Être enfant, être parent dans une secte ?

(Source: Bulletin de liaison du CCMM de mai 1991)

 

Réfléchir à l'enfant élevé dans une secte amène immédiatement à se poser la question de la parentalité.

 Être parent dans une secte, cela est-il possible et comment? Et, tout d'abord, comment sont nés ces enfants ? Du désir spontané de leur parents ou de l'obéissance aux ordres de la secte ? De qui donc sont-ils les fils et les filles ? Quel projet repose sur eux ? Donc, quelle transmission leur sera-t-elle faite ?

 On évoque là, bien sûr, le degré de dépendance des parents, que cette dépendance soit imposée nettement par la secte ou recherchée par les parents eux-mêmes selon une exigence intérieure qui colmate leur angoisse et leur peur devant l'existence.

 Un peut imaginer que nombre de ces jeunes parents ont en effet besoin d'un "contenant": la secte joue ce rôle et leur donne peut-être ainsi l'étayage nécessaire pour pouvoir accueillir un enfant.

 Mais ce qui semblera ainsi gagné dans un premier temps, c'est-à-dire ce qui semblera aller dans le sens d'un progrès, d'une évolution positive, risque de tourner court si l'enfant est considéré comme appartenant d'abord à la secte.

 Dans ce cas, en effet, la relation d'emprise sectaire aura tendance à s'étendre sur lui le plus rapidement possible et la qualité de la relation parentale - et d'abord maternelle -. permise, sera forcément limitée.

 Sans même parler de séparations précoces et traumatisantes , quelle spontanéité vivante dans la relation à son enfant, une mère peut-elle avoir, au sein d'un organisme aussi rigide qu'une secte, même si cette rigidité est camouflée par une apparence fraternelle ? Quelle latitude lui est laissée de s'abandonner à son amour maternel, à cette "préoccupation maternelle primaire" dont Freud et Winnicott ont montré combien elle était fondamentale pour le bon développement de l'enfant ?

 Les risques de voir s'établir une relation "d'absence", carentielle, désaffectée et frustrante, basée sur la défaillance de l'environnement maternel semblent grands.

 Un peut également s'interroger sur la manière dont l'enfant réagira lors des grands remaniements de l'adolescence. Une éducation sans doute lourdement univoque ne favorisera en rien son ouverture au monde et son insertion future. Celles-ci ne pourront se réaliser que dans la rupture entraînant alors culpabilité et dépression, cette dernière amplement préparée par les carences, voire les traumatismes, de la première enfance.

 Ces hypothèses pessimistes peuvent malheureusement être vérifiées par les témoignages apportées au CCMM sur l'enfance dans les sectes. Il convient en conclusion d'émettre une note chargée d'espoir. L'enfant conditionné par une secte reste porteur de forces réactionnelles, accessible à des influences réparatrices et capable un jour de rejeter consciemment ce qui l'a opprimé.


  Jeunes enfants dans les sectes

La condition des jeunes enfants entraînés dans les sectes est fonction du degré d'intégration et de dépendance, du modèle de vie appliqué et de la séparation ou non du couple parental. Ce bref examen concerne les enfants de la naissance à la pré-adolescence.
 

Vie affective

On sait l'importance primordiale de la qualité relationnelle entre la mère et le bébé pendant les deux premières années de la vie. Ces rapports affectifs permettent le développement psychologique, dès cet âge. Lorsqu'ils ne peuvent s'établir normalement, des troubles de santé se manifestent: régression du développement psychomoteur, apathie, refus d'aliments, etc.

 Dans certaines sectes, les carences affectives résultent de la privation de la mère à l'enfant, ordonnée autoritairement. Exemples:

Cette double imposition - se détacher tôt de l'enfant, l'admettre comme propriété collective d'un groupe - entre dans le calcul sordide du gourou : avoir des parents disponibles à temps plein pour contribuer à sa fortune. On la trouve dans bien d'autre sectes.

 Des séparations momentanées, des absences répétitives de jour comme de nuit (la mère dévote de Krishna laissant seul son bébé à 3h du matin pour aller à l'office de prières), la dissociation parentale (le père "Enfant de Dieu " envoyé en mission à l'étranger) provoquent des perturbations affectives - sentiments d'insécurité, de peur de frustration - à l'origine de troubles maladifs.

   Vie physique

Le développement physique de l'enfant est tributaire de l'alimentation et des soins corporels et thérapeutiques qu'on lui donne.

Alimentation

Lorsque des régimes alimentaires sont prescrits aux adultes adeptes des sectes, il est quasi-automatique de trouver une nourriture appauvrie chez leurs enfants. Prétendument sains, naturels, purificateurs, etc..., les régimes suivis, souvent assortis de jeûnes, peuvent être désastreusement carencés : végétarisme trop strict, végétalisme (interdiction des oeufs, laitages et autres produits laitiers), crudivorisme, macrobiotique et autres systèmes nutritionnels aberrants.

 Des jeunes enfants "ensectés" subissent de véritables sévices physiques quand ils sont privés d'une nourriture adaptée, suffisante et équilibrée. Soumis au végétalisme - dans les sectes prônant le naturo-pondéral, quand ce n'est pas arrêt de croissance de longue durée du fait de malnutrition protidique ; et sont fréquemment sujets à l'hypotonie musculaire, la décalcification, l'asthénie extrême, l'anorexie.

 Chez les enfants macrobiotes, le rachitisme est observé en raison des déficits en calcium, fer et vitamines D et B12, ainsi que l'anorexie ; tout bébés, en cas d'absence d'allaitement maternel, ils reçoivent des biberons de céréales, légumineuses et eau. Et pour être rendus plus "yang", ils doivent endurer "une faim modérée et un peu de soif pendant la première année".

Soins

Les sectes ont des conceptions particulières sur la genèse des maladies ; elles seraient la conséquence d'un état mental ou spirituel impur, ou d'un mode de vie déséquilibrant, ou des rapports avec des personnes ou des occupations pernicieusement "négatives", ces raisons et bien d'autres étant souvent conjuguées. La malédiction divine et l'oeuvre satanique ont une grosse part de responsabilités, mais le vrai coupable est toujours le malade.

 Les jeunes enfants ne demandent qu'à ne plus souffrir quand ils sont malades. Or, les techniques se soins en vigueur dans certaines sectes sont bien étrangères à leurs maux :

Qu'il s'agisse d'une absence de traitement ou de l'application d'un traitement inapproprié ou illusoire, on remarquera que les jeunes enfants sont des victimes faciles parce qu'ils ne peuvent défendre eux-mêmes leur capital santé (visites médicales régulières, vaccinations, maladies infantiles, etc).

Vie éducative

Le premier cycle scolaire - période dite "de latence" en psychologie, qui va grosso modo de sept à dix ans - est d'un intérêt crucial. Au contact des instances socio-culturelles, l'enfant engrange des acquisitions intellectuelles et sociales. Il entre à la grande école, est confronté et s'intègre à un groupe d'enfants dont les "différences" ne sont pas ressenties comme obstacles, et suit l'enseignement souple et ouvert d'un adulte, la maîtresse, qui s'occupe de tout et de chacun, sans distinctions d'origine, de sexe et de religion.

 Dans un milieu sectaire, fermé sur lui-même, l'enfant ne reçoit que des données rigides et restrictives, et ne perçoit qu'un monde sans horizon. Sa marginalisation est totale s'il vit dans la secte: ce qui est extérieur à elle, et dont il ne connaît quasiment rien, lui est d'ailleurs représenté comme mauvais et dangereux.

 Quelques sectes ont créé des écoles pour des enfants de leurs adeptes, prétextant que l'enseignement laïc leur serait préjudiciable.

 L'AICK - qui prétend que l'éducation moderne, irréligieuse, fait "naître un nombre croissant de criminels sinon d'inadaptés" - possède son école védique de la Nouvelle Mayapuru où "l'on insiste tout au long de l'éducation sur l'apprentissage de la vie spirituelle, à travers l'écoute et le chant des gloires de Krishna, la Personne souveraine".

 Pour Shri Mataji, "il y a une grande différence entre une École Sahaja Yoga et les autres écoles (...). Notre école apprend la vraie religion (...). La pure Connaissance de Shri Vidya ou la pure Connaissance... sera donnée à tout étudiant de l'école, dès son plus jeune âge. Cette dernière école établie à Dharamsala (Inde) comprend de jeunes enfants européens tombés sous la griffe de la secte avec l'assentiment irréfléchi de leurs parents désabusés.

 Dans les écoles de ce type, la pensée de l'enfant est dirigée constamment vers un pôle : le royaume magique du gourou et des objets qu'il met en scène. Or si l'enfant d'âge pré-scolaire a des activités essentiellement ludiques, parvenu à l'âge scolaire il abandonne peu à peu la pensée magique pour accéder à la pensée logique, maîtriser les systèmes symboliques - lecture, écriture, calcul - et les opérations concrètes. Ce passage obligé vers l'adolescence n'a pas la faveur des sectes qui préfèrent maintenir l'enfant dans un microcosme merveilleux : le petit monde fantasmagorique des dieux bons et méchants, des extra-terrestres qui ont figure humaine, etc.

 L'intégration du jeune enfant à la société est empêchée, car les rapports qu'on lui autorise avec elle sont limités et empreints, par persuasion préalable, de suspicion et de crainte. Les Témoins de Jéhovah fournissent l'exemple classique : leurs enfants ne doivent pas rencontrer des profanes, "ennemis de la vérité", en dehors des heures d'école, mais peuvent fréquenter des Témoins de Jéhovah connus de leurs parents Témoins de Jéhovah, qui leur raconteront des histoires de Témoins de Jéhovah.

 L'exclusion des autres qui ne sont pas du même bord n'a d'autres raison que celle du gourou : il sait que la marginalisation sociale d'un jeune enfant contribue à sa future dépendance dans son système.

 

  
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