Communauté Saint Jean - Les Petits Gris

La justice confie à la médecine le parricide de la Vieille-Ville

(Source : Tribune de Genève - 8 juin 2004 par Jean-Noël Cuénod)

Mis en ligne le 10 juin 2004
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Pour sa mère, une communauté religieuse porte une lourde responsabilité morale dans ce drame. Ses responsables contestent toute dérive sectaire.

La sévère inquiétude d’un évêque français.

La justice pénale ne jugera pas l’affaire du parricide de la Vieille-Ville. La Chambre d’accusation a récemment prononcé le non-lieu dans ce douloureux dossier. Elle ordonne également l’internement "en milieu approprié" de cet étudiant en médecine qui avait tué son père, un avocat genevois, le 23 juillet 2003 au domicile de ce dernier en Vieille-Ville. Sans surprise, les juges ont donc suivi les conclusions de l’expert psychiatre. Il avait conclu qu’au moment de tuer son père, le jeune homme ne pouvait pas apprécier le caractère illicite de son acte (irresponsabilité pénale) et qu’il fallait l’interner dans un établissement psychiatrique.

Le sort du jeune homme se trouve désormais placé dans les mains des psychiatres. Pour le moment, il restera en milieu fermé. Son éventuelle libération dépendra de son état de santé mentale. "Je ne reconnais pas mon fils tel qu’il est décrit dans l’expertise psychiatrique. Elle fait, surtout, l’impasse sur la responsabilité de la Communauté religieuse de Saint-Jean dans la genèse des troubles qui ont affligé mon enfant", nous a déclaré sa mère qui tient à faire part de son expérience "afin que la souffrance que ma famille endure soit épargnée à d’autres".

Formée de moines, la Communauté de Saint-Jean revendique sa place dans le giron de l’Eglise catholique romaine. Fondée en 1975 dans l’environnement de l’Université de Fribourg par le père dominicain Marie-Dominique Philippe, elle connaît un réel succès auprès des jeunes et comprend quelque 550 membres.

"Il n’avait que 18 ans..."

La famille du jeune homme frappée par le drame de la Vieille-Ville a élevé ses enfants dans la foi catholique et le respect de cette Eglise. "Mais lorsque mon mari et moi avons appris en novembre 1994 que notre fils qui n’était alors âgé que de 18ans voulait entrer dans les ordres en commençant son noviciat à la Communauté de Saint-Jean au couvent de Saint-Jodard (ndlr: dans le département français de la Loire), nous nous sommes montrés réticents. Le père fondateur de cette congrégation avait alors insisté auprès de mon mari afin que notre fils entre tout de même dans cette communauté en soulignant que lui-même avait commencé sa vie monastique à 18 ans."

Le jeune homme suit les différentes étapes de son noviciat. Un an et demi après alors qu’il prononce ses vœux provisoires (profession simple) , son comportement présente des troubles évidents. L’année suivante, le 13 décembre 1996, il est rendu à sa famille à Genève au bout de sa résistance physique et psychique: "Il était très confus, son écriture avait changé radicalement. Il était d’une maigreur effrayante et ne pesait plus qu’une quarantaine de kilos malgré sa grande taille. Après, il s’en est suivi un long et douloureux calvaire marqué par des phases d’amélioration au cours desquelles il a pu brillamment commencer des études de médecine. Mais il est tout de même resté englué dans l’esprit de cette congrégation avec laquelle il avait renoué à Genève."

"Vampirisé"

La mère poursuit: "En épuisant mon fils en travaux subalternes, en veilles, en carences alimentaires, en lui bourrant le crâne avec une idéologie apocalyptique où le sacrifice, le don de sa vie sont glorifiés, cette Communauté l’a complètement déstabilisé. Il n’est que trop facile de manipuler mentalement un jeune de 18ans en exploitant cette spontanéité du don de soi qui est la marque de la jeunesse. Cette Communauté a vampirisé l’esprit de mon fils comme elle l’a fait avec tant d’autres. J’ai appris, en effet, que notre famille n’était par la seule loin de là à avoir connu cette triste expérience. Nous avons alors appris que de nombreux jeunes ont été conduits à arrêter leurs études. Nous nous sommes regroupés au sein de l’AVREF Association vie religieuse et famille afin d’alerter les autorités ecclésiastiques sur les dérives sectaires de cette communauté."

"Nous n’avons rien de sectaire!"

Le Père Benoît-Emmanuel - prieur de la Communauté de Saint-Jean à Genève et curé de la paroisse Saint-François-de-Sales (Plainpalais) (photo) - rejette toute responsabilité de sa congrégation dans ce contexte. Jeune encore, le verbe précis et abondant, la robe monacale grise abritant un corps d’athlète, ce religieux plaide sa cause en présence de deux avocats, Mes Robert Assaël et Alain Macaluso:

"Je suis à l’écoute de la douleur de cette mère. Mais je dois aussi réfuter ses accusations. Le jeune homme dont il est question, je le connais. Il a suivi les scouts d’Europe auprès de notre paroisse et c’est de lui-même qu’il a décidé d’entrer dans notre communauté. Personne ne l’a obligé d’abandonner ses études.

"Avant de prononcer les vœux définitifs (ndlr: profession perpétuelle), - le candidat doit franchir plusieurs étapes pendant au moins six ans. Ce garçon a donc commencé à suivre l’habituel cursus. Lorsqu’il a présenté des troubles de comportement, le prieur qui le suivait l’a conduit à deux reprises chez un psychiatre. C’est ce médecin qui a demandé à ce qu’il retourne auprès de ses parents. Ce que notre communauté a observé." Les avocats, Mes Assaël et Macaluso, ajoutent:

"En 2002 seulement, le jeune homme en question a cherché à reprendre contact avec la Communauté. Pour continuer cette démarche, celle-ci a demandé l’accord de son médecin, celui de l’évêque et qu’il termine ses études. Mais ses demandes sont restées sans suite."

Le prieur souligne avec force: "Il n’y a rien de sectaire dans notre démarche, ni dans notre vie religieuse. L’état monastique implique un sacrifice mais qui est librement consenti. A la Communauté de Saint-Jean, les portes sont ouvertes dans les deux sens. On peut y entrer. On peut la quitter. Personne ne vous y retient."

La mère du garçon confirme toutes ses accusations contre la Communauté: "Lorsque mon fils a commencé son noviciat, il était en parfaite santé et venait de décrocher sa matu classique avec mention "très bien". Après deux ans de présence dans cette communauté, nous l’avons récupéré dans un état de complet délabrement psychique et physique".

L’avis de Mgr Farine: "Je n’ai pas de vision globale"

Quel est l’avis des autorités catholiques genevoises sur cette Communauté? Voici ce que nous a répondu Mgr Pierre Farine: " Je n’ai pas de vision globale sur ce qu’elle est, sur ses activités. Je sais qu’elle est pleinement d’Eglise, imparfaite certes car comme le dit saint François de Sales: Où il y a des hommes, il y a de l’hommerie. A-t-elle plus de problèmes que d’autres communautés? "Franchement, je n’en sais rien. Je connais les membres de la congrégation à Genève. Ils remplissent leur vocation dans le canton à la plus grande satisfaction de notre Eglise."
J.-N.C.

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Une communauté religieuse sous surveillance

La Communauté de Saint-Jean a souvent attiré le regard des médias. Certains, proches de l’Eglise, se disent impressionnés par le charisme qui en émane et le dynamisme de cette jeune congrégation. D’autres se montrent très critiques, voire franchement hostiles, comme le quotidien français Le Monde.

Les autorités ecclésiastiques la surveillent de près et, parfois, lui adressent des remontrances dont certaines ont de quoi inquiéter. Ainsi, le 28 juin 2000, Mgr Raymond Séguy - évêque du diocèse d’Autun, Chalon et Mâcon dont dépend Saint-Jean - a adressé à cette communauté une "monition canonique et pastorale". S’agirait-il d’un simple blâme? Le canon 1339 du code qui régit l’Eglise catholique donne cette définition: "A la personne qui se met dans l’occasion proche de commettre un délit ou sur laquelle, après une enquête sérieuse, pèse un grave soupçon d’avoir commis un délit, l’ordinaire (ndlr: l’évêque compétent) peut faire une monition par lui-même ou par autrui." La monition ressemble donc plus à un sérieux coup de crosse qu’à une anodine admonestation.

Dans ce texte "préventivement punitif", l’évêque évoque les aspects positifs de la Communauté de Saint-Jean. Mais il lui lance aussi de sévères avertissements comme celui-ci:

Pouvez-vous, dans votre gouvernement, éviter que des frères soient poussés jusqu’au bout de leurs forces humaines par des conditions de vie religieuse irréaliste? (...) Je me permets de mettre très sérieusement en garde contre toute forme de pression ou de contrainte affective ou "spirituelle" qui pourrait vous être reproché.

L’évêque d’Autun ordinaire de la congrégation a décidé en octobre 2002 de désigner deux assistants religieux afin de surveiller la Communauté Saint-Jean et veiller à ce qu’elle se développe selon les critères de l’Eglise.

"C’est vrai que nous connaissons des problèmes de croissance, explique le Père Benoît-Emmanuel. Mais nous rectifions nos défauts grâce à l’aide de l’assistance religieuse avec laquelle nous avons noué d’excellentes relations."

Tout de même, on ne peut manquer d’être troublé par ce fait: les critiques formulées par l’évêque d’Autun, Chalon et Mâcon correspondent à de nombreux thèmes abordés par les familles qui s’affirment victimes de cette communauté.

 



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