Kabbale

Kabbalecade à New York

(Source : le Monde 2 du 4 mai 2005 par Samuel Blumenfeld)

Mis en ligne le 23 mai 2005
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Sommaire:

Introduction
La lumière divine à prix d'or
Shabbat with Madonna
Le pouvoir de la méditation

INTRODUCTION

C'est l'histoire d'une secte, le Centre de La Kabbale, à l'influence croissante aux Etats Unis et dans le monde. C'est l'histoire du Rav Berg, son trouble fondateur, mi saint, mi dieu, mais gourou à part entière. C'est l'histoire de ses fidèles, stars ou anonymes, dont le point commun est une carte de crédit bien provisionnée. Reçu à l'antenne de New York, l'envoyé spécial du " Monde 2 " a pu y voir Madonna, à défaut de " s'approcher de la lumière "...
Par Samuel

L'immeuble se trouve dans l'un des endroits les plus huppés de Manhattan, au coin de la 48e Rue et de Lexington Avenue en face de l'hôtel Hyatt et derrière l'Intercontinental. De loin, il ressemble a une magnifique arche de marbre poli. De près, il passerait davantage pour lui nouveau restaurant à la mode. Mais à l'intérieur, plus aucun doute : on est dans la maison du bonheur. Les portes d'entrée, en verre aux contours argentés mènent à un immense hall tout blanc Là, le personnel au visage béat m'encourage a ôter mon manteau, m'offre une tasse de café ayant de s'enquérir de mon prénom "Chalom haver ", pour " Bienvenue mon ami " en hébreu, me glisse t on avec une caresse dans le dos. Bienvenue au Centre de la Kabbale.

Parmi les gentils organisateurs, certains sont encore plus prévenants que d'autres. Tout le monde sourit ici, mais il est des sourires illuminés qui forcent le regard. Celui de Jeffrey par exemple. 52 ans, coiffé comme John Lennon, dont il a aussi emprunté les lunettes rondes, Jeffrey est un artefact des années 1960. Mais son costume blanc, l'immense kippa de la même couleur qui enrobe son crâne, indiquent une autre temporalité. Jeffrey entend bien faire du XXIe siècle celui de la Kabbale. Issu du Midwest, il était autrefois adepte du bouddhisme et de la marijuana. Puis la Kabbale, ou plutôt son plus illustre représentant, le Rav Berg, grand gourou du Centre de la Kabbale, est venu a lui. Et l'existence de Jeffrey en a été bouleversée à tout jamais.

Jeffrey n'est pas juif, comme par ailleurs la moitié des adhérents du centre. Il ne sait pas lire l'hébreu mais promet de s'y mettre, "une fois atteint le degré de sainteté requis" Lorsque je lui indique combien je souhaite m'investir dans le Centre, prendre des cours de Kabbale, de mes yeux cerner Ia lumière divine, bref être comme lui, il serre brutalement mon avant-bras, et me regarde comme un frère : " Samuel, tes parents vont être fiers de toi. Tu vas voir, toi et moi allons hâter la venue du Messie ".

Sa main reste aggripée à la mienne. Fort de cette emprise, il me traîne dans le bureau de Michael Berg, l'un des deux fils, avec Yehuda, du Rav Berg, l'homme qui a transformé, à la fin des années 1960, avec l'aide stratégique de sa femme, Karen Berg, le Centre de la Kabbale en une magnifique entreprise familiale qui revendique près de 4 millions, de visiteurs depuis son ouverture et brasse plusieurs dizaines de millions de dollars de chiffre d'affaires annuel. Le Centre de la Kabbale possède une cinquantaine d'antennes dans le monde entier, de Paris à Los Angeles en passant par Londres, Tel Aviv et Caracas . " Michael, j'ai un nouveau "haver" pour nous. Ce jeune homme s'intéresse à la Kabbale. Prends soin de lui ".


La lumière divine à prix d'or

Michael Berg est fin, élancé, avec une barbe soigneusement ciselée et une kippa noire sur la tête. Sur les murs de son modeste bureau, une photo de la famille Berg et l'affiche promotionnelle de son ouvrage le plus célèbre " The 72 Names of God " (les 72 noms de Dieu, de Yehuda Berg). Michael Berg n'est pas homme à plaisanter. II parle à voix basse et vous regarde droit dans les yeux avec l'assurance de celui qui, investi de la lumière divine, entend bien la transmettre à son tour.

Tout, chez lui, indique ce lien privilégié avec 1e Ciel. A commencer par son tee-shirt blanc, où est inscrit : "Dieu existe ". Michael me donne la marche à suivre : " Tu passes d'abord le shabbat chez nous. Tu te rends ensuite au cours d'introduction de 1a Kabbale lundi et tu enchaînes avec d'autres cours dans la semaine sur l'astrologie, les lignes de la main et le Zohar (Le livre de 1a Splendeur). Fais attention, ne te contente pas simplement de souscrire à tout ce que l'on va te raconter. Fais en l'expérience dans ta vie quotidienne. Croire insinue déjà un doute, la Kabbale est tout entière dans l'action. Toi aussi tu as envie de t'approcher de la lumière. Je le sens, je l'ai vu. Tout ça, c'est le pouvoir de la Kabbale. "

L'acquisition d'un tel pouvoir est particulièrement onéreuse. Il faut être riche pour profiter de la lumière divine. Si le cours d'introduction à 1a Kabbale est généreusement offert, il en coûte en revanche 22 dollars pour assister à un cours de 50 minutes, 270 dollars pour suivre le cycle de dix leçons "The Power of Kabbalah I " (suivi de Kabbalah II et III), et 100 dollars pour apprendre, le temps d'une soirée, à lire les lignes de la main. Le marchandisage constitue une autre source de profit pour le Centre de la Kabbale. Michael Berg me conduit à la boutique pour faire mon marché, et assurer mon bonheur spirituel et matériel. Un bracelet en fil rouge, supposé me protéger de l'oeil du Malin, m'est vendu 25,99 dollars. Une petite bouteille d'eau, estampillée Kabbalah coûte 2,99 dollars. "Purifiez votre âme ", précise l'étiquette. Les bougies antistress ou celles aux vertus aphrodisiaques valent 8,99 dollars. " Le bracelet en premier, me conseille Michael Berg. " Ecarte le mal, il sera ensuite toujours assez tôt pour accueillir le bien avec les bougies ou les fluides à l'eau bénite. "
Dans le Talmud, le mot "kabbale" signifie simplement "la doctrine reçue " ou "la tradition ", c'est à dire la seconde partie de la Bible, après le Pentateuque et les enseignements oraux. Cependant, il a pris graduellement le sens d'un enseignement ésotérique qui permettait à quelques privilégiés soit d'entrer en communion directe avec Dieu, soit d'acquérirla connaissance de Dieu par des moyens non rationnels. Selon la tradition juive, seuls des hommes mariés, âgés d'au moins 40 ans, avec une connaissance exhaustive du Talmud, peuvent prétendre à l'apprentissage de la Kabbale.

Le Centre de la Kabbale ne s'embarrasse pas de telles précautions. Il est ouvert aux juifs comme aux non juifs, aux érudits et aux analphabètes, aux hommes et aux femmes. En fait, à tous les titulaires d'une carte de crédit.

Dans une telle perspective, l'organisation dirigée par le Rav Berg et ses fils n'a rien à voir avec les kabbalistes de l'âge d'or du XIIIe siècle.Les principes de la Kabbale, revue par le Rav Berg sont bien fumeux. Non seulement la Kabbale nous expliquerait comment fonctionne l'univers aux niveaux physique et spirituel mais elle pose aussi des principes supposés nous aider a améliorer nos relations, notre santé, notre carrière, nos finances, et surtout la qualité de notre vie.

La Kabbale dépasse le simple cadre ésotérique. C'est un véritable sésame, il suffit de bien la lire, avec l'assistance du Rav Berg bien entendu, pour que tous nos problèmes soient résolus d'un coup d'un seul. Le Centre de la Kabbale se situe davantage dans l'orbite de la secte Moon ou de l'Eglise de scientologie. Sauf que le Rav Berg colle mieux à l'air du temps, et passe plus de temps à soigner ses relations publiques qu'à étudier les textes sacrés. La liste de ses fidèles est impressionnante : Madonna et son mari, le réalisateur Guy Ritchie, le géant des médias Barry Diller, Monica Lewinsky, le top-model Naomi Campbell, Barbra Streisand ou encore Demi Moore, David et Victoria Beckham, Elizabeth Taylor et Britney Spears.

Cette liste constitue un coup de génie. L'Eglise de scientologie avait déjà compris le parti qu'elle pouvait tirer en comptant parmi ses membres des stars certifiées comme John Travolta et Tom Cruise. Rav Berg est allé beaucoup plus loin en faisant d'Hollywood l'épicentre du Centre de la Kabbale. Avec le Rav Berg, la cité des rêves est devenue aussi celle de Dieu. L'homme de tous les jours est convié à rejoindre une légion de stars pour côtoyer les étoiles avec elles.

Ce shabbat à New-York n'est pas comme les autres Le shabbat est l'un des fondements du judaïsme. II célèbre, du vendredi soir au samedi à la tombée de la nuit, le septième jour de la semaine, jour de repos où Dieu s'est arrêté après avoir créé le monde en six jours. Le Rav Berg a quitté le Centre de la Kabbale à
Los Angeles, où il officie, pour honorer New-York de sa présence. Plusieurs centaines de disciples sont venus des quatre coins des Etats-Unis assister à l'événement. C'est une chance et un privilège d'être là, m'a dit Jeffrey. On doit lire, samedi matin, le passage de la Torah ou Moïse et le peuple hébreu franchissent la mer Rouge et échappent à l'ire de Pharaon et de son armée. Ce passage serait d'une importance capitale pour nos "kabbalistes" Michael Berg me l'a bien expliqué. "Nous nous trouvons chaque jour dans la même situation que les Hébreux devant la Mer Rouge. Celle ci est une métaphore de l'illusion qu'il y a dans toute existence, et des obstacles placés pour nous empêcher de voir la lumière. "

Les rites et les prières du shabbat restent assez homogènes d'une communauté juive à l'autre, qu'elles soient issues d'Afrique du Nord ou d'Europe de l'Est, mais rien ne m'a préparé à cette vaste mascarade que constitue un office religieux au Centre de la Kabbale. Plusieurs centaines de fidèles, de blanc vêtus, avec inscrit "Kabbalah Center" sur leur poitrine, hurlent les prières du vendredi soir. Ils tapent dans leurs mains, puis dans celles de leur voisin, sautent en l'air plusieurs fois de suite, se congratulent, lancent leur poing à chaque fois qu'ils répondent "amen".

Une telle débauche d'efforts attise la soif. Celle ci est étanchée par des bouteilles de Kabbalah Mountain Spring Water. Selon le Rav Berg, cette eau serait la plus efficace au monde en matière de guérison, de bien être et de régénération. Sur l'estrade, Michael Berg harrangue ses fidèles: "Plus fort! Allez! Plus de ferveur, mes amis!" Alors, chacun se tient bras dessus, bras dessous, comme dans une fête de la bière, et se balance de droite à gauche. Un fidèle s'empare de moi, un autre en fait de même sur ma gauche. Il m'étouffent de leur étreinte.

Je dois mon salut à Rav Berg. Cet homme de 76 ans, en tunique blanche, la barbe foisonnante et le visage hagard, fend alors l'assistance, soutenu par son fil, Yehudah. La marée humaine, stupéfaite, se scinde en deux pour l'accueillir. "Le saint homme est venu", me dit mon voisin tremblant. Yehuda Berg installe son père sur l'estrade dans un fauteuil en cuir. Le Rav s'empare de sa tasse de thé, scrute l'assistance, secoue nerveusement la tête, remet ses lunettes et s'endort.

Comme beaucoup de gourous, Philip Berg a eu plusieurs vies. Né à Brooklyn en 1928, Feivel Gruberger est un ancien agent d'assurances. II rencontre en 1962 à l'occasion d'un voyage en Israël Yehuda Brandwein, un rabbin versé dans l'étude de la Kabbale. Gruberger se marie avec la nièce du rabbin. Il la quitte au début des années 1970, laissant huit enfants derrière lui. De retour aux Etats Unis, il se remarie avec son actuelle femme, Karen, et raccourcit son nom pour Berg. La biographie de Philip Berg avance, à partir de cette époque, sur des sables mouvants. Il se prétend l'auteur d'une thèse de doctorat, sauf que personne n'en connaît le sujet. II prétend avoir été ordonné rabbin aux Etats Unis. Aucune trace de cette ordination n'a pu être trouvée. Berg assure encore avoir été affilié à l'école rabbinique Yeshivah Kol Yehudah, celle de son ex beau père Rabbi Brandwein. Mais là non plus, le nom de Gruberger ne figure sur aucun registre.

Philip Berg s'inscrit davantage dans la lignée des faux messies dont est jalonnée l'histone juive: comme Jacob Frank (1726 1791) qui se présentait comme la réincarnation de Sabbataï Tsevi (1626 1676) et exigeait du croyant l'abandon de tout code religieux pour se livrer à des rites sexuels orgiaques. Qu'importe, les disciples de Philip Berg le vénèrent comme un demi dieu, même si, là, affalée sur son fauteuil la divinité ronfle.


SHABBAT WITH MADONNA

Madonna le sort de sa torpeur. Pas une chanson de Madonna. Mais l'artiste en personne, pimpante, hilare, une chapka sur la tête, assise de l'autre côté de la salle.

En conformité avec le rite juif, hommes et femmes sont séparés dans cette synagogue. Rav Berg se lève, danse devant Madonna La chanteuse lui retourne la politesse, esquisse quelques pas, et récolte un regard approbateur du Rav, fier du zèle affiché par sa plus illustre recrue. "Esther, bienvenue!", hurle le Rav. Esther est le patronyme dont Madonna a hérité depuis que ses dons de plusieurs dizaines de millions de dollars au Centre dont un récent de 22,5 millions pour la construction d'une école de la Kabbale exclusivement réservée aux enfants des membres du Centre en ont fait la plus illustre ambassadrice de l'organisation. Madonna tape dans la paume de sa voisine, passe sa main au dessus de sa tête geste indispensable pour écarter le Malin puis retourne à ses prières, dans la totale indifférence de l'assistance. Pour une fois, elle n'est pas la vedette du spectacle.

Celui ci touche à sa fin lorsque la famille Berg monte sur l'estrade et soutient son patriarche, chargé de réciter le kiddouch du vendredi soir, la prière récitée sur une coupe de vin, le shabbat et les jours de fête, afin de sanctifier la journée. Yehuda Berg tend à son père une fiche où sont inscrits les mots de la prière. Là, stupeur! Le Rav peine à lire l'hébreu. Il faut lui arracher chaque mot. Karen Berg est livide. Ses fils, paniqués, agitent l'antisèche mais le Rav surmonte l'épreuve Un tonnerre d'applaudisseents retentit dans la salle "Ce shabbat n'est plus seulement bénit, m'assure mon voisin, il est saint". Le Rav disparaît à toute allure, soutenu par ses fils, à l'image de Molière le soir de son ultime représentation du Malade Imaginaire

Le lendemain matin samedi, jour de la lecture de la Torah, la synagogue du Centre est encore plus bondée que la veille, avec la même ambiance exaltée, digne du vestiaire d'une équipe de rugby après la victoire. Au rez-de-chaussée, plusieurs dizaines d'enfants jouent au ballon ou avec des jouets en plastique. Ces jeunes kabbalistes font partie du Kid Learning Center, l'écale de la Kabbale pour enfants ouverte les samedis, dimanches et mercredis.

Dans la synagogue, située à l'étage supérieur de l'immeuble, les places de devant, tout près du Rav, ont été prises d'assaut dès 8 heures. Il faut donc s'installer plus au fond, où je fais la connaissance de mon compagnon de la matinée. Francisco est un Péruvien naturalisé canadien. II a fait spécialement le voyage de Toronto pour rencontrer le Rav et vivre, à l'entendre, un des plus beaux jours de sa vie. "Le shabbat avec Le Rav revient à souscrire une assurance vie. Tu sais, je n'étais rien avant la Kabbale, un simple employé de bureau gangrené par les énergies négatives. Puis des amis m'ont parlé du Centre et ma vie a été changée à jamais. Je donne tout au Rav, environ 600 dollars par mois.J'ai arrêté 1es vacances, les loisirs, j'investis mon capital dans les cours".

Francisco reprend son livre de prières en hébreu, et fait semblant de suivre. "Je ne sais pas lire l'hébreu. Même si on n'y comprend rien, il faut faire comme si, car on est de toute façon exposé à la lumière". II s'empare alors d'un petit morceau de papier où seraient inscrits les 72 noms de Dieu, et pointe soigneusement son index droit sur chacun des noms. En apprenant à comprendre et à se concentrer sur les noms, il deviendrait possible d'apporter un changement positif dans chaque domaine de sa vie...


Le pouvoir de la méditation

Yehuda Berg monte sur scène, suivi de son père, accueilli par les hourras de ses supporters. Le même rituel que la veille recommence, en beaucoup plus long. Cette fois, le Rav ne tentera pas de quitter son confortable fauteuil en cuir. Le discours de Yehuda Berg est interminable. "Grâce à la Kabbale, vous pourrez un jour respirer sous l'eau", soutient-il, en référence au passage de la mer Rouge. Puis il conclut : "Nous voulons la Kabbale pour le monde entier. Je n'arrêterai pas tant que 6 milliards d'individus n'aurons pas été touchés par la lumière".

Interrogé sur les excès du Centre de la Kabbale, un rabbin d'une communauté à New-York répondait, dépité: "A chaque seconde naît un nouveau pigeon." Les cours de la Kabbale, revue par Philip Berg forment un tissu d'âneries insondables. C'est comme se rendre à un cours d'astronomie pour se retrouver à apprendre l'astrologie Il y a bien une centaine de personnes venues assister, ce soir, au cours de lecture des lignes de la main. L'assistance, ave des Blancs, des Noirs, des Asiatiques, est diverse Tout le monde se connaît et se fait la bise. Chacun a sa bouteille d'eau minérale estampillée "Kabbale" sur la table. L'absence de cette bouteille sur mon pupitre me désigne d'emblée comme une pièce rapportée à laquelle chacun s'adresse par un cordial "Bienvenue". Ruth Rosenberg, une Israélienne de 40 ans, gagnée par la mystique est notre professeur. Sensible à mon rhume, elle me hurle: "Tu aurais bu notre eau, tu n'en serais pas là."

Je m'attends, en lisant les lignes de la main, à en savoir davantage sur mon futur immédiat. Mais il me faut endurer des assertions comme "Tu dois te débarrasser de la négativité dont Satan t'a entouré"... Susie, l'une de mes voisines, acquiesce. Selon elle, la Kabbale altère toutes sortes de douleurs. "Je sais que c'est dur à croire. Tes doutes sont symptomatiques. Les maux de tête, d'estomac signalent que la lumière divine a mal à se frayer un chemin en toi. Le cancer n'est qu' une masse d'énergie négative. Il n'y a pas si longtemps, j'avais une terrible rage de dents. J'ai médité et elle a disparu. On ne mesure pas assez le pouvoir de la méditation."

Les cinquante minutes de cours achevées, Ruth Rosenberg me demande si j'ai aimé. Demain, j'aurai la possibilité de me rendre à un cours d'astrologie kabbalistique, suivi d'une lecture du Zohar. Ruth Rosenberg insiste : "Et surtout médite, alors ton rhume disparaîtra".

Satan ou pas, l'éloignement est nécessaire. "Vous habitez Paris, m'avait glissé Michael Berg, il faut investir votre territoire. On a besoin de vous à New York, mais Paris vous attend. La parole du Rav y sera divulguée avec autant de force". Je me rends alors à l'antenne parisienne du Centre, située dans le 16e arrondissement. C'est un crève coeur. La multinationale de la Kabbale gère mal ses succursales. Un clochard est installé devant l'entrée, qui s'est improvisé agent d'accueil: "Non monsieur, ils ne sont pas là ce soir. Il faut téléphoner, c'est plus simple".

Après plusieurs coups de téléphone au Centre, où une timide jeune fille me répète, mortifiée, que les cours de Kabbale I doivent systématiquement être ajournés, faute de clients, je peux enfin trouver une place pour une séance, gratuite, d' "Introduction a la Kabbale". "Amenez vos amis, n'hésitez pas", me glisse t elle.

Il est tard, ce mercredi soir. Une quinzaine de personnes, très jeunes pour plupart, sont réunies dans le local du Centre. L'atmosphère n'est pas à l'étude mais au laisser aller. Un jeune homme somnole, deux vieilles dames discutent dans leur coin. " Je veux juste savoir si l'on se réincarne en animal plus tard", dit l'une d'elles. Le professeur est grand, jeune, fringant, avec une kippa noire sur la tête.Il se veut rassurant: "Je suis juif, vous ne l'êtes peut être pas, mais rassurez-vous, il n'est écrit nulle part dans la Torah que la Kabbale serait réservée à une certaine catégorie de personnes. La Kabbale est oecuménique et universaliste". Nous voilà rassurés.

La suite du prêche, bien qu'administrée avec douceur, est plus directe. "Nous sommes rentrés dans l'ère du Verseau, c'est l'ère messianique. Il y a de plus en plus de chaos à l'extérieur, et le seul moyen de lutter contre ce désordre est de faire appel à la technologie de la Kabbale". La leçon se poursuit, avec davantage d'agressivité. "Vous avez un ego, il faut s'en débarasser. C'est une invention de Satan, c'est une force négative. Neuf sphères nous séparent du Créateur et nous sommes dans la lumière la plus basse. C'est à vous d'enlever ce rideau qui vous sépare de Dieu."

Depuis de longues minutes déjà, un bruit lancinant résonne dans ma tête. Je me retourne et découvre, en voyant de l'eau tomber du plafond sur le parquet, que le Centre de la Kabbale ne peut s'en remettre au seul Créateur. Il a aussi besoin, et de toute urgence, d'un plombier.

Il se fait tard. L'assistance part silencieusement, peu convaincue par le dynamisme du "M. Kabbale" de ce soir. "La Kabbale n'a donc rien à dire sur la réincarnation des animaux ? ", demande une dame âgée au professeur en mal de réponses. Les lumières du Centre sont éteintes avant même notre départ. "Revenez pour shabbat", nous dit l'hôtesse.

Une personne s'écrie: "Il faut en finir avec cette fuite d'eau, c'est pas sérieux !" Selon les kabbalistes, l'eau est 1a manifestation physique de la lumière du Créateur. Ce soir là, l'eau était aussi la manifestation tangible de l'agacement de ce même Créateur.



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