Instinctothérapie

Le cru est-il cuit ?

(Source: Dossiers du Canard, Le Grand Bazar du Bizarre, pages 41 et 42, juin 1990)


Le pape des crudivores affirmait guérir le Sida avec des crudités. Malheureusement certains l'ont cru.

GUY-CLAUDE BURGER: une barbe christique, de longs cheveux blonds, une élocution posée et charmeuse, le bonhomme fait songer à l'autoportrait de Durer, les yeux fixés sur on ne sait quelle vérité fondamentale. Burger est le fondateur de l'instinctothérapie, plus connue sous le nom de «secte des crudivores».

Sa carrière démarre par une sorte d'illumination, un miracle: c'est un régime alimentaire qui l'a guéri, il y a vingt-cinq ans, d'un cancer du larynx. Du moins à ce qu'il dit, car il n'inventa son régime instincto qu'après une chirurgie et une chimiothérapie classiques. Le Suisse Burger puise ses considérations alimentaires dans la bible de la diététique écolo, écrite par le docteur Kousmine -suisse, elle aussi- dans les années 30. Un constat simple: tous les aliments disponibles sur la table d'un Occidental «industrialisé» sont malsains. Et Kousmine affirme que les pires de nos maux physiques ont là leur seule origine.

Burger, lui, extrémise le régime Kousmine. Dans « La guerre du cru », toute l'alimentation humaine passe à la casserole. L'homme qui découvrit le feu s'est fort trompé en faisant rôtir sa viande: la cuisson altère les molécules alimentaires et surcharge son organisme en toxines. Et le XXème siècle, avec ses sales habitudes, donne à l'humanité le coup de grâce: maladies dégénératives, cancers, rhumatismes, allergies, herpès et Sida ! La boîte de Pandore façon Burger, c'est la conserve et la casserole. L'instincto est un retour radical à un éden de santé.

Douce utopie dans laquelle Burger entraîne pas mal de disciples, à commencer par son épouse et ses deux enfants, dont, paraît-il, les défécations ne sentent pas, de même que les pieds de leur père: «Ces odeurs sont dues aux toxines incluses dans la transpiration et les fèces.» Mais en instincto on est purifié. Inodore, donc sain.

«Son épouse et ses deux enfants, dont, paraît-il, les déjections ne sentent pas.»

La famille Burger, instinctothérapeutes très crudivores

Au début des années 80, Burger s'installe au château de Montramé au coeur des douces combes de la Brie. Un magnifique ensemble de bâtiments du XIIème siècle, avec avant-corps et tourelles ouvragées. A l'entrée: les bureaux et la salle de conférences du maître des lieux: Guy-Claude Burger. De l'autre côté de la cour gazonnée, les réserves de nourriture crue, la salle de repas communautaire et les chambres des pensionnaires.

Des dames bon chic bon genre, avec pull de laine baba, sont à l'accueil et à la caisse. Car il vous en coûte tout de même 400 F. par jour pour vous faire détoxiquer, et le repas de midi fait ses 85 F. Les dames patronnesses encaissent la monnaie tout en vous faisant la propagande des folles vertus de l'instincto: « Grâce au régime de Burger, j'ai guéri d'un cancer incurable. » Par la suite, en visitant, vous tomberez sur deux sidéens, éloignés des autres, qui s'éteignent lentement dans leur lit.

L'odeur, une fois franchie la porte de la salle commune, est surprenante: rance, sure. C'est l'odeur des fruits, légumes et viandes crus. Qui mûrissent selon leur nature. A l'entrée s'entassent plusieurs sortes d'eaux minérales.

Car le bon instincto doit aussi choisir de bon matin son eau: Volvic ou Mont Roucous (l'eau numéro 1 au top des écolos). On ne touchera pas à l'eau courante, puisée dans les plaines, puisqu'elle est pleine de phosphates !

Le régime est le suivant: eau le matin, rien que de l'eau. A midi, c'est le premier repas, à base de fruits et de légumes crus. Protéines animales le soir: coquillages, poisson cru et viande boucanée. Tout devant être ingéré avant huit heures du soir. Après, les cycles biologiques de la digestion ne sont plus aptes à assimiler correctement la nourriture. Avant de dormir, on s'enfilera un bâton de casse, un purgatif exotique connu depuis Molière et Voltaire. Laxatif violent et efficace, la casse vous met en diarrhée pour quelques jours, le temps d'éjecter de vos intestins toutes les substances nuisibles.

Mais passons tout de suite à la cérémonie de midi: le déjeuner instincto. Pour Burger, les animaux mangent cru, et sentent d'instinct. Donc sentons !

Quatre longues tables recouvertes de toile cirée débordent de fruits et de légumes exotiques. Une quinzaine de qualités de miels, encore pris dans leur cire. Amandes, noisettes, noix de tous calibres et de toutes qualités. Ananas, papayes, fruits de la passion, mangues, céleri, betteraves choux-fleurs, pommes, poires. Les tables et les paniers débordent de victuailles, colorées et dodues comme dans un Breughel de Velours.

Comment faire son choix? Aucune inquiétude à avoir, au milieu de ces visages maigres au teint cireux, il y a toujours une bonne âme pour vous initier à l'instincto.

Initier n'est pas un faible mot. Après que l'on vous a bandé les yeux, on vous fait renifler cinq ou six sortes de légumes et de fruits. Si l'odeur vous fait saliver, c'est que votre instinct, via vos papilles, reconnaît d'office ce qui lui est nécessaire. Vous avez choisi les fruits de la passion, vous pouvez en manger deux, trois ou dix kilos: tant qu'un goût âcre au fond de votre bouche ne vous a pas averti que cela, vraiment, suffit: continuez !

Le bavard qui vient de vous instruire, genre cureton défroqué, retire votre bandeau et vous tapote le troisième oeil. Un sourire béat illumine ses dents à l'évidence décalcifiées: «Votre oeil véritable s'est ouvert, mangez à présent.»

Car la diététique, ici, s'accompagne de tout l'attirail new age: métapsychanalyse, yoga des yeux et rebirthing.

Tout se serait passé dans un agréable folklore post-soixante-huitard, entre les stages de vannerie et les ateliers de peinture sur soie, si l'orthodoxie médicale ne s'en était mêlée.

Burger parle de guérison inespérée de maladies mortelles. Il se targue même, avec son régime, de traiter le Sida avec plus d'efficacité que les médecins classiques. Erreur tactique magistrale pour le pape de l'instincto.

En 1989, Burger devient en quelques semaines le chouchou des médias. On le voit sur La Cinq, on l'écoute sur France-Inter, et Dechavanne l'invite pour un «Ciel, mon mardi>> particulièrement houleux. Le Conseil de l'ordre des médecins n'apprécie pas du tout les déclarations de ce Christ thérapeutique. Et le Suisse, qui n'est pas au-dessus de tout soupçon, traîne derrière lui quelques histoires pas claires. A l'hôpital Bichat, un des grands pontes de la rhumatologie française, le docteur Marcel Francis Kahn, voit revenir dans son service une de ses patientes, atteinte de polyarthrite rhumatoïde, qui sort de chez Burger. Un fantôme amaigri, en train de perdre ses cheveux, totalement décalcifié. L'affaire fait du bruit. Et d'autres histoires émergent: tel autre patient mort de paludisme pour avoir refusé de consulter. Tel autre, diabétique, qui arrête l'insuline à Montramé, et se retrouve hospitalisé d'urgence à Melun.

«Certaines de ces morts survenues au centre ne seront pas déclarées. »

Un sidéen décède à Montramé fin 1988. Certaines de ces morts, survenues au centre, ne seront pas déclarées. énorme faute légale.

Devant tous ces cadavres dans les placards de Montramé, et ces pratiques douteuses, le Conseil de l'ordre n'hésite plus: on fait arrêter Burger à la sortie de l'émission de Dechavanne. Burger, après une semaine sous les verrous, se voit interdire l'accès à Montramé. Interdiction aussi de professer ou de parler de quelque manière que ce soit de l'instincto.

Le pape est sous les verrous? Qu'importe, ses évêques parleront pour lui !

[.....]

Aujourd'hui, l'affaire Burger est en statu quo. Le gourou, interdit de séjour à Montramé, n'en habite pas moins à deux pas de là, dans la bonne ville de Provins. Toujours en contact avec ses crudivores, et malgré l'interdiction qui lui en a été faite, il se prépare à reprendre la parole dans un nouvel ouvrage. Non, la guerre du cru n'est pas terminée !


  

 
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