La dérive sectaire

(Source : Le Journal des Psychologues n° 174 - Février 2000)
Dossier : Les sectes : Un danger pour la profession

Article de Anne Fournier, Agrégée d'histoire et diplômée de l'Institut d'études politiques. Paris.
Expert auprès de la Mission Interministerielle de Lutte contre les Sectes.
Auteur, en collaboration avec Michel Monroy de La Dérive Sectaire, PUF, 1999.

 

Avant propos
Les groupes sectaires se développent dans les failles de notre société
Quelques erreurs répandues à propos du phénomène sectaire

Un phénomène religieux ?
L'adepte victime?

Qu'est-ce que la dérive sectaire ?

Définition
Diversité du phénomène
Le groupe sectaire type

L'embrigadement

Les choix
La séduction
Le paradoxe de la liberté entraînant la soumission
La déstabilisation
La reconstruction

Des groupes totalitaires
Notes


Les sectes n'ont jamais été si puissantes. Dans un monde complexe et brutal, elles proposent le salut
" clés en main ". Suivant leur nature, elles représentent des dangers divers pour le citoyen comme pour la communauté sociale. Il importe donc de mieux en connaître les mécanismes d'embrigadement.

Avant Propos

En raison de certains aspects dramatiques, le phénomène sectaire est à la fois très connu et mal connu. L'inquiétude légitimement suscitée peut amener à des simplifications rédutrices qui rendent mal compte de sa complexité et de sa diversité.

Les groupes sectaires se développent dans les failles de notre société

Le terreau des sectes, ce sont les vides de notre société, I'absence de lisibilité, I'effondrement des grands systèmes idéologiques, la peur de l'avenir, la difficulté de comprendre ce qui nous arrive, individuellement et collectivement. Dans un monde perçu comme indifférent, quelle place trouver pour une démarche indi viduelle valorisante ?

Quel type de démarche collective est-il possible alors qu'aucun des systèmes politiques, idéologiques ou religieux ne semble offrir de réponse autre que défensive ?

Or, les attentes existent d'une société moins brutale, plus conviviale, et les refus s'expriment d'un monde dominé par la conjoncture économique, où l'humain compte pour si peu.

Ces attentes, ces refus sont utilisés par les groupes sectaires et détournés à leur seul profit: en échange de pseudo-réponses, une vraie dépendance et une allégeance sans failles.

Quelques erreurs répandues à propos du phénomène sectaire

Un phénomène religieux ?

Une confusion s'est installée au tour du terme " secte ". Comme certains tentent de le faire croire, sectes d'autrefois et sectes d'au jourd'hui sont-elles une seule et même chose ? L'étymologie même prête à interprétation ou à confusion: s'agit-il d'un groupe en rupture (secare) ou d'un groupe qui suit - sous entendu son leader- (sequi?)

NOUS AVONS AFFAIRE A UN PHÉNOMENE D UNE AUTRE NATURE QUE LES SECTES D AUTREFOIS

Ce que l'on constate dans l'histoire, c'est la présence constante de ces groupes en rupture vis-à vis de la société, vis-à-vis aussi de la religlon officielle. Pourtant aujourd'hui, cette approche n'est plus adéquate. Elle masque sous un couvert religieux la réalité de certains groupes qui ressemblent plus à des multinationales détournant de gigantesques profits qu'à des groupes religieux. Les rapports parlementaires (France, 1983, 1996 et 1999; Belgique, 1997; Suisse, 1999), les commissions d'enquête diligentées par certains gouvernements (Allemagne) montrent à la fois l'importance du phénomène et l'inquiétude des États démocratiques en Europe. Ce n'est plus dans le domaine du religieux que se déroulent les controverses, mais dans la sphère du politique et du judiciaire, ce qui est nouveau. Et cela ne tient pas seulement à la laïcisation de nos États, mais au fait que nous avons affaire à un phénomène d'une autre nature que les sectes d'autrefois.

Aujourd'hui, la réalité des sectes, ce sont de par le monde des millions d'adeptes largement exploités, dont la marge de liberté individuelle a été restreinte par des techniques psychologiques très modernes détournées de leur finalité d'origine. Le phénomène sectaire aujourd'hui représente une puissance inégalée - I'un des groupes les plus puissants a un budget comparable à celui de la Belgique. L'extension et les ramifications politiques de certains groupes couvrent des continents, voire l'ensemble du monde. Leur poids dans le monde des entre prises, des banques, des médias, leurs écoles et universités, leurs liens politiques - voire leurs partis - en font des forces redoutables: or, leur fonctionnement est financièrement obscur, leurs dirigeants autoproclamés ou cooptés. En même temps, et c'est la difficulté, pullulent des micro groupes, de quelques personnes à quelques dizaines, inconnus et repérés lorsqu'une catastrophe intervient comme la maltraitance ou la mort d'un enfant. Le phénomène n'a donc plus de rapports avec la sociologie religieuse.

L'adepte victime ?

Les erreurs les plus graves concernent les adeptes, soit qu'on les considère comme des objets passifs et naïfs magiquement hypnotisés par un criminel, soit que l'on nie la réalité des mécanismes d'embrigadement et la construction subtile de la dépendance au sein de ces groupes. La construction d'une allégeance inconditionnelle requiert une participation active des adeptes, explicable par le fait que le groupe sectaire propose des réponses à des aspirations et à des révoltes largement répandues.

Ce ne sont pas non plus de " doux dingues ". Cette appréciation gentiment péjorative se fonde sur des pratiques, un mode de vie, une apparence " bizarre ". Mais certains reprennent cette version pathologique du phénomène sectaire. Pour eux, le gourou est un être délirant et les adeptes des individus psychologiquement fragiles que la secte achève de déstabiliser. S'appuyant sur la nosographie psychiatrique ou sur la psychodynamique, ils affirment pouvoir tout interpréter par une seule grille de lecture: l'aliénation mentale. Certes, certains gourous, au bout de leur par cours, et d'ailleurs avec l'aide très efficace de leurs adeptes, sombrent dans des comportements pathologiques. Mais est-ce vraiment leur pathologie qui en a fait des gourous ? Et dans ce cas, pour quoi une telle nouveauté et extension du phénomène sectaire ?

Est-ce que la pathologie mentale serait devenue contagieuse ? Nous ne nions pas les souffrances psychologiques très importantes des adeptes récemment sortis d'un groupe sectaire. Peut-on dire pour autant que tous les adeptes sont atteints de troubles psychologiques à leur entrée ? Cette vision du phénomène sec taire a l'inconvénient majeur de dédouaner: l'adepte n'est pas responsable de son adhésion et de ses actes dans le groupe, puisqu'il était fragile, voire per turbé. Le groupe est innocenté, puisque dirigé par un fou guidant des faibles. La société ne ferait alors que subir les conséquences malheureuses de la maladie de certains de ses membres, mais n'est en aucun cas réinterrogée.sur son fonctionnement. Enfin et surtout, cela permet à tout un chacun de se croire à l'abri. Or, l'embrigadement, la manipulation nous concernent tous. Nous sommes tous manipulables.

... UNE ALLÉGEANCE INCONDITIONNELLE AU SEIN D UN ISOLAT CULTUREL AUTORÉFÉRENT

 

Qu'est-ce que la dérive sectaire ?

Définition

C'est la construction d'une allégeance inconditionnelle au sein d'un isolat culturel autoréférent, à caractère expansif dans différents domaines de la vie individuelle et sociale. Toutes les autres caractéristiques décrites à propos des groupes sectaires nous paraissent être soit des conséquences quasi inévitables, soit des circonstances favori santes, soit des ingrédients indis pensables à la construction de cette mécanique groupale. Tout groupe qui se constitue ou évolue vers ce modèle engendre inévitablement des effets regrettables et parfois dramatiques évoqués plus haut.

Diversité du phénomène

Les différences numériques sont les plus évidentes, du micro groupe réuni autour d'un leader vivant à la multinationale struc turée comme une entreprise, voire un État.

Les différences évolutives sont capitales en ce qu'elles entraî nent des modalités hiérarchiques et organisationnelles rendant difficilement comparables certains groupes ou le même groupe à différentes périodes de son histoire.

Les différences de risques encourus par les adeptes et la communauté sociale sont sans doute ce qui illustre le mieux la diversité du phénomène sectaire. Chaque groupe véhicule prioritairement un ou plusieurs types de risques au point qu'il serait déraison nable de les faire figurer sur la même échelle de gravité. Tel microgroupe potentiellement suicidaire n'entraînera aucun risque pour l'organisation démocratique d'un pays, tel autre - anodin pour la santé des adeptes - se révélera dangereux pour les libertés démocratiques.

Par contre, il est un domaine où la méconnaissance de la diversité des situations peut entraîner des attitudes inadaptées, c'est celui de l'intensité d'implication des personnes. Dans la plupart des groupes, on distingue en effet à la périphérie et selon le moment évolutif de simples " consommateurs de prestations " peu impliqués; des adeptes au plein sens du terme, dont toute la vie est as servie au groupe; des cadres manipulateurs convaincus, exaltés ou cyniques; et aussi des adeptes vacillants, en proie au doute, futurs déserteurs ou " renégats ".

Le groupe sectaire " type "

Si l'on passe maintenant à la description d'un groupe sectaire type, il faut bien savoir que si l'on ne retient qu'un ou deux ca ractères, on courra le risque d'être réducteur et de n'avoir qu'une définition applicable à bien d'autres groupes que les sectes. Le diagnostic de dérive sectaire ne peut émerger que d'une conjonction significative de facteurs.

Le groupe développe une idéologie alternative radicale, exclusive et intolérante. Sa structure est autoritaire et autocratique, sous la forme d'un gourou vivant ou d'une organisation bureaucratique héritière du message. Il revendique une référence exclusive à sa propre interprétation du monde, qu'elle s'applique aux croyances, aux données scientifiques, à l'éthique, aux comportements quotidiens, aux rapports interpersonnels, aux moyens de faire triompher la cause du groupe. Il préconise ou impose des ruptures de tous ordres: références antérieures, orientations personnelles, relations, convictions, libre critique, choix affectifs, les relations au monde extérieur devenant marquées par le rejet, la suspicion, voire la diabolisation. Il met en oeuvre une transformation des personnes selon un type de modelage standardisant excluant l'autonomie. Il récupère à son profit les forces vives, I'initiative, la créativité, l'énergie des adeptes, réalisant ainsi une instrumentalisation des individus au seul service du groupe et de ses chefs. Il multiplie promesses et assurances de tout genre: développement personnel, salut élitiste, toute-puissance sur soi-même, santé, pouvoir collectif, promotion interne. Dans le même temps, il masque les coûts réels, les contraintes, les risques, l'emprise progressive, les transformations dans le sens de la dépendance. Il exploite les inquiétudes et les peurs, développe la culpabilité, la crainte du rejet, la hantise de la déloyauté, la surveillance réciproque. Il rend problématique à divers égards la perspec tive de quitter le groupe, devenu une prothèse relationnelle entourée d'alternatives menaçantes ou vides. Il comporte des dangers, variables selon les groupes, pour le libre arbitre, l'autonomie, la santé, I'éducation, et dans cer tains cas les libertés démocratiques ou la sauvegarde personnelle.

L'embrigadement

Le grand art de l'embrigadement moderne consiste à construire par des méthodes sophistiquées un acquiescement durable, progressif et extensif, sans contraintes apparentes, sans usage de la force. Il existe des degrés dans ce que l'on peut souhaiter obtenir de quelqu'un: un comportement ponctuel, le partage d'une opinion, son adhésion, son désir, I'acceptation de s'engager, une soumission volontaire à des règles, une confiance, une passi vité jugée utile. Pour tout cela, il faut d'abord agir sur les choix, et séduire.

Les choix

Le développement actuel des psychotechniques, appliquées méthodiquement et parfois plus empiriquement, permet cette construction d'acquiescements successifs avec la participation du sujet. On peut alors obtenir non seulement un acquiescement initial qui engagera peu, mais un enchaînement d'acquiescements successifs qui apparaîtront au su jet comme des choix. En fait, le sujet donne son accord à une procédure, mais il a une mécon naissance de la nature du proces sus de transformation qu'il va connaître, du résultat final de cette transformation et aussi des finalités des maîtres du jeu.

La séduction

Ce qui peut séduire est assez dif férent d'un groupe à l'autre, selon qu'ils mettent en avant des perspectives de progrès spirituel, de développement personnel ou d'équilibre et de santé mentale ou physique. Schématiquement, on pourrait dire que l'on retrouve toujours les effets d'une réaction, d'une fascination et l'inscription dans une dynamique. Ces trois éléments conjugués faciliteront l'adhésion aux solutions alternatives radicales proposées par le groupe.

Idéologiquement, la séduction joue sur les refus et les révoltes d'un citoyen devenu passif dans une société de plus en plus complexe et qu'il ne maîtrise plus. Il trouve dans le groupe de quoi satisfaire son besoin de donner, d'agir. Il trouve aussi des ré ponses à la fois simples et radicales.

Du point de vue du lien social, la fascination pour le " nous " fusionnel est plus répandue que ne voudraient le faire croire tous les discours sur l'individualisme contemporain. Le groupe sec taire, élitiste s'il en est, répond apparemment à deux besoins: s'immerger dans un groupe avec identification aux autres et émer ger de la masse avec sélection des meilleurs. Les modalités de lien social proposées s'inscrivent dans une dynamique marquée d'étapes s'inspirant du parcours initiatique.

Du point de vue des rapports de pouvoir, on voit renaître une nostalgie de la soumission, de l'obéissance et de la conformité. Ceci est net au sein de certaines entreprises ou organisations. Dès lors est tolérée, voire attendue, l'apparition de leaders forts, de règles contraignantes et d'une violence institutionnelle " froide ". C'est le culte de la personnalité, le leader étant le seul garant de la solidité ou de la pérennité de l'ensemble. C'est à terme aussi pour les adeptes la représentation d'une citadelle assiégée, avec la tentation de périr pour la Cause.

On peut appliquer la même analyse à d'autres thèmes: on re trouve pour la santé une réaction négative face aux limites et à la froideur complexe de la médecine scientifique, une fascination pour la proximité, la " toute-puissance ", le charisme du guérisseur et une dynamique qui va de la thérapie psychologique d'appoint à la " thérapie " radicalement alternative et exclusive.

Le paradoxe de la liberté entraînant la soumission

Ce qui est proposé se présente sous la forme d'acquisitions - de performances, de pouvoirs, d'équilibre, de progrès spirituel -, de progression et de promotion, ce qui est fortement attrayant et peut paraître sans danger. L'acceptation des conditions du training est facilitée par le fait de renvoyer le postulant à ses propres motivations: " C'est à vous de savoir si vous voulez progresser ", ce qui revient à dire paradoxalement: " Puisque vous êtes venu librement, vous devez vous soumettre entièrement. " La procédure elle-même fait appel à de très nombreux éléments: points de vulnérabilité du sujet, effets de groupe, utilisation de l'émotionnel, néolangage, production d'effets visibles à court terme, distanciation des influences extérieures, prescriptions, progression dans l'enseignement doctrinal, étapes dans la promotion et missions de responsabilité. Elle s'étale sur une longue durée, une adhésion immédiate et totale ayant peu de chances de perdurer si elle n'est pas suivie d'un travail en profondeur et à plusieurs dimensions.

La déstabilisation

Une condition essentielle est de provoquer au départ une certaine déstabilisation psychologique, période de flottement, de perplexité et d'insécurité où tous les repères antérieurs sont remis en question. Si l'on veut " jouer le jeu ", il faut accepter d'aban donner ses certitudes, préjugés, interprétations, explications, et se rendre disponible et ouvert. C'est l'état du novice, de l'apprenti, de l'élève, de l'infans qui a tout à apprendre. Selon les groupes, on mettra en place un cadre où l' impétrant est inexpert,coincé, mis en cause, invalidé dans ses repères, culpabilisé à l'occasion, privé du contrôle de la situation, mobilisé émotionnellement.

" PUISQUE VOUS ETES VENU LlBREMENT, VOUS DEVEZ VOUS SOUMETTRE ENTIEREMENT."

Les techniques peuvent affecter le corps et la psychologie, l'intellect et l'affectivité. La prescription d'attitudes posturales particulières, la répétition, une gestuelle effectuée rituellement et collectivement, certains exercices respiratoires ou d'expression corporelle sont utilisés couramment et induisent un certain type de réceptivité.

Au niveau des états de conscience, pour obtenir des modifications de vigilance plus ou moins accentuées, assimilables à des degrés d'hypnose, plusieurs techniques sont possibles. Au niveau affectif et émotionnel, la reviviscence d'événements traumati sants passés, le réveil de culpabilités latentes, les consignes paradoxales - " Soyez spontanés ! " - peuvent provoquer un désarroi profond accompagné d' un sentiment d' authenticité, de la conviction d'accéder enfin à la vérité de son être. Dans le même registre, les situations de " double lien " décrites par l'école de Palo Alto (G. Bateson) sont profondément déstabilisantes. Au niveau intellectuel et cognitif, la révélation de nouveaux concepts et d'une autre logique se retrouve dans toutes les écoles de psychothérapie et dans la plupart des groupes d'embrigadement, avec une tout autre finalité, bien sûr. Le vocabulaire habituel est récusé pour décrire et analyser les faits, les situa tions, les relations, les ressentis. On demande au sujet " volontaire " pour cette sorte d'initiation de renoncer à ses méthodes d'analyse et d'interprétation ha bituelles [1] Les effets de groupe s'ajoutent aux exercices individuels avec une très grande efficacité.

La reconstruction

Mais il serait insuffisant de créer des conditions de déstabilisation, de désarroi et de vulnérabilité si n'étaient pas proposés parallèlement de nouveaux re pères, des acquisitions, un projet différent, en bref une restructuration de la personnalité selon un modèle défini.

Une méthode d'embrigadement bien menée doit provoquer sur tous les plans des situations d'évidence positive. Chacun des éléments de la remise en question doit trouver son corollaire restructurant. Au sentiment de malaise et d'étrangeté doit cor respondre la satisfaction de l'expérience menée à bien, la détente, la relaxation en milieu rassurant. A la perplexité, au désarroi doit correspondre la présence bienveillante et encou rageante du conducteur de l'ex périence. Aux doutes et aux interrogations doivent corres pondre les certitudes inébranlables du chef. A la culpabilité doit se substituer le réconfort d'être accepté, de partager un projet commun. La remise en question des liens antérieurs doit être compensée par la chaleur fusionnelle du groupe. Aux objectifs initiaux critiqués doivent se substituer des perspectives de progression dans l'initiation, la connaissance, le savoir, la promotion. La vanité dénoncée des désirs doit trouver son équivalent dans un espoir exaltant de réussite vraie, d'acquisition de pouvoirs, de salut, d'accès au monde des élites et des élus.

Dans le cadre d'un embrigade ment subtil seront ainsi induites des évidences convaincantes dans le vécu immédiat. On peut alors parler d'une sorte de glissement allant de l'émotionnel au cognitif: ce qui est très fortement ressenti acquiert - à juste titre un caractère d'authenticité. Le glissement consiste à faire apparaître au sujet ce qui était émotionnellement authentique comme cognitivement assuré. Et c'est l'allégation de vérité, soutenue par une logique interne forte, mais surtout renvoyée à l'expérience même du sujet. " Ceci est vrai, puisque vous l'avez personnellement éprouvé, ressenti profondément. " Cette " vérité " a toujours quelque chose d'incommunicable: n'étant pas vérifiable par les voies vulgaires du raisonnement, elle n'est pas réfutable. Elle ne peut qu'être approfondie par la suite du programme.

Il ne s'agit pas seulement de convictions acquises et d'occupations envahissantes, mais d'une transformation de la lecture et de l'interprétation du monde, comme si un filtre sélectif avait été mis en place. Toutes les informations reçues sont alors traitées et sélectionnées en fonction de leur conformité à la doctrine du groupe.

Des groupes totalitaires

Ces groupes, petits ou grands, par la bouche de leurs dirigeants ou de leur gourou, revendiquent l'exclusivité. Ils sont les seuls à détenir les clefs, le chemin, les moyens d'atteindre la vérité, le bien, l'unité... Ils imposent le rejet du complexe: il existe une solution à tout problème. Il y a une issue simple, un chemin évident à suivre. " Ce que les masses refusent de reconnaître, c'est le caractère fortuit dans lequel baigne la réalité. Elles sont prédisposées à toutes les idéologies parce que celles-ci expliquent les faits comme étant de simples exemples de lois, et éliminent les coïncidences en inventant un pouvoir suprême et universel qui est censé être à l'origine de tous les accidents. (...) Les mouvements totalitaires suscitent un monde mensonger et cohérent qui, mieux que la réalité humaine, satisfait les besoins de I'esprit humain; dans ce monde, par la seule vertu de l'imagination, les masses déracinées se sentent chez elles et se voient épargner les coups incessants que la vie réelle et les expé riences réelles infligent aux êtres humains. " [2 Appel de note] Il s'agit moins du désir de séduire du gourou que du désir d'être séduit du public.

Notes :

1. Dans l'introduction à La dianétique, L. R. Hubbard précise que tous les concepts radicalement nouveaux contenus dans son aeuvre nécessitent un apprentissage soigneux, et non une analyse. Si un concept n'est pas compris, il faut y revenir ad libitum, jusqu'à sa compréhension parfaite. Et les cours scientologiques favori sent ce retour en arrière: s'il y a doute ou interrogation, c'est faute d'un apprentissage correct; on revient donc encore et encore sur le texte et le concept

2. Arendt H., Les origines du totalitarisme; le .système totalitaire, Paris, Seuil, rééd. Points Politique, 1972, pp. 79-80.

 


 
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