Dévots de Krishna

Témoignage d'un ex-adepte

Source: Bulletin de liaison du CCMM de janvier 1996

 

 "Tout esclave a en main le pouvoir de briser sa servitude"

Le témoignage d'un ex-dévot de Krishna présenté ci-dessous nous semble être la parfaite illustration de cette vérité. Il est exemplaire à plus d'un titre. D'une part du fait de la durée de son engagement et des responsabilités qu'il a exercées au sein du mouvement, d'autre part en raison de la finesse de son analyse tant au niveau des pratiques que des dommages encourus.

 On voit parfaitement que la captation de la cible s'est faite à partir d'une attente personnelle, d'une aspiration à un idéal élevé qui aurait pu conduire à un engagement raisonné et harmonieux dans un autre contexte. On voit aussi à quel point la séduction sectaire s'appuie sur un besoin de don gratuit, de générosité et de dévouement bien éloignés d'une prédisposition morbide. On observe aussi la puissance de séduction du gourou et de l'inconditionnalité de l'obéissance exigée.

 Le ressort le plus puissant est peut-être le développement d'une loyauté indéfectible à l'égard du groupe. Ceci explique la persistance d'un engagement pendant dix longues années malgré les critiques exprimées et les souffrances endurées. On mesure aussi la gravité des séquelles psychologiques, familiales, professionnelles entraînées pas un aussi long engagement.

 Il serait intéressant d'approfondir le cheminement difficile qui a fini par aboutir à la rupture malgré des liens tissés avec l'organisation.

 Il est frappant de constater l'intensité persistante du ressenti plus de dix après l'interruption de l'expérience. L'emprise sectaire se révèle bien à travers ce témoignage comme la construction d'un univers parallèle répondant à tout, imperméable à toute influence, nivelant et standardisant une véritable mise en orbite rendant problématique la "rentrée dans l'atmosphère" des relations sociales propres aux citoyens "ordinaires".

M. M.


Comment ai-je fait pour sortir de la secte Hare Krishna ? C'est un phénomène paradoxal, car on commence à sortir d'une secte quand on se sent en désaccord avec sa doctrine. Dans mon cas cela a commencé assez tôt. Mais je n'ai pas réalisé tout de suite à quel point j'ai été victime d'un enfermement. Alors, j'ai laissé plusieurs années se passer avant de vraiment secouer le joug. Pendant cette période mon désaccord portait plus sur la forme que sur le fond. Autrement dit, plus sur les méthodes employées que sur la philosophie qui, somme toute, s'apparentait à un courant du l'hindouisme traditionnel.

 J'ai malgré tout donné dix ans de ma vie de 17 à 27 ans et aujourd'hui, dix ans après m'être sorti de la secte, je paie encore chèrement les conséquences. J'ai l'impression d'avoir subi un viol de conscience. Un viol dont les traces sont si profondes qu'elles sont sans doute irrémédiables. Il ne se passe pas une semaine sans que la secte ne vienne me hanter dans mes rêves. Un parallèle approprié serait de la comparer au viol incestueux. Un enfant violé par son père subit un traumatisme si profond qu'il va nier les faits jusqu'à les effacer de sa conscience. Il lui faudra souvent 15 ou 20 ans pour pouvoir commencer à en parler tant la charge émotionnelle est importante.

 En entrant dans une secte, je cherchais sans aucun doute une famille de substitution. Par extension, j'y cherchais le père autoritaire et bienveillant que je n'avais pas eu. C'est cette image que le Gourou semble projeter. En échange du "refuge" accordé, le prix à payer est difficilement imaginable. Le gourou ne vous demande rien d'autre que votre vie entière, vos actes, vos pensées, vos paroles et cela, vingt quatre heures sur vingt quatre. Il vous demande l'abandon de votre intelligence, de votre esprit critique et de toute intimité. Lorsque j'étais jeune moine chez les dévots de Krishna, nous dormions cinq heures par nuit, à même le plancher, entassés jusqu'à parfois 20 dans une pièce de 30 mètres carrés. Nous nous douchions à l'eau froide et travaillions plus de dix heures par jour à vendre les livres et les disques du gourou.

 En 1977, après deux ans de ce régime, nous dormions en décembre à cinq dans une camionnette et, en guise d'ablution matinale, nous nous jetions dans la rivière à quatre heures du matin (cela se passait à Strasbourg) ; à la suite de ce surmenage j'ai souffert de pneumothorax, j'ai dû être hospitalisé quatre fois en six mois. Au début on se contentait de me mettre sous aspiration (on rétablit le vide de la plèvre avec une pompe), la douleur est exceptionnelle. Puis, comme cela ne suffisait pas, on a dû procéder à une ablation de la plèvre. Deux ans après, mon père recevait toujours les factures d'hôpital qui s'élevaient alors à 70.000 francs. La secte n'avait toujours pas payé. Voilà une des raisons de l'enrichissement des sectes.

 Dans notre cas nous nous consacrions dix ou douze heures par jour à des activités commerciales très lucratives. Nous n'étions, bien sûr, pas rémunérés, couverts par aucune assurance maladie, nous dormions à même le sol à dix par chambres, la secte ne payait pas de TVA ni d'impôt en se réclamant de son statut d'association loi de 1901. Faites les comptes.

Un gourou ne peut se tromper

Mais je ne comptais pas, j'avais dix neuf ans, l'argent ne m'intéressait pas, l'état de ma santé ne m'inquiétait pas ; quant à mon avenir il était entre les maints de Dieu. J'avais besoin de la chaude solidarité de ma famille d'adoption. Tous, sous l'égide d'un même père, nous oeuvrions pour l'humanité en détresse. Dieu, infiniment bon ne pouvait pas nous trahir. Le gourou, son envoyé, ne pouvait pas se tromper.

 Aujourd'hui le souvenir est là dans mon corps à chaque respiration. Quant à mon âme, j'ai parfois l'impression qu'elle est un champ après le passage des troupes d'Attila. La secte m'a quand même laissé aller me soigner quelque temps dans ma famille. Vous savez, dans ce genre de mouvement on s'occupe à sauver le monde, alors on n'a guère le temps pour les éclopés. D'ailleurs une fois rétabli je revenais au bercail pour continuer "le grand sacrifice de l'âge de Kali". Nous étions là pour cela, le sacrifice. Dieu avait laissé les hommes tuer son fils ; c'était bien le moins que nous pouvions faire, donner notre vie.

 Pour les dévots de Krishna, le disciple ne peut jamais rembourser la dette envers son gourou, même en plusieurs vies de dévouement. Le gourou est un "océan de miséricorde". Il ne peut jamais avoir tort même lorsque (comme Swami Prabhupada) il annonce sans rire que la Lune est plus loin que le Soleil. Si quiconque critique le gourou, un disciple a trois possibilités :

  1. Défaire les arguments du détracteur.
  2. S'enfuir en courant.
  3. Si 1 et 2 sont impossibles, il doit se suicider sur place. Voilà planté tout le décor psychologique du discours sectaire (voir le Temple Solaire). Je cherchais un univers mental rassurant, je suis tombé dans un univers concentrationnaire. Parfois j'ai du mal à en parler, la douleur est immense. Deux ans après mes premiers problèmes physiques, le groupe ne m'autorisant aucun régime particulier, j'ai atteint un degré d'épuisement qui, combiné avec la frustration sexuelle que nous imposait la chasteté, me plongea dans une dépression ponctuée d'hallucinations et de délires paranoïaques. Encore une fois on me confia aux bons soins de mes parents qui me firent hospitaliser à l'institut psychothérapique du Pin en Mauges. J'y restais deux mois et revint dans ma famille près d'Angers, celle-ci dut régler l'intégralité de la facture qui s'élevait cette fois à quarante mille francs.
 L'ambiance familiale quasi névrotique me replongea vite dans la même insécurité ontologique et, au bout d'un an, le besoin du "groupe" se fit sentir avec l'intensité d'une drogue. J'étais reparti pour un tour. Je vous laisse le soin de déceler le schéma masochiste (l'existence n'est-elle pas faite pour l'imitation du calvaire du Christ ? J'étais dans une secte hindouiste mais mon enfance avait été très marquée par le catholicisme).

 Cette fois je décidais de vivre l'idéal religieux avec plus de mesure. J'abandonnais la vie de moine "mendiant" pour m'installer sur la communauté rurale de la Nouvelle Mayapoura, près de Châteauroux. Je créais un atelier de poterie et, avec un groupe d'amis, nous mimes sur pied un petit village artisanal de tissage, sérigraphie, agriculture biologique; etc.

Le piège du mariage

Lc gourou du moment, le flamboyant Bnagavan, m'avait promis de me trouver une "bonne dévote" pour épouse. C'est là sans doute un des pièges les plus insidieux des sectes. Elles obligent leurs adeptes à se marier entre eux. De cette façon elles vous tiennent pour la vie. Même lorsque vous réussissez à vous en sortir, il n'est pas rare que votre conjoint y reste, continuant à influencer les enfants. Car, pour les sectes, il faut faire des enfants, c'est un des meilleurs moyens de générer de nouveaux adeptes. Des adeptes soumis et malléables. Chez les dévots de Krishna on est bien sûr contre toute contraception et, la secte entretenant un semblant illusoire de protection. on voit des jeunes couples se retrouver rapidement avec trois ou quatre enfants. Le plus souvent ces couples ne sont absolument pas préparés pour une telle responsabilité, ni psychologiquement, ni socialement ni bien sûr financièrement.

 Chez les dévots de Krishna qui forment une secte extrêmement fermée, le problème revêt une grande complexité. Car si les dirigeants encouragent les adeptes à se marier, ils ne savent pas gérer l'arrivée de cette nouvelle dimension, la famille naturelle, dont les besoins intrinsèques sont d'une autre nature que ceux de l'individu isolé en quête de spiritualité.

 Le mariage a pour effet de ramener l'adepte dans la réalité. L'accès à la vie sexuelle (elle était proscrite jusque là) le fait revenir à un ego plus affirmé. Dans bien des cas, un réveil de la conscience se fait jour. Il s'agit de savoir alors jusqu'où l'individu peut mener son combat, s'il restera confiné dans les structures normatives de la secte ou s'il cherchera l'affranchissement. Il apparaît évident que l'effort à fournir est bien supérieur dans le deuxième cas, bien que certains luttent d'arrache-pied contre leur être pour rester fidèles au groupe.

 Mon épouse avait un enfant de quatre ans lorsque nous fumes mariés dans la secte. Sur une période de cinq ans nous eûmes trois garçons. En 1985 je décidais de quitter la secte, à la suite de violents désaccords avec les dirigeants. Je connus alors des années difficiles. Démarrer sans un sou avec quatre enfants après dix ans de bénévolat, ce ne fut pas de tout repos. Deux ans après, ma femme et moi nous séparions. Après plusieurs emplois commerciaux, je montais une entreprise de conception de logiciels qui prospéra rapidement.

 J'avais, depuis deux ans, repris deux de nos fils avec Dominique; ma nouvelle compagne.

 A ce moment, je pensais en être sorti, j'avais défait les liens matériels, psychologiques, idéologiques au prix de grands efforts. Et puis tout rebascula à nouveau. La première femme, qui n'avait jamais vraiment coupé avec la secte, retourna vivre au temple du Noisy le Grand. C'est une ancienne adepte qui me prévint que mes fils vivaient dans des conditions sordides : je les récupérais en urgence. Puis leur mère partit rejoindre la secte en Inde, c'était en octobre 1993. Depuis mes fils n'ont pas revu leur mère, elle ne leur écrit pas. Je me suis retrouvé avec mes quatre fils, ma compagne m'a quitté, j'ai fait une dépression nerveuse, ma société a dû déposer le bilan, j'ai licencié mes quatre employés. J'ai pu m'en sortir grâce à ma famille qui nous a aidés et hébergés, grâce à une assistante sociale et à Nelly.

 Aujourd'hui je suis content d'écrire ce témoignage. Il y a encore quelques semaines, je me disais que je n'aurais pas la force, que je ne vivrais pas assez longtemps. Cela aurait été une victoire pour la secte, alors j'ai décidé de me battre.

 


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