Sectes

PARLER ET AGIR AU NOM DES VICTIMES

(par Guy Rouquet, président de Psychothérapie Vigilance)

Ce texte de Guy Rouquet, président de Psychothérapie Vigilance, a été publié dans Le Monde (édition du dimanche 23 et lundi 24 novembre 2003

Mis en ligne le 24 novembre 2003
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" De même qu'on ne donne pas un scalpel au premier venu,
on ne peut confier la santé mentale d'un individu à un thérapeute autoproclamé "

Texte intégral : www.lemonde.fr

Paul s'inscrit à un stage de développement personnel. En un week-end il " accouche de son âme " et d'un univers délirant dont seul le suicide le délivrera un an après. Ysa entreprend des études en psychologie.En suivant une psychothérapie, elle pense parfaire sa formation. Elle y apprend à détester son père et à haïr sa mère. Bob appartient à un corps d'élite de la gendarmerie. Une collègue l'incite à voir un " psy ". Un nouvel homme naît, pétri de haine conjugale, qui ne sourcille pas quand son épouse menace de se jeter par la fenêtre avec leur bébé dans les bras : Saute si tu en as envie. Eric a un cancer. Aux conseils de son fils médecin, il préfère ceux de son " thérapeute " : Positive, et tu guériras. Il meurt avec cette conviction.

L'amie de Jean l'incite à suivre une thérapie : Tu verras, c'est super. Le jeune homme devient méconnaissable : il moleste sa mère et s'inscrit à un séminaire d'évolution personnelle pour trouver " son maître intérieur " grâce à des breuvages dits sacrés. Astrologue, sa psychothérapeute se rend souvent en Amazonie avec ses " frères " et " sœurs ". Sous prétexte d'initiation à la vie adulte, elle y accompagne même des mineurs. Influencée par un magazine, Maud souhaite suivre une thérapie. Les Pages jaunes de l'annuaire la renseignent. Elle prend rendez-vous avec un thérapeute qui s'avèrera être un ancien boucher. La voici immergée dans une thérapie de groupe où le passage à l'acte est immédiat : Il n'y a pas d'interdit. Il faut être relax. Orgiaque, la soirée se prolonge jusqu'à l'aube. Guy est en difficulté à l'école ; ses parents s'en inquiètent : Votre fils est un enfant indigo ; je m'en occupe professe un pseudo-psy.

Max est brillant et affectueux. En poussant la porte d'une aumônerie, il rencontre une thérapeute qui usurpe le titre de psychologue. Membre titulaire d'un syndicat se voulant représentatif, l'intéressée se dit formée à l'américaine : Tes parents ne sont que tes géniteurs. Ta vraie famille est ailleurs. Bientôt Max n'est plus que l'ombre de lui-même. Instrumentalisé par le gourou complice, il rompt avec sa famille et renonce à son métier. Jean s'absente 48 heures pour suivre un stage. Il y découvre qu'il a assassiné un homme dans une vie antérieure. Quant à Janine, elle apprend que son arrière-arrière grand-mère, dont elle n'avait jamais entendu parler, a été victime d'un inceste. Son mal-être vient de là ; la guérison sera longue.

Innombrables, les victimes de thérapies déviantes et abusives ont leurs maux à dire dans le débat en cours. Toutes disent : " Au nom de nos souffrances, nous soutenons l'amendement Accoyer. Il faut que les charlatans et les apprentis sorciers qui ont détruit nos vies et nos familles ne puissent plus continuer à sévir dans un milieu où le patient est en droit d'attendre des soins dispensés par un personnel qualifié et déontologiquement irréprochable." Toutes disent aux journalistes et aux parlementaires harcelés dans le cadre d'une campagne de désinformation orchestrée par les marchands qui considèrent la souffrance psychique comme un gisement aurifère inépuisable: " Ne vous trompez pas de débat. Les victimes, c'est nous. Et certainement pas ceux qui font leurs choux gras en s'ingéniant à creuser nos plaies après nous avoir mis en état de torpeur dans le cadre de réseaux subtils. Les victimes, c'est nous mais aussi nos proches, ceux qui nous connaissent par cœur, et qui ont assisté, impuissants, à notre " descente aux enfers ": Lâche prise, disaient nos manipulateurs. Construis-toi. Viens que je te déprogramme ; ton horloge biologique est mal réglée. Je vais t'apprendre le secret du bonheur. Les victimes, c'est nous, et non pas ceux qui se disqualifient en cherchant à brouiller l'opinion en proclamant : " Touche pas à mon psy ". Escroquerie révélatrice d'un groupe de pression qui s'applique à noyer le poisson auprès du profane en donnant à penser qu'un psychothérapeute est l'équivalent d'un psychiatre ou d'un psychologue clinicien.

De même qu'on ne donne pas un scalpel au premier venu, on ne peut confier la santé mentale d'un individu à un thérapeute autoproclamé, fût-il reconnu par une école dite de formation délivrant des diplômes en fonction d'un cursus monnayé à prix d'or. M Untel possède le certificat européen de psychothérapie alors qu'il n'a même pas le bac. La psychothérapie est devenue un gâteau, une belle porte d'accès aussi vers des groupes au fonctionnement sectaire. Sait-on assez que des clientèles de thérapeutes pervers et illuminés se sont constituées en associations? Est-ce ainsi que s'opère le contre-transfert? Les victimes ignorent parfois qu'elles le sont. Elles se croient libres alors qu'elles demeurent sous influence, reliées à leur pseudo-famille par mille fils invisibles.

Attention aux expressions " médecins de l'âme " ou " blessures de l'âme " qui tendent à fleurir. Manipulation du langage il y a. La terminologie n'est pas innocente. Le mot "âme" relève du vocabulaire religieux et métaphysique ; du même coup le glissement sémantique conduisant à l'approche et à l'accroche sectaires peut être très rapide. Par définition, le prêtre (au sens universel du terme) est le spécialiste de l'âme, pas le thérapeute, même s'il sait que l'angoisse existentielle est inhérente à la condition humaine. A partir du moment où il s'occupe de l'âme, la secte n'est pas loin. Un naturopathe n'hésite pas à parler de "fonction sacerdotale du thérapeute" et considère que les hallucinogènes qu'il ingère lui apportent " visions " et " révélations ".

La pensée magique et totalitaire du New Age est une donnée à ne pas négliger dans le débat actuel. Les dés sont pipés, les manipulateurs des experts. Les victimes, elles, s'interrogent: Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Psychothérapie Vigilance souhaite que l'amendement Accoyer soit adopté à l'unanimité, à la façon dont la loi About-Picard l'a été en juin 2001.

 




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