Manipulation mentale
dans les groupes dits sectaires

(Source BULLES n° 67 - 3ème trimestre 2000 - par Delphine Guérard . psychologue clinicienne)

Sommaire

Introduction
Qu'entendons-nous par manipulation mentale ?
Le processus d'embrigadement
Les techniques de mise sous influence
Conclusion


Introduction

La notion de manipulation mentale fait l'objet d'un large débat entre spécialistes. En effet, pour les uns, elle n'existerait pas, alors que pour d'autres il s'agirait d'une réalité. Pour certains avocats et sociologues des " nouveaux mouvements
religieux "
, la manipulation mentale n'est qu'un mythe et ne serait qu'une vue de l'esprit ultra combatif d'associations qualifiées " d'anti-sectes ".

D'autres, psychologues, pensent que la manipulation mentale n'explique pas l'entrée dans une secte car celle-ci se ferait par
" soumission volontaire ". Ils précisent qu'il s'agirait d'une mise en aliénation volontaire puisque l'être humain ne peut être manipulé sans son accord.

Très complexe, la relation d'emprise ne peut se réduire à la simple idée de manipulation mentale : entre la secte et l'adepte se tisse toute une gamme de relations à l'autre où, séduit, l'adepte accepte d'être convaincu. Pour d'autres, la manipulation mentale est à la base de l'endoctrinement sectaire.

Selon le psychiatre Jean-Marie Abgrall, nous sommes tous manipulables, même si le degré de résistance à la manipulation varie selon les individus et selon les moments de la vie, et nous sommes tous manipulés que cela soit à l'école, en famille, au travail... Seulement, dans certains cas, cette manipulation se fait coercitive : l'individu perd son libre arbitre et se transforme en marionnette entre les mains du manipulateur. Selon le psychiatre, la manipulation ne se manifeste que par ses effets. Elle s'articule en trois temps selon une démarche d'approche, de séduction et de persuasion.

De son côté, Steven Hassan n'hésite pas à déclarer que les sectes pratiquent le contrôle de la pensée grâce à certains procédés qui, détournés de leurs finalités, permettent d'influencer la pensée et le comportement. Reprenant la théorie de Léon Festinger, Steven Hassan décrit plusieurs composantes de la manipulation mentale tels que le contrôle du comportement, de la faculté de réflexion, des émotions et de l'information tout en précisant que son principe est d'encourager la dépendance et la conformité.

Enfin, pour les scientifiques, des recherches sont encore à effectuer afin de valider ou d'invalider l'hypothèse de manipulation mentale. En effet, à la demande de la Cour Suprême des U.S.A, l'American Psychological Association a déclaré, dans un mémorandum daté du 11 mai 1987, que les informations étaient insuffisantes pour prendre position sur la question de la fiabilité scientifique des théories de la manipulation mentale appliquées aux " Nouveaux Mouvements Religieux ".

Qu'entendons-nous par manipulation mentale ?

Trop souvent, nous avons tendance à penser qu'un adepte aurait subi un " lavage de cerveau " pour adhérer à une secte. Selon nous, cette " théorie " explicative des adhésions aux groupes sectaires ne représente pas ce que vit réellement un adepte. La notion de lavage de cerveau déresponsabilise totalement l'adepte qui, " lessivé-rincé-éssoré " grâce aux toutes dernières techniques de lavage, ne serait qu'un vrai robot, une sorte de machine dénuée de toute émotion, de toute pensée. Seulement, la clinique nous permet de constater qu'il n'en est rien : un adepte garde une large partie de sa personnalité et reste un humain !

Bien plus pertinente, la notion de manipulation mentale implique l'adjectif " insidieux " qui, par définition, a le caractère d'un piège dont l'apparence masque, au début, la gravité réelle. Grâce à cette notion, l'adepte retrouve son statut de sujet et, en même temps, un statut de victime parce qu'en définitive, il a été trompé. Selon nous, la manipulation mentale serait une réalité même si elle n'explique pas tout. Elle peut être un outil redoutable de contrôle si l'on a recours à des techniques très subtiles qui visent à aliéner la liberté d'autrui.

En effet, des pratiques de mise sous influence peuvent entraîner des altérations des processus de pensée, une déstabilisation au niveau des besoins physiologiques et une déstabilisation psychologique qui renforcent le processus de dépendance. Utilisée avec détermination et préméditation dans l'intention de mettre sous dépendance, la manipulation mentale permettrait une emprise psychologique sur des individus considérés comme des objets dont on pourrait disposer à sa guise. Celui qui a recours à la manipulation se garantirait pouvoir, domination psychique et physique, profits et exploitation financière.

Le processus d'embrigadement

Pour obtenir, sans contraintes visibles, une adhésion et une participation active des sujets, il est nécessaire pour la secte d'utiliser des masques séduisants en s'appuyant sur les aspirations des personnes susceptibles d'être intéressées. Ainsi, seront proposés des programmes de développement personnel, des activités humanistes, écologiques, commerciales, culturelles et éducatives, religieuses et ésotériques, diverses psychothérapies ...

Pour mettre en place une emprise psychologique, le groupe propose une initiation progressive obligeant l'adepte à abandonner ses repères habituels, toutes ses références antérieures, son passé, excluant toute réflexion critique et incitant à la soumission totale, condition de sa progression. Ainsi, l'adepte désireux d'évoluer va contribuer à sa propre transformation. La transformation de la personnalité, selon Michel Monroy, se ferait en plusieurs phases. Une première phase de déstabilisation se ferait grâce aux effets de groupe, à la mobilisation des émotions, au néolangage, à l'isolement, aux aveux de difficultés personnelles, à la culpabilisation, aux techniques de modification de la vigilance et à l'obéissance aux consignes. Une seconde phase aurait pour finalité de reconstruire une identité en proposant une rupture définitive avec les doutes, les sentiments d'impuissance et la possibilité de changer le monde en se changeant soi-même. Enfin, il s'agirait lors de la troisième phase de renforcer la dépendance physique et psychologique : le groupe apparaît comme un univers de remplacement où l'on trouve relations, activités, idéal, projets, affectivité, explications, solutions et autorité.

Ainsi, comme le souligne Monroy, l'adhésion au groupe aurait des effets positifs tels que la fin de la solitude, l'adhésion à des valeurs partagées, le soulagement d'un malaise psychologique, la mobilisation de l'énergie.

Les techniques de mise sous influence

Pour qu'un sujet soit en conformité et en fusion avec le collectif, imprégné totalement par ce que dit le gourou et pour que son monde ne puisse plus être autre que celui que constitue la secte, des procédés divers vont être exploités afin d'anesthésier l'esprit critique et renforcer la dépendance.

Aussi, la manipulation mentale n'opère que si, et seulement si, elle est totalement dissimulée : la victime sera persuadée que toutes ses pensées et décisions viennent librement d'elle. L'expérience de groupe est un phénomène d'une grande puissance : tout un ensemble de mécanismes psychiques vont être impliqués et mis en oeuvre. En effet, fabrique d'illusion et d'euphorie, la situation de groupe est porteuse d'excitations et entraîne des états régressifs. Chez les membres, les défenses s'affaiblissent et les désirs se renforcent. Ainsi, selon Jacqueline Falguière, psychanalyste, le groupe peut apparaître comme " une source d'aliénation redoutable " grâce à son pouvoir de séduction et de suggestion.

Pour Didier Anzieu, psychanalyste, la situation de groupe peut entraîner une menace de perte d'identité personnelle et, selon Sigmund Freud, une régression de l'activité psychique. D'autre part, pour obtenir des modifications de la vigilance, de la conscience et un arrêt de la pensée, seront proposées toutes sortes de rituels, des chants répétitifs, des prières mécaniques, des purifications et techniques de méditation.

Par ces procédés, il s'agit de faire entrer les membres dans un état d'extrême suggestibilité où les facultés critiques sont diminuées. Grâce à ces expériences agréables et délassantes, les adeptes seront plus à même de suivre le groupe et auront envie d'y rentrer à nouveau, le plus souvent possible, car elles produisent une euphorie artificielle qui, selon Max Bouderlique, peuvent devenir très vite un moyen de fuite du réel analogue à une drogue produisant les mêmes effets d'accoutumance.

De même, les sectes n'hésitent pas à faire de larges emprunts aux techniques des psychothérapies détournées de leur finalité. Les psychothérapies visent l'autonomie tandis que la technique d'embrigadement vise la dépendance. Aussi, toute psychotechnique peut être utilisée à des fins d'aliénation comme, par exemple, la P.N.L, l'analyse transactionnelle, le rebirth, l'hypnose, la sophrologie...

Enfin, il s'agirait d'assujettir les adeptes à un rythme de vie carencé en sommeil, en alimentation, sans moment possible de solitude, de le couper de tous ses repères qu'ils soient culturels, familiaux, sociaux, langagiers afin de le déstabiliser et l'isoler du monde extérieur.

Conclusion

Les groupes sectaires s'appuient sur des mécanismes connus afin de capter et asservir leurs victimes plus ou moins consentantes. Ils utilisent, au détriment de tout un chacun, les opportunités de déstabilisation physique et psychologique. En accroissant ou exploitant les fragilités du psychisme, ils méprisent l'intégrité psychique et la liberté. Ainsi, notre devoir est de dénoncer les pratiques de manipulation mentale puisqu'elles portent atteinte à l'intégrité de la personne, à sa liberté et à son droit de disposer d'elle-même. .



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