OPUS DEI

Les fantassins du Pape

(Source : La Libre Belgique - 3 octobre 2002 par Pascal André

Mis en ligne le 10/03/2003
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Josemaria Escriva de Balaguer, le fondateur de l'Opus Dei, sera canonisé ce dimanche 6 octobre. L'occasion de lever un coin du voile sur cette institution tant décriée.

ÉCLAIRAGE

"Sainte Mafia", Association de nouveaux croisés, Eglise dans l'Eglise, Franc-maçonnerie catholique, Garde blanche du Pape, Etat-major du Christ"... Les détracteurs de l'Opus Dei ne manquent décidemment pas d'imagination lorsqu'il s'agit de trouver un sobriquet à cette organisation fondée en 1928 par le prêtre espagnol Josemaria Escriva de Balaguer y Albas. Il est vrai qu'avec son goût du secret, son intérêt pour le pouvoir et son élitisme, l'OEuvre suscite depuis longtemps la méfiance de nombreux catholiques et non-catholiques, et pas toujours les moindres. Ainsi, l'ancien évêque auxiliaire de Rome, Mgr Pietro Rossano, lançait-il cet avertissement, quelques jours avant sa mort: "L'Eglise est en état de péché grave parce qu'elle s'occupe de pouvoir, et parce qu'elle est occupée par le pouvoir, à savoir par Satan. Cette occupation a lieu à cause, tout spécialement, de l'Opus Dei. J'estime que c'est un devoir pour chaque chrétien de lutter pour chasser de l'Eglise un tel péché."

De telles paroles, évidemment, ont de quoi surprendre le profane. Comment, en effet, des catholiques peuvent-ils être sur des longueurs d'onde si différentes? Et que peut-on reprocher à des hommes et des femmes qui prônent la sanctification par le travail et invitent à cultiver la prière et la pénitence? Le problème, c'est que l'Opus Dei est passée `experte en brouillage des pistes´ et qu'il y a souvent loin des déclarations d'intention aux actes. Ainsi, par exemple, les membres de l'OEuvre ont beau répéter que leur organisation n'est pas secrète mais discrète, on ne peut s'empêcher de ressentir un profond malaise à la lecture de certains témoignages.

J'avais quatorze ans et j'étais élève au lycée Chaptal à Paris, confie Dominique à un journaliste du "Monde Diplomatique". Un jour, un camarade de classe m'invite dans un club de jeunes. L'accueil était chaleureux, en présence d'un prélat en soutane qui surveillait un peu tout. Plusieurs loisirs s'offraient à nous. Il y avait aussi une salle de travail, où une personne pouvait m'aider dans mes études. Pas d'activité religieuse en tant que telle, juste une causerie-méditation.Après plusieurs voyages à Rome et en Espagne, et des week-ends au château de Couvrelles, pour des retraites en silence, un laïc à qui je parlais régulièrement était devenu mon directeur de conscience. On m'a alors fait connaître les principes de l'OEuvre.Aux Etats-Unis, plusieurs aumôniers universitaires se sont d'ailleurs plaint des méthodes clandestinesutilisées par le mouvement, ainsi que de son comportement sectaire.

De même, les membres de l'Opus Dei ont beau nier l'élitisme du mouvement, reste que certains écrits du fondateur ont de quoi troubler. Dans "Chemin", par exemple, celui-ci se laisse parfois aller à des propos peu égalitaires: "Ou encore: "Te laisser aller? Toi?... Ferais-tu donc partie du troupeau? Alors que tu es né pour commander! Pas de place parmi nous pour les tièdes."

Certes, les membres de l'Opus Dei ne sont pas tous des grandes figures du monde scientifique, culturel, politique ou économique, comme aime à le rappeler Stéphane Seminckx, directeur du Bureau d'information de la prélature en Belgique. Mais n'entre pas dans l'OEuvre qui veut. La liste des exigences est effectivement assez longue: ne pas être divorcé, ne pas vivre en concubinage, ne pas être homosexuel ou franc-maçon, ne pas utiliser de contraceptif, avoir un emploi honorable, connaître et honorer les sacrements, etc.

Josemaria Escriva de Balaguer n'hésite d'ailleurs pas à utiliser des métaphores militaires et guerrières pour parler de l'apostolat. Ainsi, pouvait-on lire, en 1972 dans Cronica: "Aujourd'hui, plus que jamais, nous devons être unis afin de retenir et de purifier ces eaux polluées envahissant l'Eglise de Dieu. Nous le pouvons! Nous sommes en mesure de gagner la bataille, bien que les difficultés soient immenses... Mes filles et mes fils! La situation est grave. La ligne de combat entière est en danger. Ne tolérez pas que quelqu'un de nous y enfonce une brèche."

L'Opus Dei n'est pas la seule institution catholique à se donner une telle couverture militaire. Les Légionnaires du Christ, par exemple, formulent eux aussi leurs idées maîtresses en termes de lutte, de combat ou de résistance. La nouveauté de l'OEuvre, en fait, réside plutôt dans la stratégie. Comme l'explique Peter Hertel, un journaliste allemand qui enquête depuis plus de trente ans sur cette organisation, l'Opus Dei travaille du haut vers le bas, selon le principe "Cuius regio, eius religio"(celui qui gouverne un pays détermine sa religion).

Cette stratégie est d'ailleurs confirmée par Luigi Giussani, fondateur de "Communione et Liberazione", un autre mouvement d'Eglise: "Nous autres, nous sommes les enfants de troupe, les francs-tireurs. Nous, nous faisons notre travail et nous provoquons parfois de grandes bagarres. Mais eux, ceux de l'OEuvre, ils sont des tanks: ils avancent comme des blindés sur leurs chenilles caoutchoutées. On ne les entend pas mais ils sont bien là. Et nous nous en rendrons de plus en plus compte, vous verrez."

Mais, au fond, qu'allons-nous voir exactement? quelles sont les intentions de l'Opus Dei? Quelle est sa mission réelle dans l'Eglise? Si l'on en croit son fondateur, l'OEuvre aurait surtout pour tâche de rappeler aux fidèles qu'ils sont tous appelés à la sainteté, sans exception, et que celle-ci peut être atteinte dans le simple accomplissement de leur travail et de leurs obligations personnelles. "L'esprit de l'Opus Dei, confiait-il à l'époque, a pour caractéristique essentielle de ne retirer personne de sa place. Il pousse chacun, au contraire, à accomplir les tâches et les devoirs de son état, de sa mission dans l'Eglise et dans la société civile, le plus parfaitement possible."

Bien que séduisante, cette idée est aussi vieille que l'Evangile. A propos de "Chemin", le texte de référence de l'OEuvre, le théologien Urs von Balthazar (qu'on ne peut soupçonner de progressisme) a d'ailleurs écrit: "Il ne me semble pas que ce livre ait des qualité suffisantes pour être à la base d'une si énorme construction.

Quelle est, dès lors, la particularité de cette institution? Pour Urs von Balthazar et pour bien d'autres dans l'Eglise catholique, il ne fait nul doute que cette organisation participe de l'intégralisme.

En effet, explique Luc Nefontaine, auteur d'un livre intitulé L'Opus Dei (Cerf, 1993), l'accent est mis sur la théologie morale; le juridisme manifesté dans le goût prononcé pour la législation canonique en découle; l'autorité du pape et sa primauté sont posées en principe indubitable et l'infaillibilité est étendue à tous les actes du magistère ordinaire; les aspects dogmatiques de la religion sont mis en valeur et l'orthodoxie fièrement arborée; les sources viennent d'en haut; la recherche théologique n'est pas encouragée, sauf dans un effort de justification systématique de tout le magistère romain; la religion n'étant pas seulement une affaire privée, elle doit être présente sur tous les terrains; la discipline est importante, la soumission à l'autorité ne l'est pas moins; l'hostilité au laïcisme est perceptible, etc.

L'un des traits marquants de cet intégralisme est sans conteste la cléricalisation du mouvement. Bien que l'OEuvre soit composée de laïcs à une grande majorité, ce sont les prêtres - dont la proportion se situe aux alentours des 2 pc - qui détiennent le vrai pouvoir et occupent tous les postes de commandement. Mgr Josemaria Escriva de Balaguer est d'ailleurs très clair sur ce point: "Quand un laïc s'érige en maître de morale, il se trompe fréquemment: les laïcs ne peuvent être que disciples" (Chemin, 61). Ou encore: "Si tu n'as pas une extrême vénération pour l'état sacerdotal et religieux, il n'est pas vrai que tu aimes l'Eglise de Dieu" (Chemin, 526).

Totalement dévoué au Magistère de l'Eglise dont elle est l'exécutant fidèle, l'Opus Dei est devenu aujourd'hui la troupe de choc de Jean-Paul II dans sa volonté de réévangéliser le monde. Au Vatican, on estime d'ailleurs à une centaine le nombre de membres et de sympathisants de l'OEuvre gravitant autour du Pape. Deux d'entre eux ont d'ailleurs un contact quotidien avec ce dernier. Il s'agit de Julian Herranz Casado, archevêque titulaire et membre de la `cour pontificale´, un des conseillers directs de Jean-Paul II, et de Joaquin Navarro Valls, le chef du bureau de presse du Vatican.

Une autre facette de l'influence de l'OEuvre dans l'Eglise est perceptible dans les pays d'Amérique latine. On y compte effectivement une quizaine d'évêques membres de l'Opus, dont sept rien que pour le Pérou. Certes , note encore Luc Nefontaine, la proportion relativement élevée d'évêques latino-américains est le fait de la présence et de l'action de l'Opus dans ces contrées, on peut aussi avancer que cet épiscopat constitue un rempart contre les théologies de la libération tant décriées par Rome.

Alors, finalement, l'Opus Dei mérite-t-elle toutes les critiques et accusations qui circulent à son sujet, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Eglise? A la lecture de tout ce qui précède et d'autres pages douteuses de son histoire (engagement dans le franquisme, indulgence à l'égard du nazisme, complots financiers, etc.), on serait tenté de répondre par l'affirmative. Il faut toutefois rester prudent car, comme l'explique Peter Hertel, il est très difficile de se faire une idée précise de cette institution. L'observateur ne sait que ce que l'Opus Dei veut bien divulguer au public , écrit-il. Pour dépister les véritables desseins de celle-ci, il doit souvent s'en remettre aux coïncidences, aux membres dont l'identité est finalement révélée, aux témoignages d'anciens membres qui parlent de pratiques sectaires.

Il est vrai également que certains détracteurs de l'OEuvre prirent parfois leurs fantasmes pour la réalité. Quand on ne sait pas, il est parfois bien tentant d'imaginer ou d'inventer. En Belgique, par exemple, un gendarme en retraite accusait l'Opus Dei d'être impliqué dans les tueries du Brabant wallon. Ces élucubrations, bien sûr, ne furent pas prises au sérieux par la Commission parlementaire d'enquête sur le banditisme et le terrorisme. On ne peut nier , précise Luc Nefontaine, qu'il en va de l'Opus comme de toute société: des réseaux d'influence fonctionnent bel et bien. Et l'entraide constitue un procédé social habituel dans tout groupuscule minoritaire. Mais le fait qu'un membre de la prélature soit présent dans le conseil d'administration d'une quelconque société ou qu'il soit fondé de pouvoir d'une banque bien en vue suffit-il pour parler du noyautage, du complot ou de l'influence occulte de l'Opus Dei? Il n'y a pas de ploutocratie "opusdéiste", pas plus qu'il n'y a dans l'OEuvre un système tentaculaire aux multiples ramifications politiques et économiques. En ce sens, la puissance de l'Opus Dei est un mythe.


 



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