Sectes et médias

(Source : BULLES du 2ème trimestre 1997)

 


  Les médias ont pris dans notre vie quotidienne une place considérable, et il faudrait être bien peu attentif à l'air du temps, voire se montrer franchement indifférent à la vie qui nous entoure, pour échapper totalement à l'information qu'ils véhiculent. Beaucoup de gens n'hésitent pas à leur attribuer un véritable pouvoir sur les esprits, au point de les rendre responsables d'une grande partie des maux qui assaillent nos sociétés. Ainsi dans un billet d'humeur récent, un éminent académicien français n'hésitait pas à écrire dans un de nos grands quotidiens nationaux à propos des sectes : « l'importance qu'on leur accorde aujourd'hui ne viendrait-elle pas de deux causes : Le "millénarisme" angoisse diffuse à l'approche de l'an 2000, qui cherche à sublimer la peur de l'avenir comme elle a existé à la veille de l'an mille ? Et l'ampleur des moyens de diffusion, en premier lieu la télévision, qui font aux sectes une publicité outrancière ? » Reconnaissons que les miroirs que les médias présentent à notre société peuvent être grossissants, et que ce rôle amplificateur entraîne parfois de graves inconvénients au regard d'une bonne approche de la vérité. Mais il serait fort injuste de nier les bénéfices que nous retirons des connaissances auxquelles la presse, la radio et la télévision nous donnent accès. Sans moyens d'information libres, il n'est pas de vraie démocratie. Grâce à ces moyens, l'escroquerie en morale comme en politique devient un art plus difficile, même si d'aucuns le pratiquent encore en virtuoses.

 Il n'est pas certain que la peur de l'avenir, qui taraude indéniablement un grand nombre de nos contemporains, ait tellement de rapport avec la fin du millénaire, mais elle correspond peut-être plutôt à une perte de confiance dans l'Homme et donc à un déficit d'espérance. Reste la question, déjà souvent posée à propos du terrorisme : les médias ont-ils raison ou tort de parler des sectes, courant le risque de leur offrir une publicité gratuite ? Contrairement aux terroristes dont les actions n'ont de valeur que si elles sont connues du grand public, les sectes préfèrent s'avancer masquées et ne conçoivent de publicité qu'étroitement contrôlée par elles-mêmes. Comme les termites, elles n'aiment guère la lumière. Comme ces redoutables insectes, elles s'efforcent de ronger l'intérieur des structures de notre société sans révéler à un regard superficiel l'étendue des dégâts.

 Les premiers journalistes qui se sont aventurés sur le terrain sectaire ont reçu un accueil dont ils gardent un souvenir amer et dont ils ne se sont pas privé de faire part à leurs lecteurs. Ce n'était pas de bonne politique de la part des sectes, et la plupart d'entre elles ont appris à corriger le tir. Si elles redoutent plus que jamais les journalistes d'investigation trop curieux, elles se sont rendu compte des avantages qui pouvaient être retirés d'une exploitation astucieuse de cette curiosité professionnelle. Après tout, même de vieux routiers de l'information peuvent être abusés. À l'occasion de la sortie parisienne d'un film, le portrait dans un grand quotidien de l'acteur principal, qui ne cache pas son appartenance à la Scientologie, comportait cette précision intéressante que « plus il gagnait d'argent, plus il en donnait aux oeuvres caritatives » : précision édifiante, et rare dans le petit monde hollywoodien de l'avis de l'auteur de l'article, mais qui laisse rêveur lorsque l'on connaît la gourmandise de ce genre « d'oeuvres ».

Une presse spécialisée

Comme on n'est jamais si bien servi que par soi-même, la plupart des organisations sectaires ont acquis ou fondé leurs propres journaux ou revues. Le lecteur n'aurait que l'embarras du choix dans cette littérature orientée, entre la Tour de Garde des Témoins de Jéhovah, Éthique et Liberté de la Scientologie, le mensuel Troisième civilisation de la Soka Gakkaï en France et son journal Seiko Shimbum qui tire à 4,5 millions d'exemplaires au Japon, le Washington Time de Moon qui s'est récemment assuré une signature prestigieuse avec une chronique régulière de la première Dame des États-Unis, pour ne citer que quelques-unes des organisations sectaires internationales parmi les plus connues. Elles ne sont pas nombreuses en revanche à s'offrir de la publicité dans les médias qu'elles ne contrôlent pas directement : l'exercice n'est pas sans risque en effet, car elles pourraient tomber sous le coup d'une accusation de publicité mensongère. Il est vrai aussi que la fâcheuse réputation qui les précède amène désormais certains journaux à refuser les campagnes de publicité de sectes avérées, ce qui est courageux en raison du manque à gagner qui en découle, et honnête vis à vis des lecteurs qui font confiance au journal. C'est ainsi que Le Monde aurait refusé ses pages à l'Église de Scientologie.

 En définitive, les relations entre sectes et médias restent difficiles, car s'il est constant que les premières pratiquent le mensonge sans état d'âme, la déontologie professionnelle des médias, si elle ne les protège pas toujours de l'erreur, nous garantit l'honnêteté de l'information qu'ils délivrent. Certains intellectuels, juristes, universitaires, expriment parfois leur inquiétude sur l'éventualité de ce qu'ils appellent « un lynchage médiatique » des sectes, rebaptisés à l'occasion « nouveaux mouvements religieux ». Ils devraient pourtant être rassurés, car une fréquentation attentive des médias de toute nature montre que c'est essentiellement sur les comportements délictueux des organisations sectaires, dont beaucoup n'ont pas grand chose de religieux, que porte l'information, beaucoup moins que sur les bizarreries de leurs coutumes, et moins encore sur leur statut minoritaire. Les « gourous » seraient persécutés par les « médias », dernier avatar d'une inquisition implacable et irresponsable ! Mais ne partagent-ils pas alors ce triste sort avec bien d'autres délinquants, escrocs, violeurs, corrompus et corrupteurs ?

 De toutes ces sortes de personnages peu recommandables, il y avait déjà par le passé, et il est tout à fait certain que d'en faire aujourd'hui mieux connaître les méfaits ne suffira pas à les faire disparaître à jamais. Est-ce une raison pour dissimuler leur existence sous un voile pudique, à l'abri duquel ils pourraient prospérer tranquillement ?
 

Soyons fiers de vivre dans un pays où le droit de savoir et de choisir est le même pour tous, petits ou grands, faibles ou forts.

Michel MOHRT de l'Académie Française, in Le Figaro du 30.04.97
 



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