15. Le Commodore à bord


 
 

La légende hubbardienne veut que Ron ait été un infatigable explorateur qui parcourut toutes les mers du monde avant de pondre la Dianétique. Il paradait volontiers en uniforme de marin. On l'appelait respectueusement "Commodore".
 
 
 

Quand, en mai 1973, je montai pour la première fois sur ce bateau, Hubbard ne se trouvait pas à bord. Peu de gens savaient où il était. Des années plus tard, j'appris qu'il résidait dans le district de Queens à New York.

Quand Hubbard revint à bord, la discipline devint tout à coup plus stricte. J'étais très enthousiaste à l'idée de rencontrer pour la première fois Ron Hubbard en personne. Mais il gardait ses distances vis-à-vis de la plupart des membres à bord, même avec les plus hauts dirigeants des Orgs extérieures venus à Flag pour s'entraîner. Il parlait rarement aux autres, excepté à ses Messagères et à ses plus proches assistants travaillant directement pour lui. Parfois, cependant, il nous disait bonjour quand nous passions. Nous lui répondions "Bonjour Monsieur", et il accusait réception d'un signe de tête. Je pensais que les choses allaient s'améliorer à bord avec l'arrivée de Ron Hubbard, que l'ambiance serait plus humaine. J'étais bien naïve, jamais je n'ai autant été dupée. En tant qu'internes de Flag, il nous était offert de goûter à l'Honneur suprême d'être si proches de "La Source" - ainsi était souvent désigné LRH.

Plusieurs règlements disciplinaires furent instaurés dans les quelques semaines qui suivirent son arrivée. Il y eut plusieurs mutations de poste dans notre département. Jeff Walker, un auditeur Classe 12 issu de Nouvelle-Zélande fut nommé Superviseur Interne; David Mayo, également auditeur Classe 12 de Nouvelle- Zélande fut nommé Superviseur des Cas Senior; Quentin Hubbard et Russ Meadows furent promus Superviseurs des Cas dans l'équipe de David Mayo; et Cathy Cariotaki nommée "Tech Sec" (Secrétaire Technique), un poste de cadre ayant en charge la Division Technique, celle qui traite de l'audition.

L'EFFRAYANT "RITUEL" DE LA DÉESSE KALI

Cathy Cariotaki présidait à un nouveau rituel mis au point pour sanctionner les auditeurs défaillants: la cérémonie du sacrifice de la divinité Kali, déesse de la mort et de la destruction. Un autel, recouvert d'une peinture hideuse représentant Kali, fut installé dans la salle de classe de l'internat. Si un auditeur obtenait un mauvais rapport d'examen, une cérémonie était organisée dans une pièce sombre éclairée à la lueur des bougies: une chorale, constituée des autres internes et auditeurs, devait chanter un hymne à la déesse Kali sur l'air de "Rock of Ages". Le fautif devait ensuite entrer et s'agenouiller devant l'autel, déclarer être un adorateur de Kali et vouloir le chaos, la mort et la destruction. Ensuite, on présentait à cette personne un couteau et la fiche d'un préclair fictif, puis on lui demandait de "poignarder le préclair", ce qui consistait à enfoncer le couteau dans la fiche. Je dus participer à ce genre d'humiliation à deux reprises. Nous étions tous profondément perturbés par cette cérémonie, mais personne n'osait protester, ni refuser de participer. Un tel refus entraînait automatiquement notre disgrâce, un sort moins enviable que n'importe quelle punition.

A l'époque, j'étais tellement endoctrinée par la propagande scientologue que je croyais sincèrement que vivre en dehors de la Scientologie signifiait subir l'enfer sur terre, et que mon âme serait condamnée à des conditions d'existence misérables pour l'éternité. Par la suite, je participai à toutes les cérémonies de punition, même si, parfois, je m'insurgeais contre elles. C'est ainsi que je gagnai peu à peu la réputation de fautrice de troubles sur le navire: parce que, lorsque j'apercevais quelque chose qui me choquait, je protestais. Apparemment, je m'attirais des ennuis bien plus souvent que n'importe qui d'autre sur le bateau. Une partie de moi-même n'était pas encore soumise; furieuse, elle combattait la manipulation pratiquée sur nous tous. J'avais rejoint Flag, motivée par un idéal pour lequel j'avais travaillé très dur, tout cela pour un rêve qui se concrétisait en un véritable enfer. J'étais anéantie émotionnellement, mentalement et spirituellement. Après avoir quitté la secte, il m'a fallu plusieurs années pour me remettre de cet anéantissement.

Quand je les avais contactés pour la première fois, j'étais une brillante jeune femme aventureuse de 18 ans, avec des idéaux et des objectifs très nobles. J'étais prête à tout donner de moi-même pour atteindre ces objectifs. Si j'avais investi toute mon énergie dans une carrière bénéfique pour moi-même, j'aurais récolté les fruits d'une vie heureuse et enrichissante. Au lieu de cela, toute mon énergie fut aspirée dans le tourbillon d'une secte dirigée par un psychopathe. Je fus annihilée. Pour moi, inconsciemment, succès et accomplissement de mes objectifs signifiaient anéantissement, parce que c'est exactement ce que je ressentais quand j'atteignais un objectif dans la Scientologie.

Deux ans après avoir quitté la Scientologie, il m'était toujours impossible de me lancer dans une quelconque carrière intéressante. Chaque fois que je commençais quelque chose, j'étais incapable de le terminer. C'est seulement depuis que je suis assistée par des personnes connaissant bien le phénomène sectaire que j'arrive à comprendre ce qui m'est arrivé, à tirer un trait sur ce passé, et à commencer une nouvelle vie. Fort heureusement, il restait toujours en moi une partie saine qui se battait vigoureusement pour rester humaine; mais mon sentiment d'appartenance à la Scientologie était en même temps très fort. Il condamnait cette partie saine de ma personnalité à cause de ses "écarts de conduite". Je me demandais en permanence: "Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?"; "Pourquoi tous les autres semblent contents de leur sort à bord du navire, alors que, moi, je suis en colère ? Quelque chose ne va pas chez moi, mais je n'arrive pas à l'identifier".

Des années plus tard, quand je lus des témoignages d'autres membres qui avaient étés pris dans le même guêpier, je réalisai que je n'avais pas été la seule à me sentir malheureuse; je ne faisais que l'exprimer plus ouvertement que les autres. Récemment, je me suis entretenue avec une ex-scientologue, ex-auditrice de haut niveau à Flag. Elle n'eut jamais de conflit avec la hiérarchie, mais elle ne se sentait pas heureuse à Flag. Elle détestait les cérémonies de Kali. Pour les supporter, elle se répétait à elle-même que cela ne durerait pas. Les cérémonies de Kali ne durèrent effectivement pas, mais seulement parce que d'autres formes d'humiliation avaient étées prévues pour les remplacer. Actuellement, je surprends encore beaucoup de gens en expliquant que j'ai quitté la Scientologie sans en avoir été expulsée.

Quelqu'un qui ne me supportait pas sur le bateau expliqua que je devais avoir "neuf vies", et que je m'étais certainement déjà fait virer dans le passé. Mais cela ne se produisit pas ainsi avec la Scientologie. Même après avoir quitté la secte, je fus invitée à retourner chez eux avec la promesse de ne pas subir de sanctions. Je connais une théorie pour expliquer cette sollicitation inattendue.

Plusieurs années après avoir quitté la secte, j'ai suivi des cours de thérapie familiale. J'y ai appris que, dans une famille dysfonctionnelle, il existait parfois un unique membre qui en présentait les symptômes et qui se trouvait sous l'influence de ce dysfonctionnement, tandis que le reste de la famille paraissait vivre une situation normale. Cette personne, généralement un enfant, était considérée comme l'élément perturbateur. Parfois l'enfant tentait de se suicider, se droguait, et rencontrait des difficultés scolaires. Ce qui se passait en fait, selon cette théorie, c'était la manifestation d'un symptôme du dysfonctionnement de toute la famille. En travaillant avec la famille entière, les problèmes de l'enfant pouvaient être en grande partie résolus. Je pense que cette théorie est également applicable au dysfonctionnement de groupes, comme les sectes. Les sectes semblent compter quelques éléments perturbateurs qui expriment ouvertement leur opinion, mais ne se font jamais expulser. Je pense que je jouais ce genre de rôle dans la Scientologie.

J'étais considérée comme une fautrice de trouble et donc, comme un parasite. Mais en fait, je n'étais que la manifestation d'un symptôme de quelque chose d'anormal dans le groupe. Le groupe, dans son ensemble, paraissait avoir besoin d'un individu se comportant différemment des autres, pour exprimer ce que tout le monde ressentait intérieurement. Mon comportement était dérangeant pour le groupe, mais uniquement en apparence. Je ne faisais qu'exprimer des sentiments refoulés par tout le monde. Le groupe avait besoin d'exprimer ses véritables sentiments à travers moi. Mon comportement servait d'exutoire pour l'ensemble du groupe.

J'ai récemment observé ce même phénomène lors d'un show de Sally Raphaël sur Hare Krishnas. Des adeptes étaient présents dans l'assistance, et l'un d'eux s'adressa à une ex-adepte autrefois considérée comme un élément perturbateur, présente également: "vous avez toujours fait ce que vous vouliez parmi nous". La femme répondit qu'elle avait toujours eu l'impression d'être la seule à parler franchement lorsqu'elle était témoin d'atrocités, tels que certains abus commis sur des enfants. Cette femme jouait un rôle similaire au mien dans la Scientologie. J'aimerais pouvoir observer ce genre de phénomène dans d'autres sectes. Exprimer des émotions au nom de tout le groupe ne m'a pas facilité la vie, c'est le moins qu'on puisse dire.

"SI J'ÉCRIVAIS TOUTE LA VÉRITÉ SUR CE QUI SE PASSE ICI, PLUS PERSONNE NE VOUDRAIT VENIR À FLAG !"

A Flag, ma situation continuait de s'aggraver. Une nuit, vers minuit, je venais juste de m'endormir lorsque nous fûmes tous réveillés et convoqués en salle de cours. Là, nous dûmes rédiger des lettres à des personnalités publiques connues pour avoir de l'argent en décrivant à quel point les choses étaient formidables à Flag, et en les invitant à nous rejoindre à bord pour y recevoir des auditions... Après tout ce que j'avais enduré lors des cérémonies de Kali et autres inepties les mois précédents, promouvoir Flag était la dernière chose que j'avais envie de faire ! C'est la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Je me laissai emporter et je explosai: "Si j'écrivais toute la vérité sur ce qui se passe ici, personne ne voudrait plus venir à Flag". Je fus immédiatement placée en condition de "Trahison" par Cathy Cariotaki. Parler de façon aussi blasphématoire du QG de Ron Hubbard était considéré comme un acte de trahison. La liberté d'expression n'était pas un droit dont nous pouvions jouir. Je dus porter un brassard rouge signifiant que j'étais un traître et que je devais m'amender dans la peine. Agir de comme je l'avais fait était impensable pour la plupart des gens à bord, mais je pense qu'ils ressentaient intérieurement la même chose que moi, sans oser l'admettre, même pour eux-mêmes.

On peut se demander pourquoi je restais à Flag, alors que j'étais parfaitement consciente de ce qui s'y passait. Le fait est que j'étais autant endoctrinée que les autres. Je croyais toujours très fermement aux buts de la Scientologie et mon identité de scientologue était très solide; mais ils n'avaient pas réussi à venir à bout de la partie saine de ma personnalité, ce qui générait un conflit intérieur entre mon identité réelle et celle de scientologue.

Ma situation se dégrada sérieusement le jour-même de mon 21ème anniversaire. Ce jour là, je bénéficiais de ma matinée (juste une coïncidence, car y compris le jour de notre anniversaire on ne nous accordait pas même un jour de congé). Nous étions à Tenerife, une des îles Canaries colonie de l'Espagne et située au large de l'Afrique. J'étais descendue à terre pour visiter la ville et effectuer quelques achats. Ce qui me plaisait le plus lors des voyages en navire, c'était de pouvoir visiter des endroits aussi exotiques. Quand je retournai à bord, j'appris que j'avais un problème. Mon PC avait un mauvais rapport d'examen et je n'aurais pas dû quitter le navire avant d'avoir maîtrisé la situation. Je fus donc obligée de me soumettre à une cérémonie de Kali. Je me souviens m'être dit ceci: "Ce n'est pas ainsi que je m'attendais à passer mon 21ème anniversaire, un jour où l'on fête traditionnellement le passage officiel à la vie adulte". Mais je me reprochai à moi-même d'avoir de telles pensées Wog, me rappelant que j'avais choisi de mener une vie extraordinaire, avec des buts extraordinaires... ceux de la Scientologie.

ET MAINTENANT, L'ÉPREUVE DE LA "CAGE À POULES"

Après cette cérémonie, on m'envoya passer quatre heures dans la "cage à poules". La cage à poules était un réduit situé à la hauteur d'un bâtiment de quatre étages, et je devais grimper le long d'une échelle étroite pour y accéder. J'étais humiliée, je me culpabilisais et j'étais furieuse. Alors que je grimpai, il me vint ces pensées: "Tout ce que j'ai à faire est de refuser d'aller dans cette cage, et je peux le faire. Si seulement je le faisais ?" Cette idée de désobéir me terrifiait. Quand je suis arrivée en haut, je tremblais de partout. J'étais censée passer quatre heures à réfléchir sur mes erreurs, et à écrire mes Overts et Withholds. La vue de là-haut était magnifique, mais j'étais trop perturbée pour en profiter. Je redoutais le moment du retour en bas par l'échelle, mais j'y parvins sans difficulté. Quelques jours plus tard, le navire leva l'ancre. Ce fut un voyage très pénible, ballottés dans la tempête pendant trois jours. J'eus le mal de mer et suis restée allongée dans ma couchette pendant tout ce temps, incapable de me lever sauf pour aller aux toilettes. Après plusieurs tentatives vaines de Jeff Walker de me tirer du lit, plus personne ne me dérangea car tous étaient dans le même état que moi, ou de garde. Quand la tempête se termina enfin, ceux d'entre nous qui avaient attrapé le mal de mer furent sévèrement réprimandés. Depuis ma première traversée, j'étais toujours sujette au mal de mer chaque fois que la mer était mauvaise, et on m'affirmait que c'était de ma faute. De la Dramamine était disponible, mais son absorption me rendait somnolente, si bien que j'évitais d'en prendre. En plus, la Dramamine était une drogue, et prendre une drogue quelconque ne serait-ce qu'une seule fois était proscrit par la Scientologie. J'assurais des séances après des Préclairs, mon visage virant au vert et me demandant si je tiendrais le coup jusqu'au bout. Mais j'y arrivais toujours. Je terminais à temps les séances pour me précipiter aux toilettes et éviter le désastre...

Bien que ma situation continuât d'empirer, il existait un rayon de soleil pour moi: l'amitié qui s'était nouée entre Quentin Hubbard et moi. J'avais fait sa connaissance au moment de nos TRs communs, et il était parfois mon partenaire. Nous nous appréciâmes dès le début. Nous partagions le même sens de l'humour, ce qui était peu commun sur le bateau. Nous trouvions toujours moyen de mettre de l'ambiance à bord du navire, où l'humour et la gaieté n'avaient pas vraiment leur place.


chapitre 16/28: Le RPF

Mes neuf vies dans la Scientologie: SOMMAIRE