Sectes et entreprises

Etes-vous coach ou psy ?

(Source : Le Point 12/09/03 - N°1617 - Page 58 - 2823 mots )

 

Mis en ligne le 6 novembre 2003septembre 2003

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Comme un sportif de haut niveau avec son entraîneur, le quidam peut faire appel à un coach pour gérer sa vie. Une solution séduisante qui inquiète et concurrence directement les « psys »

Ariane Singer

Il y a un an, Jean-Pierre G. , 36 ans, chef d'une petite entreprise de communication parisienne, broyait du noir. Un contrôle fiscal « ultraviolent », le désistement de ses deux principaux clients, un dépôt de bilan forcé, la grossesse à haut risque de son épouse...

Quelques mois plus tard, Jean-Pierre est un autre homme. Lui qui d'ordinaire s'avoue maladivement stressé affiche aujourd'hui une étonnante sérénité. Il vient d'être papa pour la troisième fois, et s'apprête à déménager à Nîmes, dans une grande maison avec jardin et piscine. « J'ai enfin établi des priorités dans mon existence. Je me suis rendu compte que mon épanouissement familial comptait plus que ma réussite professionnelle », confie-t-il. Le jeune entrepreneur a également décidé de relancer l'activité de sa société. « Je garderai un bureau à la maison, près de mes enfants, et je viendrai travailler deux jours à Paris. Ce sera beaucoup mieux. »

Jean-Pierre a-t-il eu recours à une société de conseil ? Consulte-t-il un psychologue ? S'est-il converti à la méthode Coué ? Un peu les trois à la fois ! Il a fait appel à un coach. Un professionnel, recommandé par sa voisine de palier, elle-même coach d'entreprise. Hier réservés aux sportifs, ces « entraîneurs », devenus incontournables dans l'entreprise pour accompagner les managers et leurs équipes, envahissent désormais la vie privée de nombreux Français.

Trentenaires en pleine crise existentielle, quadras en quête de reconversion professionnelle, hommes ou femmes au bord du divorce, étudiants angoissés par l'avenir... ils sont de plus en plus nombreux à s'offrir les services de coaches privés. Comme aux Etats-Unis, où ils sont en passe de détrôner les psys... Selon une étude réalisée par la Société française de coaching, il existe entre 1 800 et 2 000 coaches en France, qui réalisent quelque 100 millions d'euros de chiffre d'affaires ; un marché en croissance de 15 à 20 % par an, qui pourrait quadrupler au cours des deux prochaines années... Dans ce marché, le « life coaching », ou « coaching de vie », connaît un succès croissant.

« Très souvent, les gens arrivent avec un problème professionnel : ennui, démotivation, envie de changer de travail. Mais ce n'est qu'une excuse qui cache des préoccupations plus intimes. Il faut traiter tous les domaines ensemble pour qu'une vie soit équilibrée », explique Bernard Hévin, coach au Dôjô, l'un des principaux instituts français de formation de coaches.

Coaching de vocation pour les jeunes ayant du mal à trouver leur voie dans la vie ; coaching « existentiel » pour les individus en proie à des doutes religieux et philosophiques, ou encore « love coaching », destiné aux célibataires endurcis ou aux amoureux malheureux... A chaque problématique correspond son type de coaching. Aux Etats-Unis, on n'en dénombre pas moins de 80 différents ! Comment expliquer ce succès ? « Aujourd'hui, le changement est devenu permanent, explique Sophie Soria, ancienne journaliste et fondatrice du cabinet Le Coaching éthique, basé à Paris. Personne n'est plus à l'abri d'un licenciement soudain ou d'un divorce. L'époque où l'on se mariait pour la vie et où l'on passait trente ans dans la même banque est révolue. Or c'est selon ce modèle de stabilité que nous avons été élevés, et que nous continuons à penser », poursuit cette quadragénaire brune et dynamique.

Qui sont les coachés ? Des gens de toutes origines. C'est cette lycéenne, forte en maths mais aussi douée pour les disciplines artistiques, qui, avant d'intégrer une prépa scientifique, cherche à savoir si elle fait le bon choix. C'est cette avocate qui, à la mort de ses parents, veut changer de vie. Ou encore ce cadre américain, parlant mal le français, qui cherche à s'intégrer en France...

Inspection de la garde-robe

Daniel C., 42 ans, directeur général d'une filiale de grande société industrielle internationale, est allé voir un coach à la suite d'une profonde mésentente avec sa hiérarchie. « Je me demandais ce que j'attendais de ma carrière et si j'étais vraiment fait pour être DG. Le coaching m'a conforté dans l'idée que je voulais avoir un rôle de manager parce que j'ai envie d'apporter quelque chose aux gens « , explique-t-il. Ses séances hebdomadaires de coaching lui donnent l'occasion de conduire un travail sur lui-même plus approfondi. « Je voulais en savoir plus sur moi, car on me reproche d'être cassant et de ne pas écouter assez les autres. Cela m'empêche de progresser dans mon travail, et dans mes relations avec ma famille et mes amis. Le coach, grâce à son empathie, m'incite à exprimer davantage mes émotions : colère, tristesse, envie... Avec lui, j'ai compris que l'on pouvait ne pas m'aimer, et qu'inversement je n'étais pas obligé d'aimer tout le monde. Cela m'évite bien des frustrations. »

Le coaching fonctionne de façon très simple : autour de séances régulières, faites de questions-réponses, au cours desquelles le coach analyse avec son coaché les difficultés que celui-ci rencontre dans sa vie quotidienne. Si elles peuvent se tenir par téléphone, voire par e-mail, les séances se déroulent le plus souvent face à face, assis, dans un lieu plutôt neutre (le cabinet du coach, s'il en a un). Certains coaches proposent des endroits plus cosy, car plus propices à l'épanchement : les salons feutrés de l'Hôtel Intercontinental à Paris ou les salles dorées du Train bleu, dans la gare de Lyon. « Je propose à mes coachés d'aller chez eux pour inspecter leur garde-robe, indique pour sa part Catherine Golias, coach spécialisée dans le conseil en image à Grenoble. Au passage, un coup d'oeil sur la déco me permet clairement d'identifier si c'est l'homme ou la femme qui choisit l'aménagement intérieur et qui dans le couple impose ses goûts. »

Si l'âge des coachés varie entre 35 et 50 ans, il n'est jamais trop tard pour remettre sa vie sur les rails. « Je reçois des demandes de jeunes retraités qui se retrouvent démunis le jour où ils n'ont plus d'activité professionnelle », indique ainsi Pascale Pelletier, coach de seniors. A 71 ans, au terme d'une carrière dans l'électronique qu'il qualifie lui-même de « rasoir », Claude S. consulte régulièrement un spécialiste qui l'accompagne dans sa nouvelle activité : la distribution d'un complément nutritionnel à base de fruits. « Je cherchais à convaincre les gens de l'intérêt du produit et à former de nouveaux distributeurs ; mais j'étais isolé et mon objectif était assez flou. Mon coach m'a aidé à définir un vrai projet professionnel. Moi qui ai toujours été paumé, j'ai l'impression que ma vie commence enfin », se réjouit-il. Stupéfiante transformation...

La révolutions des petits riens

Mais quels sont donc les trucs utilisés par les coaches ? En fait, des techniques assez simples, souvent puisées chez les psys, et qui font appel à la programmation neurolinguistique (PNL), la gestalt-thérapie, l'analyse transactionnelle ou encore à l'hypnose ericksonienne. Leur but ? Non pas changer la psychologie du coaché, mais l'aider à trouver en lui-même ses propres ressources. Une sorte d'accouchement de soi effectué par des questions concrètes et progressives, à la manière de la psychothérapie.

« Ma coach me pose des questions de base, raconte Roger, 43 ans, à la recherche d'un emploi. Quels sont mes objectifs réels à cinq ans ? Comment identifier mes réseaux de relations ? Qu'est-ce qui m'empêche de contacter les gens que je connais ? etc. » Le travail est accompagné par des exercices pratiques : prendre rendez-vous avec son employeur si on est en désaccord avec lui, appeler des connaissances si l'on se sent seul, établir la liste des priorités pour la semaine à venir, lister les difficultés rencontrées au quotidien, etc. Parallèlement, le coaché change peu à peu son vocabulaire. « On nous enseigne à ne plus dire "il faut que", "j'aimerais", mais "je décide de, et je le fais" », indique Claude. Une structuration simple de l'esprit, qu'il s'agit ensuite d'appliquer à sa vie quotidienne. « J'ai appris des choses élémentaires comme utiliser un agenda, poursuit-il. J'y note ce que je dois faire chaque jour, au lieu de me laisser aller : remplacer le robinet de la cuisine, changer une ampoule, régler des factures... Chaque soir, j'établis mon planning pour le jour suivant, selon les priorités. Et je m'endors serein... »

Bouleverser son mode de vie, sa façon d'appréhender les choses tient souvent aux petits riens. « Je me suis rendu compte que je formulais systématiquement mes phrases de façon négative : "Vous ne pensez pas que ?" "Vous ne pourriez pas m'aider ?" "Tu ne crois pas que ?" indique un ancien coaché, directeur financier d'une entreprise. Du coup, les gens me répondaient souvent non et je me mettais moi-même en situation d'échec. Ma coach m'a simplement incité à changer ma syntaxe. » Michèle était trop timide. Son compagnon le lui reprochait. « Dès le début de mon coaching, j'ai appris à dire bonjour aux gens que je ne connaissais pas dans les cocktails et à engager la conversation en leur posant des questions banales : "Quel est votre nom ?" "Qui vous a invité ?", etc. » Cette prise de conscience de certains blocages, l'« insight » dans le jargon du coaching, constitue la clé du changement.

Mais celui-ci à un prix : 100 à 400 euros la séance privée et 150 à 600 euros en entreprise, pour une moyenne de dix séances... « C'est vrai, cela peut paraître cher, mais si cela vous permet de mener enfin une vie heureuse, alors que coûte vraiment cet investissement ? » nuance un professionnel.

Reste que la nécessité de recourir à un tiers pour prendre sa vie en main peut laisser songeur. D'où vient donc ce besoin ? « Les gens ont peu de monde avec qui construire quelque chose », analyse Isabelle de Penfentenyo, coach du Sens de la vie, qui reçoit ses clients au très chic Café Marly, en plein coeur du Louvre à Paris. « Avant, les parents fixaient des cadres pour nous. Aujourd'hui, les gens veulent essayer de vivre selon leurs propres valeurs », poursuit cette quadragénaire devenue coach après son divorce. Pour le sociologue Alain Ehrenberg, nettement plus critique, le succès du coaching s'explique par l'incapacité des individus à construire leur vie en l'absence d'interdits. « Le coaching n'est qu'une des multiples formules inventées depuis vingt ans pour accompagner les individus dans leur parcours fragile. Il révèle le besoin d'un accompagnement permanent dans une société où chacun s'efforce désespérément de devenir lui-même », tranche l'auteur de « La fatigue d'être soi » (1).

Lever les blocages et les inhibitions qui empoisonnent la vie en l'espace de quelques séances, dont le nombre est fixé à l'avance : telle est l'action réparatrice du coaching. Pour cela, nul besoin d'aller fouiller dans l'histoire personnelle et souvent douloureuse du sujet, comme chez les psys. Un regard sur sa situation actuelle et sur le projet qu'il ne parvient pas à mettre en oeuvre suffit. Conséquence : le coaching devient de plus en plus une alternative au redouté divan. Arnaud, 36 ans, musicologue de formation, a ainsi laissé tomber sa thérapie deux mois après avoir rencontré son coach. « Le psy se fichait bien de savoir ce que j'allais devenir d'ici à deux ans. Le côté plus affectif du coach m'a plu », indique celui qui enchaînait hier les petits boulots. « Avec lui, en listant mes points forts et mes points faibles, je suis arrivé à la conclusion que j'avais des qualités d'écoute que je souhaitais exploiter » , ajoute Arnaud, devenu... coach.

Les sectes utilisent le coaching

Flairant l'aubaine d'un marché porteur, sinon lucratif, certains psys n'hésitent d'ailleurs plus à prendre la casquette de coach. Ainsi Patrick Havard-Duclos, psychanalyste devenu coach il y a trois ans, propose-t-il à certains de ses patients des séances de coaching. « L'analyse ne constitue plus la demande prioritaire des gens. Les gens recherchent des réponses de plus en plus rapides, qui soient adaptées à leur besoin immédiat sans qu'ils aient besoin d'aller chercher les causes », explique-t-il.

Mais, dans son ensemble, le monde psy reste très critique à l'égard du coaching. « Le coach traite le symptôme, mais sans s'attaquer à sa source, prévient Anne-Solenn Le Bihan, psychologue praticienne à l'hôpital Albert-Chenevier de Créteil. Il fait fi de l'élaboration psychique, de nos histoires, de nos résonances. Or un symptôme peut masquer des troubles psychologiques sérieux : intolérance à la frustration, peur panique de l'engagement, incapacité de changer de travail. Comment savoir qu'il s'agit bien d'une pathologie ? Ce n'est pas le métier des coaches. »

Autre risque : celui de la dépendance des coachés à l'égard de leur coach. Catherine Golias, à Grenoble, a décidé de ne plus prendre les coups de fil après 19 heures. « Sinon, cela peut aller loin. Au début, il m'est arrivé qu'une coachée m'appelle à 20 h 30 parce qu'elle n'avait pas réussi à se mêler à un groupe pendant la pause-café du matin... »

Mais tous ne se montrent pas aussi scrupuleux. Le coaching offre un attrait évident pour certains mouvements sectaires, qui trouvent en lui le moyen d'atteindre les couches aisées de la population. « On sait qu'un institut de formation basé en Suisse a été lié à l'ordre de Raël, indique-t-on à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. La manipulation des consciences peut se faire assez facilement par le moyen de la PNL. » Le danger est d'autant plus grand qu'aucun cadre ne réglemente jusqu'à présent la pratique du coaching. Quant aux coaches eux-mêmes, ils reçoivent leur formation de base d'autres coaches... quand ils en reçoivent une.

La solution réside-t-elle dans la création d'un ordre professionnel, à l'image de celui des médecins ou des avocats ? Peut-être. Mais l'idée est loin de faire l'unanimité dans la profession, qui juge s'être suffisamment organisée autour de deux structures : la Société française de coaching, qui compte près de 600 membres, et l'Institut français de coaching. Les coaches agissent donc en ordre dispersé. Leur seul gage de sérieux ? Des codes et chartes aux termes plus ou moins flous. La Société française de coaching interdit ainsi à ses coaches d'« exercer tout abus de confiance », et rend obligatoire, pour les membres, un « lieu de supervision », chargé de trancher les litiges. De son côte, l'Institut Coach'Up, qui forme 150 à 200 coaches par an, dont 65 % pour une clientèle privée, menace de poursuites pénales, dans sa charte, tout membre appartenant à une secte. Un début, certes. Mais les gourous modernes et autres charlatans auront-ils cette éthique ?

Le « love coaching » au secours des coeurs solitaires
Pour trouver l'âme soeur, plus besoin de passer par une agence matrimoniale ou de multiplier les rencontres sur l'Internet. Le love coaching entend lever les obstacles empêchant les célibataires de se ranger. « Des obstacles à la fois extérieurs, quand la personne reste chez elle à déprimer, mais aussi intérieurs, car fondés sur des croyances limitantes : tous les hommes sont méchants, le prince charmant existe et je passe ma vie à l'attendre, toutes mes relations sont vouées à l'échec », explique Sophie Soria, du cabinet Le Coaching éthique, qui lancera le 17 septembre un Café Love Coaching (1), à Paris. Son principe ? Réunir une vingtaine de célibataires dans un restaurant du 7e arrondissement, pour une conférence sur l'amour : « Renoncer au partenaire idéal » ou « Renaître après un divorce ». Après une séance gratuite, les intéressés pourront poursuivre leur autoexamen en séance individuelle.

Pour Douce Albertini, pas besoin de théorie ni de publicité. Cette love coach, installée à Auteuil, à Paris, choisit elle-même les célibataires qu'elle souhaite accompagner à partir d'un mémoire où les candidats au mariage racontent leur vie et leurs déboires sentimentaux. Les heureux élus sont ensuite pris en charge. « Je dresse un état des lieux de ce qui va et ne va pas, indique cette Corse volcanique, qui a fait ses armes dans une agence matrimoniale. Je les prends à bras-le-corps et ensuite je les sculpte. Si besoin, je les emmène se faire relooker, ou je vais chez eux voir comment ils vivent. » Ensuite, la coach consulte son carnet d'adresses, ou surfe sur un site de rencontres pour trouver à son « complice » le compagnon idéal... Le tempérament de feu et le franc-parler de Douce ont séduit Maud, la soixantaine, séparée de son concubin. « Douce m'a montré que je vivais sur des a priori. J'accordais trop d'importance au physique, j'étais trop susceptible, je ne me livrais pas. Elle a réussi à me modeler différemment », raconte cette mère de deux enfants. Après un an de conseils, sa coach lui a trouvé un compagnon, résidant dans le Midi. « Comment l'a-t-elle rencontré ? Je ne lui ai pas demandé. Mais il correspond à ce que j'attendais », assure-t-elle.

Parmi les clients de Douce, affirme celle-ci, des stars du show-biz ou des affaires. Mais l'amour, hélas, a un prix : 7 400 euros pour neuf mois A. S.


1. Ed. Odile Jacob.


 
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