Dévôts de Krishna

Histoire d'une petite fille élevée dans une secte
Le cas d'Annie A.

Source: BULLES du 3ème trimestre 1987

 

L'histoire d'Annie A., décrite et commentée par le Professeur R. Umdenstock, professeur honoraire de pédiatrie, médecin conseil régional de pédiatrie du Limousin, ne saurait être considérée comme un cas général. Tous les enfants élevés dans une secte ne sont évidemment pas des enfants en danger nécessitant des mesures de sauvegarde. Cependant, le cas Annie n'est pas unique et sa description fait apparaître les risques plus ou moins graves selon les situations encourus par les enfants dont l'éducation est entièrement confiée à des groupes sectaires. Cet article, précédemment publié dans le n ° 97-1986 de la revue Le Pédiatre, est reproduit ici avec l'autorisation de son auteur.


Une histoire en trois phases

Annie A. (prénom et initiale modifiés par respect du secret professionnel), née en 1979 est amenée en consultation au CHU Dupuytren de Limoges en 1982 par sa grand-mère paternelle, inquiète, ainsi que son mari, du mode de vie imposé à la petite fille dans la secte de l'Association Internationale pour la Conscience de Krishna (AICK) dont ses parents sont adeptes, depuis 1981. Annie est âgée de 3 ans et 4 mois, mesure 98 cm, pèse 14 kg. Mise à part sa pâleur et une impression de tristesse, l'examen général est sans particularités.

 Son histoire peut se résumer en trois phases :

1. Phase de tolérance

Dans la communauté, installée au Château d'Oublaisse, commune de Luçay-le-Mâle, près de Valençay (Indre), l'enfant est soumise à un régime végétarien, avec des horaires anormaux. Nombreuses sont les nuits où elle pleure derrière la porte fermée à clé, quand à 3 h du matin ses parents la quittent pour le premier office de prières à Krishna.

 Elle souffre des absences de plus en plus longues de sa mère, envoyée à Paris pour vendre, sur les boulevards, des objets au profit de la communauté. Au terme de ce premier examen, nous pensons pourtant devoir être rassurant : le régime végétarien serait partiellement complété par du lait et d'autre part, si le système éducatif apparaît étrange, amorcer par une menace de retrait de l'enfant un conflit entre les grand-parents et jeunes parents serait désastreux, tant est grave pour un jeune enfant de vivre une situation conflictuelle.

 Il est donc recommandé aux grand-parents d'être le plus tolérants possible et de profiter des périodes où l'enfant leur est confié pour lui donner un régime normal, de la viande et des oeufs, avec un supplément de fer et de vitamines.

 Conseil est donné toutefois, pour le cas où la situation s'aggraverait d'en référer au Juge des Enfants, mais en étant alors bien averti du risque de " disparition " de la petite fille, par transfert dans une autre maison, au cas où la secte se trouverait alertée par une action imprudente, mais insuffisamment énergique pour s'assurer de l'enfant. Cette période va durer deux ans, la grand-mère ayant été jusqu'à accepter d'être hébergée, par périodes, dans une structure d'accueil du domaine d'Oublaisse (que l'on peut, dans une certaine mesure, comparer à l'appartement-témoin de certains promoteurs immobiliers...).

2. Décision de retrait

La situation d'Annie se dégrade de plus en plus ; ses possibilités de sortie hors de la communauté se raréfient et en octobre 1984, une lettre désespérée des grand-parents nous apprend que la petite fille ayant atteint l'âge de 5 ans 1/2 doit entrer dans " l'Ashram des enfants ". Elle doit y vivre séparée de sa mère (laquelle occupera désormais une chambre de célibataire dans le bâtiment des femmes).

 Au sein de la nombreuse collectivité enfantine, Annie présente des rhino-pharyngites à répétition, compliquées d'otite séreuse avec baisse de l'audition, traitée par homéopathie.

 La présence de la grand-mère à Oublaisse est jugée de plus en plus indésirable et elle se résout à recourir au Juge des Enfants.

 Nous rédigeons donc, à l'appui de cette démarche, une attestation indiquant notamment que " si les conditions de vie de l'enfant sont telles que Mme A..., Grand-mère de l'enfant les décrit, elles mettent cet enfant en danger et justifient la prise d'une mesure de sauvegarde ".

 Le Juge des Enfants, jeune femme qui n'est pas sans connaître la communauté de Krishna, prend une décision de retrait immédiatement exécutoire et les grand-parents, assistés de deux gendarmes, se font remettre Annie, dont la garde leur est confiée, avec droit pour les jeunes parents de la visiter et de l'héberger pendant une journée, deux fois par mois.

 La décision est confirmée deux mois plus tard, à titre conservatoire par la Cour d'Appel (janvier 1985) qui ordonne des expertises médico-psychologiques (Dr J.P. C., psychiatre des hôpitaux, expert près la Cour d'Appel d'Orléans, Pr F. de Tours).

 Ces expertises, menées contradictoirement, les parents et les grand-parents ayant été longuement entendus, confirment absolument les conditions de vie des enfants dans la secte.

 " A côté de l'école, écrit le Dr C. dans son rapport (p. 3) existe une structure nommée Ashram, où les enfants sont dans une sorte de pensionnat en groupe de 6... Structure dirigée par un 'Gourou', personnage dit essentiel, investi d'une puissance spirituelle, car vivant et amplifiant les Écritures "... " La fréquentation des cérémonies rituelles (la première a lieu de matin dès 4 h 30) serait obligatoire à partir de 10 ans, mais, continue le rapport, il est difficile de faire préciser, le discours des parents étant fait de longues discussions philosophiques, ou évite le sujet sous le prétexte d'une attitude plus ou moins persécutrice vis-à-vis d'eux ".

 " Dans le centre, cohabitent 120 enfants, encadrés par 100 adultes permanents et 150 'missionnaires', appelés à des déplacements ".

 ... " Le régime alimentaire est végétarien strict, excluant les oeufs ". Enfin, la non poursuite des vaccinations, le traitement homéopathique des otites sont confirmés par les interrogatoires des experts.
 

3. Conséquences du retrait

Sur le plan affectif, la situation est désolante. Les grand-parents vivent dans l'angoisse d'une décision définitive de la Cour d'Appel qui leur retirerait l'enfant pour le rendre à la secte. Les parents de leur côté profitent de leur droit de visite et d'hébergement pour prendre deux fois par mois l'enfant à l'hôtel et continuer à lui seriner les principes de l'AICK : " Si l'on mange de la viande, on devient un démon. Ceux qui dorment trop sont des ours... ". Au point de vue physique et scolaire par contre, le séjour chez les grand-parents a permis une amélioration rapide et évidente :

Réactions des parents et de la secte

(Il vaudrait mieux dire réaction de la secte conditionnant les parents).
  1. Plainte au Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins contre le rédacteur du certificat produit pour le Juge des Enfants, pour le motif " d'avoir établi une attestation lourde de conséquences sans bases tangibles et s'être immiscé dans les affaires de famille (art. 46 du Code de déontologie) ".
  2.  Très solidement argumentée et manifestement rédigée par un juriste avant d'être signée par le père d'Annie, la plainte est accompagnée de plus de 200 pages de témoignages photocopiés et d'attestations en faveur de la Conscience de Krishna et de sa doctrine.
     

  3. En vue du procès en appel, rendez-vous est pris par les parents pour montrer Annie à d'éminents spécialistes : Pr Baruk, Pr Clément Launay, Pr Jean-Didier Duché.., en sollicitant (au vu d'une petite fille que le séjour de 6 mois hors de la secte a remis en excellente santé) un certificat tendant à la rendre à ses parents, auxquels elle est effectivement très sincèrement attachée et à qui elle a été arrachée par des grand-parents abusifs flanqués de deux gendarmes.

  4.  
  5. Finalement, la Cour d'Appel compte tenu des expertises, maintient l'enfant à la garde de ses grand-parents paternels, accordant toutefois aux parents un droit d'hébergement sur leur fille, qui s'exercera la première moitié de toutes les vacances scolaires de plus de 5 jours.

La solution adoptée est-elle la meilleure ?

Cette observation a pour but essentiel d'attirer l'attention sur un problème dont à l'évidence, la solution actuelle, pour la petite Annie ne peut être que mauvaise, tant est grave pour un enfant aussi jeune d'être au centre d'un conflit la séparant de ses parents.

 La seule solution, dit fort justement le Pr Baruk dans le certificat accordé aux parents, serait " la pacification entre les parents et les grand-parents ". Mais quand il ajoute que " ces derniers, dans un acte de générosité et d'humanité pourraient rendre l'enfant à ses parents ", on comprend qu'on lui a laissé ignorer que ceci avait été tenté en vain pendant deux longues années par la grand-mère, qui avait même accepté de participer pour cela à la vie dans la secte et qu'il est difficile de suivre ce conseil.

 Sur le plan physique ; la vie en communauté est malsaine pour de jeunes enfants, les otites en particulier sont la plaie des collectivités de tout petits et les rhino-pharyngites compliquées d'otite séreuse de la petite Annie en témoignent.

 Le régime végétarien, s'il comporte du lait n'expose pas à la carence protidique, mais il existe un déficit en fer assimilable et moins connu en vitamine B12, dont l'effet est certes lent à se faire sentir, mais grave.

 Sur le plan éducatif, il est évident qu'un pareil système, où les enfants ne passent pas 3 h sans prier en groupe et où les lectures et les dictées sont des extraits du Bagavad-gita, sans ouverture vers l'extérieur, ne peut aboutir qu'à une marginalisation du futur adulte, au moins en Europe.

 Même si l'on est prêt à respecter des croyances qui nous sont étrangères, et si, en visitant par exemple une communauté, on est impressionné par la gentillesse de l'accueil, la sincérité apparente des jeunes adeptes et la bonne préparation de la nourriture végétarienne, on ne peut que mettre en garde contre un système, qui, au niveau le plus élevé et en Occident tout au moins, semble une imposture :

Sauvegarder l'avenir

Un jeune enfant élevé dans une secte est un " enfant à risque " dont l'avenir est compromis. En pareil cas, l'article 45 du Code de déontologie fait au médecin un devoir " de s'informer et d'alerter, si besoin, l'autorité compétente ", en l'espèce, le Juge des Enfants. Bien évidemment, c'est au magistrat qu'appartient le pouvoir d'investigation et de décision. Il se peut, pourtant, qu'une attestation du médecin lui soit nécessaire : celle-ci doit être particulièrement objective et circonspecte, le praticien n'a pas à faire le travail des experts et doit, pour sa part rester juridiquement inattaquable.

 


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