Fabrique d'état de faiblesse

(Source : BULLES, n°64, 4ème trimestre 1999

Une approche à la française de la notion de "secte"
 
Fin 95, l'Assemblée Nationale rendait public (sous la dénomination de rapport Gest et Guyard) le rapport de la deuxième commission qu'elle avait mise en place et, fait nouveau, elle donnait une liste des sectes en France avec un palmarès de dangerosité et d'importance numérique.

Ce second rapport devait obtenir un écho beaucoup plus important que celui publié dix ans plus tôt (sous la dénomination de rapport Vivien), qui n'avait pas « bénéficié » de la tragique publicité concomitante des assassinats du Vercors.

Le même phénomène était décrit, mais le second rapport a rencontré, avec ce drame, ce que l'on pourrait appeler la ligne de partage des eaux entre la rationalité philosophique théorique d'un côté (le rapport parlementaire), et l'irrationnel magico-symbolique à l'ouvre de l'autre.

Avec le drame du Vercors, qui faisait suite à une série impressionnante de drames semblables dans d'autres pays, il était devenu évident pour tout le monde en France que les sectes pouvaient générer des victimes parmi leurs membres, que ces victimes le soient d'un suicide ou d'un assassinat ; mais à cette occasion les familles de certains des adeptes brisaient le silence et clamaient leur souffrance et leur désorientation, pour parler, au delà du crime horrible, du traumatisme ordinaire et continu qui avait découlé pour elles de la simple vie quotidienne auprès d'un adepte.

On «découvrait» alors avec effarement que la secte pouvait avoir à son actif plusieurs victimes :

- d'une part les malheureuses personnes qui avaient perdu la vie au nom d'un pitoyable « transit »,

- et d'autre part les familles victimes tout d'abord de la secte qui les avait privées de tout voisinage avec leur proche devenus étrangers durant des années , et  victimes ensuite d'un deuil objectif aussi barbare que soudain.

Cette prise de conscience permettait, qu'on le veuille ou non, de comprendre qu'il y a trois façons d'aborder le phénomène sectaire :
- Soit considérer qu'il s'agit d'un phénomène religieux relevant à ce titre de la liberté de croyance telle qu'elle a été édictée en « creux » par la loi de séparation de l'Église et de l'État du 9 décembre 1905 qui pose le principe de laïcité de l'État. (C'est l'erreur dans laquelle est tombée inutilement la Cour d'Appel de Lyon à l'occasion du procès de la Scientologie). Dans cette perspective et au nom de la laïcité qui les ignore, certains voudront que l'on s'interdise de parler de façon critique des sectes.

- Soit considérer que seules les activités pénalement répréhensibles de certains mouvements doivent attirer sur eux l'attention, et l'on parle alors de sectes dangereuses, mais force est de constater d'une part que la sanction n'intervient, au mieux, qu'après la commission du fait condamnable, ce qui n'est pas satisfaisant et d'autre part que cela revient à écarter la partie essentielle et diffuse de la nuisance sectaire qui échappe à la sphère pénale.

- Soit enfin considérer les sectes sous l'éclairage des droits en général et considérer qu'elles violent non seulement les principes des libertés fondamentales par des pratiques non répréhensibles pénalement, pourtant attentatoires à l'individu, mais qu'elles génèrent aussi un nombre infini de situations de souffrance pour l'individu et pour chacun des membres du cadre familial.

Sous ce dernier point de vue, le fonctionnement sectaire réalise en réalité une véritable fabrique d'état de faiblesse, qui échappait par mécon-naissance, jusqu'à ces derniers temps, à toute approche.

La dangerosité principale, au-delà des infractions pénales classiques qui ne se rencontrent heureusement que dans un petit nombre de sectes, réside en effet dans ce mécanisme de manipulation mentale qui définit le fonctionnement sectaire comme constituant un pouvoir absolu.

Les sectes, quelles que soient leur forme, s'ébattent dans un environnement juridique de libertés républicaines posées par divers textes fondateurs.

Elles utilisent cette liberté comme un écran de fumée et pour réaliser véritablement une « structure de soumission ».

Le fonctionnement sectaire est en effet une expérience totalitaire réussie puisque l'adepte abdique son libre arbitre au profit de la volonté du groupe.

Si la compréhension de ce mécanisme totalitaire demande obligatoirement de pénétrer le contenu sectaire, ce qui est rendu difficile par le caractère « initiatique » et crypté qui s'y attache, il est plus difficile encore de saisir la secte dans sa dimension de monde clos au sein de la société, se coupant des règles sociales et se nourrissant néanmoins du tissu social.

Indépendamment des infractions pénales qu'elle peut commettre, cette structure de soumission et d'assujettissement constitue un danger pour les libertés fondamentales.

L'approche du phénomène doit donc réaliser un retournement psychologique.

La secte doit être envisagée à partir d'un point de vue qui prenne en compte, selon les critères de la victimologie actuelle, les diverses catégories de victimes sectaires (adepte, enfant, famille, société), à défaut de quoi la dangerosité de la secte ne peut être comprise.

La dangerosité principale de la secte, au-delà des infractions pénales clas-siques, réside dans ce mécanisme de manipulation mentale qui permet de définir le fonctionnement sectaire comme constituant un pouvoir absolu, ce que la loi du 18 décembre 98 se propose implicitement de cerner et de combattre pour ce qui est de l'aspect éducatif, la prise de conscience étant enfin faite que la secte désagrège le citoyen.

L'article 313-4 du Code pénal concernant les abus de situation de faiblesse, rappelons-le, s'applique presque exactement à la situation sectaire et permet de comprendre pourquoi « l'ignorance » que génère la secte chez ses adeptes et la mise en état de faiblesse qui y est liée doivent être combattues ; le fonctionnement sectaire constitue un abus de ces états de faiblesse et d'ignorance :

« l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, (on pourrait rajouter pour viser les sectes : à une privation de soins, à des pratiques et techniques volontairement affaiblissantes) est apparent ou connue de son auteur, (et, pourrait-on ajouter, ou provoquée par lui) pour obliger ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 2 500 000 F d'amende. »
L'article 319-9 qui prévoit de plus que « les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement... » permet de poursuivre la secte elle-même dans la mesure où elle a opté pour une forme juridique déclarée.

Le fonctionnement sectaire réalise une véritable fabrique d'état de faiblesse, qui échappait par méconnaissance et pour diverses raisons encore, jusqu'à ces derniers temps, à toute approche du monde judiciaire.

C'est dans cette dimension de « fabrique de faiblesse » que réside peut être l'action la plus insidieuse qui nous permet de donner provisoirement de la secte la définition suivante :

La secte est une structure dogmatique de soumission fermée sur elle-même (soumission méthodique imposée ou volontaire à un chef présent ou virtuel) dans laquelle l'individu perd sa dimension de personne et de citoyen et régresse vers une dépendance psychologique, intellectuelle, émotionnelle et parfois physique à une autorité absolue non contrôlée qui cumule à la fois le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, dans la perspective ouverte ou cachée d'une fragmentation des États de droit en un réseau hégémonique de groupuscules totalitaires.



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