Les Béatitudes

Témoignage


mis en ligne le 31 mai 2003


Brièvement, je suis née au Japon en 1966 (ça commence bien : ). D'origine australienne, j'ai été adoptée par un couple de français, je n'ai jamais connu ma génitrice: mais c'est une autre guerre (juste pour accentuer le côté dramatique du truc).
Rentrée en France, j'ai eu une enfance vraiment sympa, entourée de l'affection de mes parents adoptifs.

Mon père plutôt athée humaniste, très bonne situation, un homme brillant. Ma mère prof d'anglais, très croyante et très pieuse, assez blessée de ne pas mener une existence plus conforme à ses désirs: avoir une famille nombreuse, ne pas travailler, aller à la messe en famille bref l'image d'Epinal.
Peu à peu, la situation entre eux s'est détériorée: ma mère souffrait de migraines terribles et souffrait d'anorexie. Il n'y avait pas vraiment de dialogue entre eux.

Dans ce climat délétère, ma mère a jugé bon de m'envoyer en pension : c'est ainsi que j'ai quitté Paris en 1ère pour atterrir dans la Drôme, à Chateauneuf de Galaure.

Ces foyers de charité étaient en contact étroits avec les charismatiques et en 83, le Père Tardif est venu pour une courte retraite à Chateauneuf. Il y pratiquait d'incroyables guérisons et une réelle ferveur et agitation entourait cet événement.

Naturellement, lors d'un retour en week-end à la maison, j'ai parlé de cette anecdote à ma mère.

Elle avait une copine, très pieuse aussi, qui était prof de français dans la même école qu'elle, et il semblerait qu'elles aient ensemble approfondi la question charismatique.

J'étais une adolescente frondeuse, insolente et un peu difficile : maman s'est mise à me parler du démon, à me demander si je faisais du spiritisme (oui, une scéance ratée pour rigoler) à me dire qu'il était entré en moi et qu'il fallait m'exorciser. Pas contrariante, j'ai dit ok si ça te fait plaisir, et elle et sa copine m'emmènent à Cordes pour un week-end.

Lion de Judas :

Topo sur l'esprit saint : nous obtenons tt par la prière, nous avions besoin d'argent pour je sais plus quoi, nous avons prié et c'est tombé jackpot.
Là on nous prévient que : ils ne l'ont pas voulu mais que les gens tombent quand ils leur imposent les mains, que c'est la mode du moment mais que surtout il ne faut pas se formaliser.

L'idée de tomber comme un sac me déplaît fortement : j'étais assez coquette.

Une sœur m'impose les mains : je ressens des chatouillis sur le haut du crâne mais non, je ne veux pas perdre le contrôle je me dis : non non non, je ne relâche pas mon attention. D'un regard, elle appelle les autres à la rescousse : ils arrivent à plusieurs, rien n'y fera, dans le doute, je ne m'abandonnerai pas ce jour là (et je me souviens vraiment avoir lutté) je ne veux pas tomber.

Enfin ça s'est arrêté, ma mère et sa copine me regardaient un peu en chien de faïence et semblaient désappointées. Un silence de plomb régnait entre nous. Fin du week-end.

Retour : elles à Paris, moi dans ma pension où je parle à ma directrice de cette aventure. Elle semble tiquer.

J'ai passé mon bac : Il n'y a personne à mon retour. Résultats : bac avec mention, personne à qui l'annoncer. Mon père était à l'étranger (il travaillait dans une compagnie aérienne) et ma mère en pélé à Medjugorie.

Puis il a été question de mes inscriptions : à son retour, je vais voir ma mère qui a déménagé chez les parents de sa copine prof, qui me parle de son bonheur, me dit qu'elle rentre de Medjugorie me montre un vilain caillou qu'elle a ramassé là bas par terre et me supplie d'aller à Lyon où je suis prise en hypokhâgne et où elle m'a trouvé un logement : je pars à Lyon, toujours pas contrariante, pour m'y installer et visite le fameux logement, un foyer charismatique vers Fourvière (il me semble) où on m'a fait visiter la chapelle avant ma chambre.

Et là Réveil : je me suis demandée ce que je foutais là, j'ai pensé à mon père seul à la maison, j'ai pensé à ma chambre, à ma maison, à mon chien, et je me suis dit aussi que je commençais à saturer avec toutes ces bondieuseries: j'ai repris mes valises et suis rentrée à Paris avec l'accord de mon père.

De justesse, j'ai pu m'inscrire ds une hypokhâgne à Versailles, et de là, nous avons mené une drôle d'existence avec mon père. On allait au restau presque tous les soirs, (j'étais loin d'être experte en cuisine) et on avait un sentiment d'étrangeté lié au départ brutal et net de ma mère et aux prétextes énormes de ce départ. Aucune nouvelle, impossible de la joindre, elle refusait tout contact, j'étais triste et ne comprenais rien à ce qui se passait.

Un jour le téléphone sonne : c'était elle, elle demandait le divorce à mon père et il fallait que je reparte à Lyon sans autres explications.

Toujours incompréhensible : j'étais chez moi, en hypokhâgne, dans le 3ème lycée de France, tout roulait de ce côté là et il fallait que j'interrompe tout pour aller à Lyon, où je ne connaissais personne ?

Besoin d'explications.

Un matin, je fais le pied de grue devant chez sa copine: en plus elle me manque et j'aimerais savoir ce qui se passe, et si j'ai fait quelque chose de spécial pour qu'elle ne veuille plus me voir et je veux savoir pourquoi il faut que je reparte à Lyon.
Heureusement, c'était au rez de chaussée, je vois la main de ma mère pousser le volet : elle me fait entrer et me fait asseoir :
elle m'affirme alors que mon père est vraiment Satan, et que je suis un vecteur de translation entre Satan et elle : tant que je reste avec mon père, elle souffrira dans sa chair et il faut que je reparte à Lyon, pour sa survie à elle. Qu'elle allait brûler toutes les affaires qu'il lui avait données et que si je restais à Paris, je raterai mes études et ma vie amoureuse.

Je refuse : question de bon sens, mais je suis croyante, j'ai un doute.

Et c'est la dernière fois que j'ai revu ma mère.

Tous les liens sont rompus. Je souffre, je me sens responsable, je pédale dans mes études, je ne travaille plus, je me dis que oui peut-être je suis possédée, que tout est de ma faute : c'est la chute. Quand on n'est pas là, ses meubles disparaissent, et puis ses manteaux de fourrures et autres effets personnels sont jetés dans la gage d'ascenceur. La vie continue… bizarrement.

Il y a un pensionnat au Lycée où je fait hypokhâgne : papa m'y inscrit pour que je sauve mon année d'études. Je me sens encore plus abandonnée, et je n'arrive à rien, je deviens cancre et passe mes journées au café avec 2 autres à qui ces études ne plaisent pas non plus. J'ai l'impression de rêver. Je rentre à la maison, laisse la pension, ne vais plus en cours : j'erre parfois dans la rue des parents de la copine. Rien. Un jour je sonne, la mère m'ouvre et referme, je coince la porte avec le pied elle me hurle de partir comme si j'avais trucidé sa famille entière. Je l'ai giflée.

J'allais en cours une fois de temps en temps : peine perdue, rien ne rentrait. Un soir, j'annonce à mon père que j'arrête tout : pas d'études, pas de travail, rien, j'arrête tout. Il panique un peu, il ne sait pas comment agir. Finalement, il prend la décision de m'envoyer en Asie pour quelques mois. Un voyage magnifique. Thaïlande, Corée, Japon : ses amis m'ont très bien reçue. Papa me rejoint à Tokyo et nous rentrons ensemble. Puis il me fait travailler tt l'été dans sa compagnie aérienne. Il a une copine qu'il me présente : on s'aime bien tout de suite, et moi j'ai un nouveau petit copain.

Toujours aucune nouvelle de maman : elle refuse de voir sa famille, sa mère, mon père, moi. Toutes nos tentatives sont vaines. Mon père part au Maroc pour un congrès de son travail et revient tout jaune : vilaine crise de foi, il a honte de sortir comme ça. On lui fait des examens, il a un cancer du pancréas. Il est en pointillé à l'hôpital et à la maison, je ne sais pas gérer, je l'entends gémir dans son bain, il est seul, il souffre, je suis seule, je souffre : nous ne pouvons rien l'un pour l'autre, maman n'a pas de pitié : aucune nouvelles. Il meurt, à l'hôpital : je suis là quand il agonise, je lui dit que je l'aime, il se dépatouille avec son bassin, il me demande de sortir. Mes

J'embarque tous les papiers de mon père avec moi : ma mère n'est pas dans l'avion. L'enterrement se passe, quand je rentre, l'appartement est saccagé, il y a mes dessins d'enfants par terre et des tiroirs retournés. Un mot dans la boîte : peux-tu me faire parvenir le livret de famille ? J'oscille entre la rage et la tristesse, c'est intense.

Puis il y a un inventaire pour la succession.

Maman n'y serait pas, se ferait représenter par une avocate. Au dessus de mon lit, il y a un crucifix. Les huissiers sont là, l'avocate aussi qui mate le crucifix et me confie que ben non, à priori je ne suis pas possédée, que ma mère lui avait dit qu'elle m'avait vue faire des messes noires dans un jardin à Versailles.

Je craque, c'est une histoire de fou, je deviens folle moi aussi, je décide de quitter Paris pour le sud où au moins il y a du soleil. Maman fait dire qu'elle s'occupe de la vente de l'appartement après le partage des biens : ils n'ont pas encore divorcé, la moitié pour moi, et pour elle l'usufruit de l'autre moitié. Je m'en fous, je suis d'accord et lui laisse un chantier d'appartement, emportant avec moi mes meubles préférés et les bouddhas qu'elle tournait qd mon père était absent.

Mon copain part à Chambéry où il a un travail et moi à Montpellier où j'opte pour un cycle court en informatique.

Je suis seule, j'ai peur, tout devient étrange, je deviens parano, j'ai peur de sombrer dans la folie dure. Je me sens trop loin de tout pour assumer quoique ce soit et surtout pas mes études.

Je rentre à Paris, chez les parents d'une amie.

Puis mon oncle me trouve une chambre de bonne à Neuilly, dans laquelle je reste terrée comme une bête sauvage pendant deux ans, multipliant mes tentatives de contact auprès de ma mère via les parents de la copine. Elle n'y est plus, on peut lui écrire en poste restante à droite, à gauche: aucun contact n'est possible. J'arrête d'écrire.

Avec l'argent du demi appartement, je m'achète un deux pièces à Paris. Je sors la nuit, je dépense mes sous, je fait de l'intérim au standard de temps en temps : tout est flou.

Je décide de commencer une analyse : 3 scéances par semaine pendant 4 ans et demi, ça va mieux. Ma grand mère maternelle meurt, toujours aucune nouvelle de ma mère, ma tante en a pourtant à cette occasion: " je prie pour Sophie ".

En 96, un organisme de crédit me contacte la SOFINCO (par télégramme) je n'ai aucun rapport avec eux, c'est une erreur je ne donne pas suite. 2ème télégramme, j'appelle pour leur signaler que c'est une erreur, et on me demande si je reprends les crédits de ma mère qui est morte (un revolving+ un crédit auto). Evidemment, non. Où est passée la deuxième moitié de l'appartement ?

J'envisage de mener une enquête pour savoir ce qui s'est réellement passé. Les liens avec la communauté ne sont établis que dans son départ, après, je ne sais pas ce qui s'est passé, ni moi, ni personne de sa famille.

Je vous rassure, maintenant tout va bien : je m'excuse pour ce récit brouillon et monstrueux, mais honnêtement, je n'ai pas envie de me relire et j'ai envie de tourner la page.

L'important pour moi est d'être ouvertement reconnue comme victime.



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