AU NOM DE LA LIBERTE RELIGIEUSE
Les sectes, cheval de Troie des Etats-Unis en Europe

(Source Le Monde diplomatique mai 2001 par Bruneau Fouchereau, réalisateur du sujet « Sectes et espionnage », diffusé sur France 3, le 6 mai à 22 h 30)

 

Le 17 avril, devant le tribunal correctionnel de Grenoble, s'est ouvert le procès du chef d'orchestre franco-suisse Michel Tabachnik, seul inculpé de la secte du Temple solaire, dont soixante et onze membres sont morts lors de quatre « suicides collectifs », de 1994 à 1997. Le jugement de cette affaire attire à nouveau l'attention sur la nébuleuse des groupes de nature différente qui se présentent comme des religions minoritaires mais dont les activités, au caractère commercial souvent évident, sont régulièrement condamnées par les tribunaux. Au nom de la défense de la liberté religieuse, Washington vise à obtenir leur impunité. Cette connivence avec des réseaux qui virent le jour dans un creuset où convergeaient « nouvelle droite » et « néoconservatisme », le tout au nom de l'anticommunisme, entend imposer dans les esprits l'ultralibéralisme et l'inégalitarisme, socles prétendus de la société.

Par BRUNO FOUCHEREAU

 

Depuis une dizaine d'années, en Europe, la question des sectes est passée du stade de « phénomène social inquiétant » à celui de « problème de sécurité publique de premier plan ». Les massacres provoqués par l'Ordre du Temple solaire en 1994 et 1995, l'attaque au gaz Sarin par la secte Aum dans le métro de Tokyo en mars 1995, le suicide collectif de Heaven's Gate à Los Angeles en 1999 furent autant d'événements qui ont accéléré cette prise de conscience. La France, la Belgique, l'Espagne et l'Allemagne ont ainsi renforcé leur arsenal répressif. Un choix des législateurs qui, généralement, fit suite à des rapports parlementaires sur la dangerosité de certains groupements et les méthodes coercitives d'aliénation qui y sont infligées aux adeptes. La France et l'Allemagne sont à la pointe de cette tendance répressive.

Un peu partout en Europe sont apparus des organismes chargés d'observer le phénomène. En France, une série de lois votées en 1996 augmentèrent, entre autres choses, la protection des personnes en état de faiblesse. Le gouvernement de M. Lionel Jospin mit en place une Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) présidée par M. Alain Vivien. En Allemagne, la principale cible fut l'Eglise de scientologie. Dès 1997, après une enquête des services de police, le gouvernement fédéral mettait en garde la population sur les dangers de cette secte et le Land de Bavière décidait d'exclure ses adeptes de la fonction publique.

Face à ce durcissement européen, tous les observateurs du phénomène s'attendaient à une contre-offensive des multinationales sectaires dont certaines, rien qu'en France, disposent d'actifs dépassant plusieurs centaines de millions de francs. La riposte vint des Etats-Unis (1). Le 27 janvier 1997, les mesures frappant la Scientologie en Allemagne furent officiellement dénoncées par Washington. Quelques jours plus tard, le Bureau pour la démocratie, les droits de la personne et le travail (Bureau for Democracy, Human Rights and Labor, BDHRL) (2), une administration du département d'Etat, rendit public son rapport sur l'état des droits de la personne dans le monde. Violemment attaquée, l'Allemagne y rejoignait la Chine sur la liste des Etats contrevenant aux libertés religieuses !

Ce rapport venait à point nommé pour soutenir la campagne lancée contre l'Allemagne par la Scientologie, à coups de manifestations, d'espaces publicitaires dans la presse internationale et d'un recours auprès de la Commission européenne des droits de l'homme. Pour « calmer le jeu », en mars 1997, le département d'Etat fit savoir dans un communiqué : « Nous avons critiqué les Allemands mais nous ne nous associons pas à la campagne lancée par la Scientologie contre l'Allemagne... » C'était le minimum que pouvaient espérer les autorités fédérales.

En 1998, alors que le Congrès américain vote une nouvelle loi sur la liberté religieuse dans le monde (sur l'utilisation de cette loi en Egypte, voir pages 18 et 19), un département est constitué au sein du BDHRL : le Bureau pour la liberté religieuse internationale (Office of International Religious Freedom). La loi qui le fait naître met à sa tête un ambassadeur plénipotentiaire auquel sont adjoints cinq fonctionnaires (officers) du secrétariat d'Etat. La commission dispose d'un agent dans toutes les ambassades américaines.

Premier ambassadeur de cette commission, M. Robert A. Seiple, un ex-marine, qui aime à répéter : « Les droits de la personne sont universels car offrande de Dieu (3) ! » Il a expliqué au Naples Daily News (4) à quel point sa foi l'a soutenu dans les épreuves de sa vie, et notamment pour les 300 missions de combat qu'il effectua en tant qu'officier des marines durant la guerre du Vietnam.

Cependant, M. Seiple n'a pas été choisi que pour ses qualités de moine-soldat. Pendant plus de onze ans, il a été à la tête de la très conservatrice World Vision Inc, la plus importante organisation évangélique du monde. Celle-ci subventionne des milliers de projets dans les deux hémisphères et des millions d'individus lui sont affiliés, tant en Amérique latine qu'en Asie (5). Dans le premier rapport publié par sa commission, en septembre 1998 (6), la France, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique sont accusées de bafouer les libertés religieuses. Le rapport de la commission d'enquête parlementaire française de 1995 est assimilé à de la persécution aveugle, les députés accusés de faire de la ségrégation religieuse en ayant dressé une liste d'associations innocentes, pourchassées non pas pour des activités illégales, mais pour leur foi.

Le 22 mars 1999, à Vienne, à l'invitation de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un séminaire de l'Office pour les institutions démocratiques et les droits de l'homme (Odhir) (7) prend violemment à partie la politique française. Reprenant et amplifiant les accusations du département d'Etat, des diplomates et des sénateurs américains se transforment en procureurs. On frôle l'incident diplomatique. Le même scénario se répète à Washington, devant la Commission on Security and Cooperation in Europe - structure qui regroupe les représentants américains de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Venus déposer, trois témoins font de terribles révélations : la France renoue avec Vichy, le premier ministre est intoxiqué par des mouvements antireligieux, des croyants sont livrés à la vindicte populaire, d'autres perdent leur travail, des enfants sont retirés à leurs parents...

Edité en juin 1999, le rapport officiel des sénateurs américains donne la mesure de leurs inquiétudes pour les libertés fondamentales en Europe (8). Ils accusent ainsi le gouvernement français d'instrumentaliser son administration fiscale pour en faire le bras armé d'une nouvelle inquisition.

Tant la MILS que le Quai d'Orsay expliquent que l'étude des structures et des flux financiers de la Scientologie démontre qu'il s'agit d'une authentique organisation à but lucratif, générant des profits colossaux (des faits qui justifient pleinement des amendes fiscales) ; que le rapport de l'Assemblée a été élaboré en collaboration avec des juristes, des policiers spécialisés, des associations reconnues d'utilité publique, des universitaires... Ce rapport présente 180 associations qui se veulent religieuses, mais dont l'étude approfondie a démontré le caractère totalitaire et les méthodes coercitives exercées sur leurs adeptes. En grande majorité, ces associations ont fait l'objet de condamnations par les tribunaux.

Les instances françaises cherchent également à corriger certaines contrevérités. Par exemple : la France est accusée de refuser le statut de religion à certains groupes minoritaires alors que, en vertu de la loi de 1905 qui établit la séparation des Eglises et de l'Etat, elle ne reconnaît aucune religion.

Le dialogue ne porte aucun fruit. Le 9 septembre 1999, le bureau pour la liberté religieuse internationale publie son nouveau rapport. Une attaque encore plus sévère contre les pays européens. Le 8 décembre, le ministre des affaires étrangères, M. Hubert Védrine, écrit à son homologue Madeleine Albright : « Cette mise en cause sans fondement de l'action publique française par votre administration, alors même que le dialogue entre nos hauts fonctionnaires se poursuivait, a jeté une ombre sur la richesse même de ce dialogue... »

Les échanges diplomatiques sur cette question sont alors officiellement rompus. Ils n'ont toujours pas repris. Le dernier rapport du département d'Etat américain, publié le 2 mars 2001, s'il intègre les éléments positifs des lois de 1901 et de 1905 et rectifie, sans l'avouer, un certain nombre d'erreurs, reste extrêmement accusateur.

Surveiller les surveillants

L'histoire et la Constitution améri caines ne suffisent pas à expliquer l'entêtement des Etats-Unis à soutenir ces groupes. Le bureau pour la liberté religieuse internationale est, comme nous l'avons vu, une structure du BDHRL, lui-même rattaché au département d'Etat. La commission pour la liberté religieuse (Commission for Religious Freedom), elle, a été créée, à Washington, par les parlementaires américains. Enfin, il existe une troisième structure directement rattachée à la Maison Blanche : la commission des Etats-Unis pour la liberté religieuse internationale (United States Commission for Religious Freedom). Le directeur de cette dernière, M. Steven T. Mc Farland, affirme que l'une des principales raisons d'être de sa commission est, par rapport aux deux autres, d'agir comme un « chien de garde » (watch dog) : « Nous contrôlons le travail des autres commissions afin qu'elles restent dans la bonne voie... » En un autre lieu, face à une commission chargée de surveiller les commissions qui surveillent les libertés religieuses, certains auraient parlé de survivance de l'appareil soviétique !

Lorsqu'on demande à M. Steve T. McFarland s'il a lu le rapport de l'Assemblée nationale française, il répond que non ! Puis il précise, comme pour s'excuser, qu'il ne lit ni ne parle le français. Il en va de même des rapports de la MILS, des communiqués du Quai d'Orsay et des notes d'information de l'ambassade de France à Washington. Les différents fonctionnaires des commissions qu'il a été possible de contacter ont déclaré ne pas en avoir pris connaissance directement, ni même dans des traductions... M. Mc Farland s'en expli que en assurant que les informations transmises par les agences de renseignement américaines, l'ambassade à Paris, les universitaires et les ONG qui se plaignent de l'intolérance du gouvernement français lui paraissaient suffisamment fiables. Enfin, lorsqu'on lui soumet des copies de télex de l'ambassade américaine de Madrid (9) démontrant que le BDHRL est intervenu pour ralentir une instruction d'un juge espagnol contre la Scientologie, le fonctionnaire préfère ne faire aucun commentaire.

Les membres des services de renseignement qui informent les commissions américaines sont, par essence, impossibles à identifier. En revanche, l'ambassade américaine de Paris recommande sur son site Internet un avocat, M. Kay Gaetjens, membre notoire de la Scientologie. Par ailleurs, lors d'un colloque à l'Assemblée nationale sur le problème de la manipulation mentale, en février dernier, l'ambassade américaine, bien que non invitée, a dépêché deux de ses membres, accompagnés d'un cadre français de la Scientologie.

Pour ce qui est des témoignages récoltés par ces commissions, là encore bien des interrogations subsistent. La personne chargée par l'OSCE d'animer les débats à Vienne, en mars 1999, n'est autre que M. Massimo Introvigne, sociologue italien, créateur du Centre d'étude et de documentation sur les nouvelles religions (Cesnur), d'obédience intégriste catholique, et très lié à la secte néofasciste Travail famille propriété. Collaborateur assidu des publications de la Scientologie, il fut au nombre des personnes favorables à la secte qui déposèrent devant le tribunal de Lyon dans l'affaire instruite par le juge Georges Fenech.

Egalement invité à Vienne, puis à Washington, l'avocat français Alain Garay, défenseur des Témoins de Jéhovah est, en outre, en charge de leur dossier fiscal. C'est aussi un habitué des publications de la Scientologie. Autre acteur-clé, M. Willy Fautré, président d'une association belge, Droit de l'homme sans frontière, dont le nom ne doit pas faire croire qu'elle est reconnue par la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH). M. Fautré fut longtemps un correspondant de News Network International, un important groupe de presse et de lobbying évangéliste américain, antiavortement et férocement anticommuniste. Il est aussi membre de la Fédération Helsinki pour les droits de l'homme (FHDH), dont les rapports ont été abondamment cités par les commissions américaines. Il se trouve que le correspondant grec de la FHDH a participé à des publications de la Scientologie au côté d'autres sectes, de même que la délégation de Moscou a publié un ouvrage en collaboration avec la Scientologie.

Enfin, au rang des grands témoins des violations de la liberté religieuse orchestrée par le gouvernement français figure le pasteur Louis Démeo, de l'Institut théologique de Nîmes. Cet institut fait partie de l'obédience évangélique de la Greater Grace, installée à Baltimore (Maryland), aux Etats-Unis. La Greater Grace dispose de plus de 3 000 missions en Amérique latine, de plusieurs centaines en Afrique ainsi qu'en Europe de l'Est. Avec, comme école de cadres pour l'Europe de l'Est, l'Institut théologique de Nîmes. La Greater Grace, dont les méthodes ont été fortement contestées même aux Etats-Unis, peut être définie comme un « compagnon de route » de la Scientologie.

Présidente du Lisa McPherson Trust (10), la principale association américaine d'aide aux victimes de la Scientologie, Mme Stacy Brooks fut elle-même scientologue pendant quinze ans. Elle fut aussi la secrétaire de David Miscavige, l'héritier de Ron Hubbard et actuel gourou de la Scientologie. Elle se souvient parfaitement du Révérend George Robertson qui dirige la Greater Grace : « Il est en relation étroite avec les dirigeants de la Scientologie. Lorsque la secte ne peut intervenir sur certains points, pour des raisons d'image, elle demande à Robertson de le faire. Il est leur principal relais dans le mouvement évangéliste... » Sous sa férule et à coups de procès, la Greater Grace et la Scientologie ont réussi à mettre en faillite la principale organisation d'aide aux victimes des sectes fondée dans les années 1970 : la Cult Awareness Network... Pour enfin la racheter devant l'équivalent américain d'un tribunal de commerce (11) !

Un autre fait explique l'influence de la Scientologie et de ses adeptes aux Etats-Unis. Depuis 1993, la très puissante administration américaine des impôts sur le revenu (IRS) a accordé à la secte le statut de religion à part entière, l'exonérant ainsi d'impôt. Durant les vingt-cinq années précédentes, l'IRS lui avait refusé systématiquement les exonérations fiscales dont bénéficient les institutions religieuses. Des refus confirmés par tous les tribunaux américains, et notamment par la Cour suprême. Ce revirement de l'IRS a permis à l'Eglise de scientologie d'économiser des millions de dollars et lui a procuré un extraordinaire outil de relation publique en lui ouvrant les portes de l'administration américaine.

Activités planifiées et concertées

L'histoire complète de ce retour nement a été dévoilée quatre ans plus tard par le New York Times. La Scientologie aurait mené une véritable guerre contre l'administration fiscale. Bien sûr, à coups de procès : elle a lancé plus de 50 procédures judiciaires. Mais également en embauchant des détectives privés pour enquêter sur la vie privée des hauts fonctionnaires de l'IRS. L'un d'entre eux expliquait au New York Times, en mars 1997, qu'il avait travaillé pour la Scientologie pendant dix-huit mois entre 1990 et 1992. Depuis son bureau du Maryland, il aurait collecté des informations sur des responsables qui manquaient des réunions, buvaient trop ou avaient des liaisons extraconjugales... L'octroi de l'agrément à la Scientologie bénéficia d'une procédure hors norme, court-circuitant les cercles de décision habituels, à la demande expresse du directeur de l'IRS...

Aux 300 millions de dollars de bénéfices engrangés par la Scientologie chaque année, à ses techniques d'infiltration et d'intimidation, à sa reconnaissance par l'IRS, se sont ajoutées d'autres synergies lui permettant d'asseoir son influence au plus haut sommet de l'Etat américain. Chercheur du département de sociologie de l'Université d'Alberta, au Canada, M. Steven A. Kent a étudié minutieusement la stratégie de lobbying de divers groupes religieux et sectaires à Washington (12). Il a expliqué comment les scientologues, et avant eux les moonistes, ont développé de très importantes opérations de relations publiques en direction des membres du Congrès, du Sénat et de la Maison Blanche. Dans ce but, la Scientologie a versé 725 000 dollars en 1997 et 420 000 dollars en 1998 à une société de relation publique spécialisée dans le lobbying politique.

Des acteurs de cinéma, membres de la Scientologie, ont versé plus de 70 000 dollars pour la campagne sénatoriale de Mme Hillary Clinton, M. Tom Cruise donnant personnellement 5 000 dollars à celle de M. Albert Gore et M. John Travolta organisant, avec d'autres scientologues, un repas de gala au bénéfice du Parti démocrate (prix du ticket d'entrée : 25 000 dollars). Un avocat de la Scientologie a, pour sa part, versé 20 000 dollars pour la campagne de ce même parti. Enfin, dernier exemple car la liste est longue, l'un des principaux dirigeants de la Scientologie, Greg Jensen, a sponsorisé la campagne du sénateur Benjamin A. Gillman à hauteur de 7 400 dollars (13). Ce sénateur est devenu, après son élection, le président de la Commission of Religious Freedom de l'OSCE...

De son côté, la secte Moon, propriétaire d'un des principaux titres de la presse quotidienne, le Washington Time, a ouvert les colonnes de sa publication, pourtant très conservatrice, à Mme Hillary Clinton, qui, chaque semaine, y publie un billet d'humeur. On ne compte plus les sénateurs et les membres du Congrès « subventionnés » par Moon. Rappelons simplement que deux pré sidents des Etats-Unis ont honoré régulièrement les conférences organisées par le Révérend Sun Myung Moon : MM. George Bush (père) et Gerald Ford. De toute évidence, la Scientologie et Moon ont rapidement passé des accords. Depuis le milieu des années 1990, ils mènent conjointement leurs actions pour la liberté religieuse tant en Europe qu'aux Etats-Unis.

Rendues publiques sur Internet, une série de lettres échangées entre les dirigeants de la Scientologie et ceux de Moon ont mis en évidence leurs activités planifiées et concertées vers les pays de l'Est. L'activisme des moonistes et des scientologues, auquel se sont agrégées de manière plus ou moins formelle d'autres sectes, à l'image du partenariat entre la Scientologie et la Greater Grace, reçoivent maintenant l'appui des groupes fondamentalistes religieux américains. Ainsi l'Institute on Religion and Public Policy (14), chaudement recommandé par le département d'Etat américain, réunit quelques sénateurs ultraconservateurs, des moonistes, le gourou de la secte Sri Chinmoy... Cet institut, qui se revendique comme catholique « intégraliste », est installé à quelques rues de la Maison Blanche et milite ouvertement pour le respect des droits de la Scientologie, de Moon et des autres religions dites minoritaires en Europe.

Enfin, l'Institute for Religion and Democracy (IRD), zélateur des gouvernements Reagan et Bush (père et fils), ultraconservateur, homophobe et anti-avortement, qui existe depuis plus de vingt ans et qui a fait naître des dizaines de milliers de missions fondamentalistes protestantes à travers le monde, s'est rangé du côté des détracteurs de la France. Mme Diane L. Knippers, sa présidente, n'en démord pas : « La France est un modèle pour les autres démocraties européennes. Elle doit absolument abandonner sa politique antireligieuse et garantir à nouveau la liberté de confession... »

Mais son explication dérape vite et elle donne, sans s'en rendre compte, la nature de ce qui lie ces groupes plutôt hétérogènes : « Ce qui, aujourd'hui, nous fait agir en faveur de la liberté religieuse est de même nature que ce qui nous a fait combattre le communisme. Une société humaine ne peut s'épanouir dans le mensonge. L'athéisme et le communisme ne peuvent faire naître que le mensonge. La spiritualité est une garantie de civilisation, car la spiritualité et la foi fabriquent des individus honnêtes. Sans honnêteté pas de commerce, et sans commerce pas de civilisation... »

Cette lutte pour la « spiritualisation du monde (15) » rejoint concrètement et activement les lobbies qui veulent imposer les valeurs américaines à travers la mondialisation. L'IRD l'a exprimé à plusieurs reprises : la mondialisation et la globalisation des marchés sont des missions inspirées par la Bible aux Etats-Unis. Un concept mystico-impérial auquel adhèrent l'ensemble des groupes fondamentalistes et évangéliques américains, et qui est fortement présent à l'esprit de ceux qui se veulent les défenseurs des libertés religieuses. Ainsi, M. John R. Bolton, membre de la Commission des Etats-Unis pour la liberté religieuse, a été le vice-président de l'American Enterprise Institute for Policy Research, un groupement militant de l'ultralibéralisme. Dans le gouvernement de M. George Bush (père), M. Bolton était l'un des principaux conseillers de la présidence pour les questions de commerce international. Mme Nina Shea, de la même commission, affirme : « Notre but principal est d'établir sur le monde le nouvel ordre libéral... »

Définie dès le début des années 1980 par l'administration Reagan, cette mécanique de domination, que l'on pourrait presque qualifier d'interactive, a atteint son paroxysme avec, pour enjeu principal, l'universalisation des normes juridiques. Cette ultime bataille devrait parachever la globalisation du marché mondial. Mais, dans ce contexte, de nombreuses résistances se font jour. Entre autres - et à l'initiative de la France - pour ce qui est de l'énorme marché de l'éducation. Dans leur stratégie, sectes et consortiums de la communication ont un ennemi commun : il s'agit d'une idéologie fortement répandue en Europe, celle de la laïcité, dont la France est historiquement le creuset. C'est cette laïcité de l'Etat français qui est directement attaquée à travers sa politique de répression des mouvements sectaires.

Pour les sectes, l'intérêt de ce combat paraît évident : s'implanter dans l'éducation au niveau européen et disposer, comme aux Etats-Unis, d'écoles sans aucun contrôle de l'Etat, c'est l'assurance d'un recrutement plus large et plus solide, car intégré à la construction culturelle et psychologique des individus. Si l'on ne peut parler d'un front commun, développé dans une stratégie commune et décidée par un état-major unifié, l'interpénétration des grands groupes sectaires et des consortiums de la communication, qu'ils soient vecteurs - comme l'industrie informatique - ou producteurs d'objets communicants - comme l'industrie du cinéma -, est avérée. Nul n'est besoin de rappeler ici les liens qui unissent ABC, CNN et consorts aux lobbies fondamentalistes américains, et pas plus leur totale adhésion à l'idéologie dominante.

Notons, seulement au titre de l'anecdote, que David Ichbia, le premier biographe de M. Bill Gates, était scientologue ; que l'un des plus proches collaborateurs de M. Gates, M. Greg Jensen, l'est également ; et que l'une des principales sociétés de l'empire Microsoft - Executive Software - se revendique officiellement comme scientologue. Eh oui ! C'est Big Brother qui frappe à la fenêtre de votre écran...

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1) Ce qui n'a rien d'étonnant, car 90 % des sectes sont d'origine nord-américaine ou ont installé leur siège outre-Atlantique.
(2) Créée en 1990 et liée à l'ensemble des agences de renseignement américaines, la mission officielle de cette administration est d'évaluer l'état des libertés et le niveau de démocratie de l'ensemble des nations du monde. Elle fournit des rapports au gouvernement et alimente également le Congrès et le Sénat américains.
(3) Entretien avec l'auteur.
(4) Naples, Floride, 28 janvier 1999, cité par Stephen A. Kent dans " Consultation on Religious Persecutions as a US Policy Issue ", Trinity College, Hartford (Connecticut).
(5) Voir à ce sujet The Interhemispheric Ressource Center et le magazine World Vision de décembre 1991, page 14. On peut aussi consulter : http://www.pir.org/gw/
(6) Les différents rapports de la Commission of International Religious Freedom peuvent être consultés à l'adresse suivante : http://www.state.gov/
(7) Office de l'OSCE initialement créé en application de la charte de Paris pour une nouvelle Europe (1990) aux fins de contrôle de la régularité des élections en Europe. En 1994, le sommet de Budapest a élargi ses compétences au respect de la dimension humaine dans les institutions démocratiques et à la prévention des conflits. Sous l'influence des sénateurs américains Dennis De Concini et Alphonse d'Amato, l'Odhir s'intéresse tout particulièrement aux questions de liberté religieuse.
(8) http://www.csce.gov/
(9) Pour consulter ces documents : http://parishioner.org/spain.html
(10) Pour s'informer sur cette association : www.lisatrust.net/
(11) Lire à ce sujet le Los Angeles Times du 9 septembre 1999.
(12) On peut consulter son travail sur Internet : http://www.trincoll.edu/depts/cspl/
(13) Cité par Stephen A. Kent dans le Marbourg Journal of Religion, Université d'Alberta (Canada) ; source : Center for Responsive Politics, Washington, 1999.
(14) On peut consulter leur site : http://www.religionandpolicy.org/ (15) Voir le Marbourg Journal of Religion, volume 6, n° 1, janvier 2001.



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