Suisse

Sectes, comment y échapper

(Source: Construire (l'Hebdomadaire de Migros) 44/1999 par Elisabeth Gilles

Du recrutement à la dépendance, "Construire" analyse le fonctionnement complexe des sectes et fait le point sur les moyens de lutte existants

C'était des gens sans histoire." Il était chef de service aux télécoms, elle, enseignante. Leurs enfants, un garçon et une fille, n'avaient pas de problèmes particuliers, mon neveu était même un élève brillant": Rosemarie Jaton parle de son frère et de sa famille, tous morts il y a cinq ans à Cheiry, dans le drame de l'Organisation du Temple solaire (OTS). Elle aimerait bien passer à autre chose, Rosemarie, mais "il y a encore des zones d'ombre dans cette sinistre affaire. Le fric, toujours le fric. Il y en a encore qui en profitent", affirme-t-elle.

Une famille normale, dans un pays paisible, périt de manière tragique pour avoir mis sa foi dans de vieilles histoires de templiers.

Personne n'est-il donc à l'abri?

"Il n'y a aucune typologie de l'adepte potentiel, explique Jean-Marie Abgrall, psychiatre, criminologue et spécialiste français des sectes. Sur le marché sectaire, on trouve des produits pour tous les goûts: des new agers exaltés aux fanatiques du développement personnel, des extraterrestres, du templisme ou de tout ce que vous voulez. Les cercles qui fonctionnent dans la mouvance des Eglises traditionnelles ne sont pas en reste et sont potentiellement aussi dangereux que les autres. "

Le recrutement se fait grosso modo sur deux modes: intellectuel, pour ceux qui sont en recherche philosophique ou spirituelle. Affectif pour ceux qui sont en rupture sociale, professionnelle, scolaire, psychologique, etc. A ceux-là, fragilisés et en proie à un sentiment de solitude, le groupe promet un réconfort.

N'importe qui est susceptible de se faire embarquer. Et pas seulement dans des histoires exotiques.

Mais tout de même, comment peut-on gober des promesses aussi loufoques que celle de "réaliser les différents passages vibratoires de notre planète" ou "d'être transporté dans des mondes invisibles" grâce à des séminaires? C'est qu'on ne tombe pas dedans jusqu'au cou du jour au lendemain. Et qu'en plus, toutes les sectes ont en commun de proposer de faire partie "des élus".

Pour Jean-Marie Abgrall, le processus se déroule en trois temps: "On vous dit d'abord que si vous faites partie du groupe, vous serez supérieur aux autres. Vous allez acquérir des connaissances, du sentiment, du pouvoir. Vous serez plus performant socialement, sexuellement, intellectuellement, etc. Les autres, ceux qui sont à l'extérieur, sont "moins". Cela fait, on vous propose une technique. Ensuite, on vous explique que cette technique vient d'un enseignement révélé par une tradition initiatique. Ce n'est qu'en fin de compte qu'on vous vend la tradition et que vous finissez par gober n'importe quoi."

Pour avoir réussi à sortir sa fille d'un mouvement proche d'une Eglise tout ce qu'il y a de plus officielle, une mère de famille connaît bien la question: "Du point de vue de notre fille, sur qui on a exercé un véritable terrorisme spirituel, nous étions devenus des démons. De santé fragile, elle a été happée dans ce mouvement par des promesses de guérison, censée être obtenue à grand renfort d'exorcismes. Nous avons perdu le contact avec elle pendant trois ans. Mais tout va bien maintenant." Ce qui n'empêche pas cette femme, plutôt énergique, de poursuivre son combat: "J'ai tiré d'affaire dix-sept jeunes, embarqués dans des groupes qui dérivent parfois vers un méli-mélo de sexe et de spiritualité. Je me documente, j'assiste à des cérémonies, je fais connaissance avec les adhérents. Et je m'en prends aux responsables. Le jeune, lui, est déjà l'objet de pressions de la part des autres adeptes, inutile d'en rajouter. Ceux-ci l'isolent petit à petit quand ils voient qu'on s'intéresse à lui, et il finit par partir de lui-même. Quant à déposer plainte, c'est le plus souvent sans suite. Et en plus, on a le groupe et le jeune contre soi." De sa longue expérience du "terrain", elle conclut que "médiation et dialogue, qui ne sont pas forcément synonymes de tolérance, sont les moins mauvaises solutions. Autant les mouvements qui portent atteinte à la dignité humaine et exploitent financièrement leurs membres doivent être combattus sans états d'âme, autant ceux qui se contentent de "distribuer la lumière" sans demander de cotisation ne doivent pas être harcelés."

Pas de paranoïa!

Les signes annonciateurs qu'un proche est en train de s'embarquer dans un processus dont il peut perdre le contrôle n'existent pas: "Parler en ces termes, ce serait tomber dans la paranoïa qui consiste à voir des sectes partout, relève Jean-Marie Abgrall. Ce qui existe en revanche, ce sont les signes que la personne est prise dans le système: modification des emplois du temps, de l'alimentation, des vêtements, perte financière, dépendance au groupe. Tout cela se voit."

Dépendance, obéissance, adhésion à des certitudes absolues - totalitarisme en un mot - et secret: voilà ce que dénonce Rosemarie Jaton. "Dans le cas de l'OTS, explique-t-elle, le mensonge et la dissimulation étaient au service d'escrocs minables cherchant à réaliser un rêve de puissance. Il fallait signer un texte stipulant qu'on s'engageait à ne pas révéler les activités internes. Et bien sûr, verser son salaire qui partait sur le compte de diverses sociétés-écrans. Toutes choses obtenues de personnes qui n'étaient plus en mesure de réagir, à force d'être affaiblies physiquement par un mode de vie insensé, alimentation soi-disant saine, sommeil interrompu, etc."

Santé, développement personnel, éducation des enfants, trois passerelles par lesquelles, selon Jean-Marie Abgrall, on accède aux sectes: "avec ces trois domaines, vous touchez à peu près tout le recrutement d'anxiété", estime-t-il.

Mais, pour une affaire tragique, combien de groupes inoffensifs? Et comment empêcher des adultes d'adhérer aux idées et au mode de vie de leur choix? "C'est bien là tout le problème", répond Jean-Marie Abgrall.

Ce qui est en cause, ce sont les questions de limite et de transparence. Vous pouvez signer un engagement à un mode de vie si vous savez ce qu'il recouvre.

Or, la plupart des sectes n'ont pas un fonctionnement transparent. En adhérant à un groupe donné, vous ignorez le plus souvent ce qu'on finira par exiger de vous.

Quant à la manipulation mentale, elle est inhérente au fonctionnement de notre société, ne serait-ce que dans l'éducation ou la publicité. Il est donc illusoire de vouloir l'interdire. Ce qui doit être contrôlé, c'est le niveau au-delà duquel un individu n'est plus en mesure de mettre en place ses propres mécanismes de défense.

Tout comportement qui consiste à exercer une contrainte pour obtenir un consentement non éclairé est répréhensible. Ce moment à partir duquel la manipulation l'emporte sur la libre décision est extrêmement difficile à mettre en évidence. Il pose aussi le problème de la liberté individuelle face aux libertés publiques. D'où les commissions, discussions, débats qui ont lieu actuellement en Suisse autour d'un sujet plus complexe qu'il n'en a l'air.



Comment discerner les sectes ?

Home Page
Sectes = danger !