émouvoir une opinion bien préparée ; ou s'approprier la totalité ou la quasi totalité des biens de ceux qui croient voir en vous la solution de tous leurs problèmes. Lorsque la fusion des coeurs, au terme d'un processus plus ou moins long, est réalisée entre la communauté sectaire et le nouvel adepte, comment pour ce dernier ne pas trouver naturel la fusion des biens personnels et de ceux de la communauté ?

En s'appropriant un patrimoine privé, voire en acquérant un bien public, la secte ne se contente pas d'augmenter sa surface financière; elle crée une situation irréversible qui accroît son pouvoir sur l'existence de ses adeptes bien sûr, mais aussi d'une certaine manière, sur celle de la société toute entière.

  

Sectes et testament

(Source : BULLES 3ème trimestre 1997)

II y a une vingtaine d'années, un dirigeant français d'une des plus grandes organisations internationales appelées maintenant sectes (1), expliquait à la famille d'un jeune adepte pourquoi il était à court d'argent: " Nos frères sont jeunes ...mais dans quelques années cela ira mieux, quand ils recueilleront l'héritage de leurs parents " (sans commentaire !).

Depuis lors, cette attente s'est concrétisée, pour cette organisation comme pour les autres, et nous en avons, hélas, des preuves irréfutables. Peu ou beaucoup, les adeptes donnent tout, tout de suite.

Il est donc réaliste et légitime d'éviter, dans la mesure du possible, d'enrichir encore une entreprise dont on connaît et condamne, en toute conscience. Les objectifs et les méthodes.

La loi française ne permet aux parents de disposer de leurs biens que dans une mesure limitée. Quand les deux parents sont vivants, le plus urgent est d'assurer les moyens d'existence du survivant en cas de décès de l'un d'eux, en évitant un partage forcé au moyen d'une vente qui l'obligerait à abandonner son commerce, son exploitation agricole, ou simplement sa maison. Il faut donc que les parents établissent, devant notaire, un acte (donation d'usufruit) garantissant au survivant l'usufruit des biens de la communauté (2) .

En effet, en l'absence de donation d'usufruit, le survivant conserve sa vie durant l'usufruit du quart de la succession, à moins qu'il ne demande que cet usufruit soit converti en capital qu'il toucherait; le calcul est fait en fonction de son âge. La donation d'usufruit évite que la part du conjoint décédé soit aussitôt partagée. Les choses restent pratiquement en l'état jusqu'à la mort de l'autre conjoint.
 
À ce moment là, lorsqu'il y a des héritiers directs (3), la succession est partagée également entre ceux-ci. Tous les arrangements sont possibles (si l'on s'entend bien !), tant que la valeur marchande de chaque part est égale à celle des autres. Le testateur peut cependant disposer d'une part de ses biens au profit de qui il veut : un ou plusieurs de ses héritiers, nommément désignés, d'autres personnes ou d'une oeuvre ou association déclarée d'utilité publique (vérifier que c'est bien le cas). Cette part, appelée "quotité disponible", est de :

Cette quotité peut être donnée en tout ou en partie, du vivant du donateur, à un ou plusieurs de ses enfants (5). Mais attention, si le total des dons entre vifs, ou des legs particuliers, excède la quotité disponible, le ou les héritiers s'estimant lésés peuvent demander la restitution (réduction) de ce dont ils s'estimeraient frustrés, éventuellement par une action en justice (6).

À titre d'exemple : un père ou une mère (veuf ou veuve) possède un patrimoine de 1 million de francs (logement, comptes courants, épargne, etc.) ; il a quatre enfants, dont un appartient à une secte dont on sait qu'elle s'approprie les héritages. La quotité disponible est d'un million à diviser pas 4, soit 250.000 francs. Le reste, soit 750.000 francs sera partagé également entre les quatre enfants. La secte empochera cette somme, soit 187.500 francs.

Il est bien impossible de mentionner tous les cas particuliers, chaque situation étant unique. Mais on voit bien qu'il s'agit d'un problème non seulement matériel, mais moral :

Reste qu'il est urgent d'expliquer précisément la situation au notaire (7), en mentionnant les faits et non les sentiments, même légitimes, mais dont la loi ne peut tenir compte.

L'adepte, lui, n'est privé de rien, puisque de toute façon il se dépouillera de sa part, dont rien ne lui sera rendu s'il quitte la secte (ou à la rigueur, dans certains cas, au terme de démarches et de procès longs, pénibles, coûteux - et aléatoires).


  1. L'une de celles qui collectaient déjà le plus d'argent.
  2. Ne pas oublier, qu'en France, les époux ayant des enfants n'héritent pas l'un de l'autre; à la mort d'un conjoint, l'autre reste propriétaire de la moitié des biens de la communauté.
  3. Enfants ou leurs représentants, c'est-à-dire les petits enfants
  4. Art. 913 du Code civil
  5. Art. 919 du Code civil
  6. Art. 920 à 930 - Bien entendu, chacun peut, en toute liberté, faire des cadeaux à ses enfants et petits-enfants, sans en tenir le compte exact, du moment qu'il ne s'agit que de dépenses prises sur les revenus courants, et non sur le patrimoine.
  7. En particulier: fournir le contrat de mariage s'il en a été fait un, et préciser la composition du patrimoine.

  

Sectes : Financement et Fiscalité
(Source : BULLES 3ème trimestre 1997)

L'intérêt suscité en France par le phénomène des sectes, lié aux récents événements, tient à la fois à leur prolifération et à la mise en évidence d'agissements répréhensibles, qui relèvent du droit pénal.

En ce qui concerne le domaine fiscal également, le comportement des sectes est douteux, bien que la plupart d'entre elles disposent d'importantes disponibilités financières ainsi que d'un patrimoine immobilier conséquent.

Dans le cadre du présent article, il n'est bien sûr pas question d'analyser de manière exhaustive les procédés de fraude, mais plutôt d'effectuer une approche permettant de recenser certaines anomalies financières fréquentes dans ces organisations ayant des répercussions sur la fiscalité.

Au niveau des généralités fiscales, il est permis de dégager les principales constatations suivantes :

Sans pouvoir répertorier l'ensemble des anomalies constatées dans la gestion et le financement des sectes, il existe une particularité élémentaire commune à la majorité de celles-ci, à savoir leur organisation loi de 1901. Ce statut associatif permet à ces organisations de bénéficier d'une dimension légale. Toutefois, à ce stade, on ne peut qu'être surpris par l'absence de surveillance, voire de contrôle coercitif par les pouvoirs publics, étant donné, d'une part le non respect par les sectes des règles de fonctionnement qui régissent habituellement une association à but non lucratif et d'autre part la recherche systématique de bénéfices.

C'est pourquoi, afin d'éviter un éventuel droit de regard des services administratifs et particulièrement fiscaux, les sectes disposant d'un puissant potentiel financier ont constitué des structures commerciales (sous forme de SA, SARL, etc.) qui, tout en étant indépendantes de la secte elle-même, restent sous le contrôle tant idéologique que financier des principaux dirigeants de l'organisation. À noter, entre autres, que les profits dégagés par les sociétés affiliées aux sectes le sont généralement grâce à un faible coût salarial dans la mesure où la main d'oeuvre (constituée pour tout ou partie d'adeptes) est faiblement rémunérée pour ne pas dire bénévole dans certains cas. Dès lors, les profits réalisés pourront servir à améliorer sensiblement le train de vie du gourou et d'un groupe plus ou moins important de responsables de la secte.

Par ailleurs, il convient de soulever un point non négligeable concernant les marchandises (objets ou produits divers : ouvrages, encens, bibelots, bijouterie fantaisie, etc.) à destination de la clientèle particulière, adepte ou non de la secte. En effet, il est fréquent que la valeur du produit distribué (par démarchage au porte à porte ou sur la voie publique ou encore lors de réunions organisées par la secte) ne justifie pas le paiement par chèque et même si tel est le cas le règlement en numéraires est vivement encouragé. Dès lors, il est aisé de comprendre les incidences évidentes sur la prise en compte ou plutôt l'absence de prise en compte des recettes collectées dans la comptabilité de la société, filiale de la secte, lesquelles recettes ne sont pas soumises, ou partiellement, à l'assiette des divers impôts et taxes.

Cette remarque est également valable dans le cas de dons versés en espèces par des particuliers acquis ou non à la cause de l'organisation sectaire. Pour reprendre l'adage célèbre : si " l'argent n'a pas d'odeur ", l'argent liquide encore moins !

Sans être un spécialiste de la technique fiscale, on peut donc apprécier les difficultés rencontrées par les services compétents lors d'une vérification de comptabilité afin de reconstituer de manière rigoureuse les recettes issues de la vente des marchandises concernées.

En présence d'une organisation sectaire ayant des ramifications dans plusieurs pays, ainsi que des sociétés commerciales multiples, le volume d'argent liquide est encore plus délicat à appréhender. L'évasion fiscale s'en trouve bien évidemment accentuée. À titre d'exemple, une récente vérification de la situation fiscale de la responsable française d'une secte d'obédience internationale, dont le gourou ainsi que l'activité sont établis dans un pays tiers, n'a pas permis de détecter un quelconque enrichissement personnel de l'intéressée ; par contre, le contrôle fiscal a mis en évidence l'envoi régulier de mandats internationaux à destination de ce pays.... vraisemblablement utilisés pour l'amélioration du train de vie du Grand Maître et non dans un but philanthropique !

Pour conclure, on peut affirmer que si certaines mesures sociales s'avèrent nécessaires et même urgentes afin de protéger l'homme, a fortiori l'enfant, contre les sectes (notamment vis à vis de celles reconnues parmi les plus dangereuses), il est également impératif de reconsidérer l'approche fiscale à l'égard de ces organisations. Sous prétexte d'être constituées en associations à but non lucratif, les sectes échappent majoritairement à tous les impôts, malgré l'importance des bénéfices qu'elles dégagent. C'est un détournement de la loi.

Des propositions sont actuellement faites pour modifier le dispositif législatif concernant les associations loi de 1901. La voie dans laquelle se sont engagés le Gouvernement.



      Documentations diverses
      Divers par thèmes
       
      Home Page 
      Sectes = danger !