LHérésie Rosicrucienne
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Préambule
Quand on parle anonymement et en généralité «denseignement
rosicrucien» ou de «tradition rose-croix», les gens imaginent
quelque chose dancien dont les origines se perdraient dans la nuit des
temps. Il nen est rien ! Il est tout à fait déplacé
de parler denseignement rosicrucien puisque celui-ci nexiste pas
et a été totalement inventé par un petit universitaire
américain répondant au nom dHarvey Spencer Lewis, atteint
dobésité et mort à 55 ans.
Les origines
Fondé en 1909, lordre rosicrucien Amorc est le plus connu et le
plus populaire des quatre ordres rosicruciens qui existent dans le monde. Les
trois autres sont la rose-croix de Max Heindel, la rose-croix dor et la
rose-croix CCRC. Ce sont les amorciens qui ont inventé ladjectif
rosicrucien.
Ancien franc-maçon, Harvey Spencer Lewis, né en 1889, se crut assez malin et assez intelligent pour fonder sa propre école mystique dont le nom sinspirait de lun des grades maçoniques : chevalier rose-croix. Appartenant à la classe intellectuelle et bourgeoise, Lewis sut tirer parti de ses facultés dassimilation pour écrire peu à peu une vaste synthèse des différentes pensées, philosophies et religions du monde occidental et oriental [le tout saupoudré des références scientifiques en vigueur à lépoque]. Loin dêtre inspirée, sa littérature nest quune compilation parfois minutieuse, parfois superficielle des différents ésotérismes en vogue à lépoque. La plupart avaient été introduits dans la culture occidentale par la Théosophie, justement en plein essor à cette époque.
La doctrine
Lewis fait partie de ces pseudo-mystiques de salon qui défendaient la
doctrine typiquement théosophique des races inférieures et supérieures.
La Doctrine Secrète écrite par Héléna Pétrovna
Blavatsky (la «bible» des théosophes) explique en effet que
les différentes races humaines que lon trouve sur terre correspondraient
à différents degrés dévolution, et selon elle,
la race noire serait bien sûr la plus inférieure, cest-à-dire
celle qui serait la plus proche de lanimalité et de linconscience.
La théosophie ayant conquis ses lettres de noblesse dans lAngleterre
du XIXème siècle, à lépoque de lapogée
de son empire colonial, on devine les raisons qui lui ont assuré un tel
succès. La race blanche, évidemment, était placée
au sommet de cette hiérarchie imaginaire et le citoyen britannique pouvait
à son gré se considérer comme son plus digne représentant.
Lewis adhérant à ces vues cite souvent Blavatsky dans ses écrits. Il sagissait de sa part dune manoeuvre hypocrite construite dans la perspective de se dédouaner vis-à-vis du milieu spiritualiste quil côtoyait.
Sans entrer dans les détails de lascension de lAmorc, le présent article nayant pas pour but de faire lapologie ou lhistorique de cette religion sectaire, il faut donc savoir que dès 1915, Lewis et ses collaborateurs commençaient à lancer un nouveau type de produit sur le marché de la spiritualité, dont lidée sintégrait parfaitement dans la société de consommation quallait être lAmérique à partir des années 30. Cette idée commerciale a eu un succès progressif et malgré des hauts et des bas, se maintient encore aujourdhui grâce à une politique commerciale payante : publicité dans les magazines, conférences, introduction dans les milieux politiques, etc. Il sagissait de proposer aux chercheurs qui souhaitaient approfondir leur connaissance des mystères occultes ou spirituels un moyen simple et progressif dy parvenir, relativement bon marché et... interminable : des cours par correspondance baptisés du nom savant de monographies. Dautres sectes se sont par la suite inspirées de cette méthode de diffusion : les témoins de jéhovah avec La Tour de Garde, le monde à venir avec La Pure Vérité, lOrdre Rénové du Temple avec ses Mandamus, etc.
Lensemble des cours correspond à environ 1000 monographies dont 600 ont été écrites par Spencer Lewis entre 1909 et 1915. Bien que tout le monde sache parfaitement que la plupart des monographies ont été écrites par lui, une précaution hypocrite et psychologiquement très subtile consista dès le début à ne pas faire figurer le nom de lauteur. Celui-ci, anonyme, sappelle simplement Le Maître de votre classe. Dautre part, au lieu de faire référence à ses idées, à ses opinions et à sa façon de voir la spiritualité, toute lidéologie est rattachée à une mystérieuse tradition rosicrucienne que lon vous révèle petit à petit. Cette façon très personnalisée de sadresser au lecteur, malgré quil soit évident que ce nest que du papier imprimé, donne le sentiment que le texte a été écrit pour lui exclusivement et flatte donc la corde sensible de son individualité [tout flatteur vit aux dépens de celui qui lécoute].
Les techniques dendoctrinement
Chaque monographie représente une prouesse dans lart de parler
pour ne rien dire. Généralement, le rosicrucien reçoit
quatre monographies par mois. Il est en effet censé en étudier
une par semaine, de préférence le Jeudi soir, jour affecté
par lOrdre à ce quils appellent la convocation (la petite
"messe" rosicrucienne). Or lorsquon examine attentivement le
contenu dune monographie on se rend compte quil y a en définitive
très peu à lire et très peu à apprendre. La façon
de faire progresser lenseignement, au cours des monographies successives
a en plus quelque chose de vicieux : chaque sujet traité en appelle dautres
et dans le corps même du texte, Spencer Lewis ne manquait jamais de faire
miroiter les secrets merveilleux qui seraient révélés plus
tard, toujours plus tard.
Tout, absolument tout, dans lorganisation et la stratégie de lAmorc, a pour but de retenir le plus longtemps possible le membre : le règlement dabord, qui lengage à demeurer fidèle et à servir lOrdre toute sa vie et même au-delà, mais surtout, toute une panoplie darguments pernicieux et de chantages.
Le fil conducteur de lenseignement rosicrucien transcrit dans les monographies néchappe pas à la technique du saucissonnage publicitaire, comme on le subit désormais à la télévision ! Régulièrement, environ toutes les quatre monographies, le malheureux lecteur a droit à une bonne dose de litanie démagogique. En guise dintroduction, on lui explique que le fait pour lui dêtre rosicrucien est une chance immense, quil doit remercier la Providence davoir pu connaître lAmorc et quen guise de remerciement, il devra toujours témoigner de sa fidélité et de sa reconnaissance envers les guides invisibles qui lui ont montré le chemin de linitiation. Ces coups dencensoir répétitifs ne sont ni plus ni moins que la mise en pratique dune technique de suggestion, cest-à-dire de lavage de cerveau par la douceur. Le principe est simple; il consiste à induire dans le subconscient du lecteur lidée-force suivante : vous êtes rosicrucien, donc vous êtes génial; vous êtes rosicrucien donc vous êtes sauvé !
À cause de cela tous les rosicruciens avancés se comportent dailleurs dune manière épouvantable; ils éprouvent tout simplement du mépris envers ceux qui ne sont pas rosicruciens et les dédaignent dautant plus lorsquaprès les avoir prêchés, ces derniers refusent de saffilier. Être rosicrucien génère le besoin de rechercher des affinités électives : on ne peut plus être ami quavec des rosicruciens, partant du principe égoïste quavec les non-rosicruciens (les gens normaux donc), on ne peut pas partager dintimité ni parler de «certaines choses».
La déontologie rosicrucienne recommande en effet aux membres de ne jamais parler du contenu de lEnseignement avec des profanes puisque cest par ce nom quils désignent ceux qui ne sont pas des leurs. Pour prêcher et convaincre, ils ont recours à une abondante documentation illustrée qui ne fait que flatter lego de lindividu et ne présente lenseignement que comme la panacée qui ouvre toutes les portes. Un autre argument implicite sourde de ces différents documents publicitaires : si vous devenez rosicrucien, vous serez plus beau, plus fort, plus heureux, vous connaîtrez tous les secrets de lunivers, vous développerez des facultés insoupçonnées telles que la télépathie, etc.
Lexpérience montre bien évidemment que tout cela est faux car le rosicrucianisme tend plutôt à gonfler démesurément le Moi égocentrique de lindividu. Jen veux pour preuve cette phrase ahurissante de Spencer Lewis où il ne se gène pas pour affirmer que le rosicrucien est un être supérieur et que le rosicrucianisme et le chemin le plus élevé pour parvenir à la réalisation. Malheureusement, le seul fait daffirmer cela est bien la preuve du contraire ! Car lorgueil et la présomption ne sont certainement pas les preuves dune quelconque élévation spirituelle.
Les gens qui adhèrent aveuglément à cette religion new style ne font pas preuve de beaucoup de discernement. Pourtant, le seul fait pour lordre de ne proposer que des services payants devrait les faire réfléchir. Jésus demandait-il de largent à ses apôtres ? Exigeait-il une cotisation pour que lon puisse être lun de ses disciples ? Non, bien au contraire, il accueillait avec amour et compassion les pauvres, les déshérités et les plus démunis, ceux qui étaient précisément les moins aptes à donner. Il avait justement appris le métier de menuisier pour subvenir à ses besoins et ne dépendre de personne. Il chassa les marchands du temple parce que lÉveil mystique na rien à voir avec largent et ne peut sacheter. La démarche rosicrucienne est diamétralement et radicalement opposée à la voie christique : «seul celui qui garde le contact physique avec lordre peut être sauvé.» Quappelle-t-on le contact physique ? Simplement le fait de sacquitter chaque année et sans retard de sa cotisation.
Spencer Lewis, doué dune imagination fertile monta de toute pièce un canular invraisemblable auquel croient aveuglément les rosicruciens. Selon lui, il aurait été secrètement initié dans une pyramide, lors dun voyage en Égypte, aux plus grands secrets mystiques. Il prétend avoir été chargé de mission par la «grande loge blanche» pour «restaurer» et installer lordre rosicrucien aux États Unis. Si lon en croit sa prose délirante, lordre rosicrucien quil a fondé ne serait pas la première manifestation de lordre. Celui-ci apparaîtrait cycliquement sur terre et ses périodes de fonctionnement alterneraient avec des périodes de mise en veilleuse. Néanmoins, le représentant de lordre pour lEurope, Raymond Bernard, a déclaré que la prochaine période de léthargie nétait plus à envisager...
Résumons : lordre se manifesterait tous les 144 ans pendant une période de 108 ans. Or, en guise de période ou de cycle, lAmorc na jamais connu que cette seule tranche dactivité et nexiste que depuis 1909; logiquement, en lan 2017, lordre devrait arrêter son activité. Mais voilà, ça rapporte du fric, les membres ont établi un lien de dépendance à légard de la secte et ni les dirigeants, ni les membres ne sont prêts à accepter larrêt des activités non seulement à cause de laspect lucratif, mais parce que beaucoup de gens se sont psychologiquement réfugiés dans la secte qui joue dès lors le rôle dune mère protectrice. Raymond Bernard faisant partie des dirigeants préfère dès maintenant mettre les mains en avant en affirmant que lordre ne retournera plus en léthargie. Et pour cause, il ny a jamais été ! Avant 1909, il nexistait pas.
Spencer Lewis prétend pourtant que les origines de la tradition rose-croix remontent à lépoque de lancienne Égypte et que sa doctrine aurait été fondée et codifiée par les pharaons Thutmosis III et AmenHotep IV. Paradoxalement les plus grands égyptologues nont jusquà ce jour trouvé aucune trace de ladite doctrine ni du symbole de la rose-croix (sous la forme dun hiéroglyphe par exemple) pour la bonne et simple raison quen ce temps là, la rose nexistait pas. Il sagit dune fleur hybride, obtenue à partir de boutures sélectionnées déglantiers provenant de Chine, qui ne fait son apparition dans lhistoire occidentale quaux premiers siècles de lère chrétienne, à lépoque de lempire romain, donc bien après la chute du royaume égyptien. Il y a donc lieu de bien souligner quil nexiste aucune représentation picturale ou hiéroglyphique de la rose dans lantique Égypte. Pour faire couleur exotique et malgré les innombrables contradictions, lensemble du rituel et le décorum rosicruciens sinspire des hiéroglyphes et de larchitecture égyptiens. Ainsi les pages des monographies sont ornées de cartouches qui correspondent aux divers degrés du néophyte, du temple et des illuminati. La couverture est ornée de deux colonnes et du symbole solaire égyptiens. Tout cela nest quun camouflage; nous avons soigneusement étudié lenseignement de Spencer Lewis et loin de puiser ses sources dans lantique Égypte, le fond est moderne, simpliste, effroyablement rationaliste, et nhésitons pas à le dire : matérialiste !
Les superstitions rosicruciennes
Parallèlement à la diffusion des monographies, les rosicruciens
se voient régulièrement sollicités pour acquérir
différents objets rituels, symboliques ou sacrés. LAmorc
propose une panoplie dinsignes faits de roses, de croix et de triangles,
les trois totems rosicruciens. Ces insignes sont proposés en or, en argent,
ou plaqués, sous toutes les formes possibles : pendentifs, bagues, boutonnières,
broches, et même autocollants et badges (à quand les tee-shirts
?). Les gens acquièrent ce genre dobjets dans le but de se sécuriser
mentalement. Lusage des insignes distinctifs rosicruciens nest quune
manière voilée de sacrifier aux pratiques superstitieuses les
plus primitives de lêtre humain, celles précisément
dont une véritable Initiation (ce nest pas le cas ici) devrait
le dépouiller : le fétichisme, le talismanisme, la recherche dune
protection mystique, bref, la superstition...
Le culte et les rites rosicruciens
Chaque degré du temple commence par une initiation. Intéressant
me direz-vous ? Certes, sil sagissait vraiment dune authentique
initiation, ce serait passionnant; hélas ceux qui ne connaissent pas
lenseignement de Spencer Lewis sont à cent lieues dimaginer
ce que sont les initiations rosicruciennes. Tenez-vous bien : le membre doit
sinitier tout seul !!! Désopilant non ? Jai du mal à
retenir mon fou rire, mais cest nécessaire si je veux terminer
cet article. Donc le rosicrucien fait ses initiations successives tout seul,
à laide dune monographie spéciale, de couleur pourpre
(couleur «initiatique» affirme Lewis) décrivant le rituel
initiatique. Le texte est en fait un dialogue (semblable à celui dune
pièce de théâtre) où tour à tour limpétrant
doit jouer le rôle de lofficiant, Maître de la cérémonie,
et de lui-même que lon va initier. Pour accomplir ce rituel, un
lieu spécial, retenu pour sacré, doit être aménagé;
cest le sanctum, une sorte de petit temple privé.
Pour construire son sanctum, une fois encore lAmorc propose à ses membres tout le matériel nécessaire moyennant finance. La panoplie minimale comprend un autel de forme triangulaire, deux grosses bougies, une nappe brodée aux insignes rose-croix, un tablier rosicrucien que lon met autour de la taille, et un miroir. Lautel doit être orienté vers lest. Dautres gadgets peuvent y être ajoutés bien quils ne soient pas indispensables, par exemple une coupe, des statuettes égyptiennes, les effigies des plus grands membres de la secte : Spencer Lewis, un certain Kut Hu Mi, Ralph Maxwell Lewis (le fils) et dautres... Cest selon les moyens de chacun.
Bien évidemment la superstition religieuse est flagrante : cet autel (ou shekinah), une fois sacralisé par le rituel de consécration quaccomplit le membre lui-même (avec un mode demploi du genre do-it yourself, ça fait vraiment très américain), et le sanctum doivent être entourés de toutes sortes de précautions : toujours se laver les mains et se purifier avant de toucher aux objets rituels, et surtout, le préserver des regards indiscrets; personne détranger (épouse, enfants y compris) ne doivent voir le sanctum. Généralement, lapparition du sanctum dans une maison pose toujours des problèmes cocasses : du jour au lendemain, une pièce ouverte (chambre noire, cave, grenier ou cagibi) devient zone interdite à toute la famille (sauf si celle-ci est rosicrucienne, ce qui est rare et exceptionnel, la majorité des rosicruciens sont des hommes). Lintrusion de cet espace impénétrable peut causer des troubles au sein du foyer, parfois même des divorces (maintenant que jy réfléchis, je me rends même compte que je ne connais que des rosicruciens divorcés, mais ce doit être le hasard). Et que dire dun couple vivant dans un studio ? Où donc le membre va-t-il cacher sa shekinah ? Dans une armoire de la salle de bain ou même dans les toilettes (ce nest pas une plaisanterie, jai vu cela chez des rosicruciens logeant dans de petits studios).
Lexigence est redoutable : si quelquun profane le sanctum, cest très grave; cest un signe que les forces obscures sont contre lui. Il faut de toute manière recommencer le rituel de consécration et acheter de lencens rosicrucien (parfumé à la rose évidemment [comme les désodorisants pour les chiottes]) pour purifier les objets qui ont été souillés. Notez que dune manière ou dune autre, il faut toujours acheter quelque chose...
De leur propre aveu, en les prenant en confidence, les rosicruciens reconnaissent que lordre est en fait une religion voilée. Bien que la totalité de la documentation, pour échapper à la qualification de secte, affirme que lAmorc est une organisation non-religieuse et quelle respecte les croyances de chacun.
Or, qui dit culte rendu à une divinité, qui dit ensemble de rituels et de cérémonies, dit forcément religion, par définition. Certains membres ayant peut-être acquis la conviction que la rose-croix nest pas une religion, sont pris au dépourvu lorsquils découvrent quil y a néanmoins un service funèbre réservé aux rosicruciens décédés, un rituel de baptême pour les enfants nés de parents rosicruciens et des cérémonies commémoratives pour honorer la mémoire des grands rosicruciens décédés (quils appellent «in memoriam»). Tout cela pue le catholicisme. Il y a donc une contradiction criarde entre laffirmation que la rose-croix nest pas une religion et le fait que le membre étudiant dans les degrés du temple doive faire sa petite messe tous les jeudis-soirs, devant son sanctum. On lui explique très rationnellement et très scientifiquement (ne riez pas) que ces rites servent à le mettre en harmonie avec les forces cosmiques [ou avec legrégore de la secte]. Un peu comme si la shekinah était une sorte de téléphone qui permettrait de se mettre en rapport avec lau-delà.
Il y a dailleurs quelque chose de malsain dans cet effort perpétuel de double jeu, à savoir le discours très sérieux, froid, rationnel, très bourge comme disent les jeunes, contredisant les faits, les actes, et le décor 100% religieux. Cette volonté de tout rationaliser, de tout vider de la transcendance intuitive, de tout expliquer avec des mots, de tout intellectualiser est effroyable. Même lorsquon parle du Coeur, on ne fait quen parler; je veux dire que cest le cerveau qui se met toujours au milieu et qui embrouille tout par son besoin de froideur rationnelle. Il faut dailleurs avouer que cette contradiction est mal vécue par les rosicruciens. Curieusement, cet enseignement vide fait leffet dune drogue et plus les membres avancent sans rien comprendre, plus ils veulent aller plus loin, espérant toujours la révélation quils attendent mais qui ne vient jamais. Cest le principe de la carotte et du bâton, le piège des promesses interminables : on vous donne une miette en vous promettant le pain entier, mais personne jamais ne voit le pain.
Finalement lenseignement sen tire encore par une pirouette en présentant la mort physique comme lultime initiation, à laquelle ils donnent le nom hypocrite de «transition». Ce qui exclut toute réalisation terrestre. Pour le rosicrucien, excessivement prudent, à la limite du ridicule, une telle affirmation est insoutenable. Il pense quil est prétentieux de vouloir se réaliser dans cette vie et se cache derrière une hypocrite modestie; en vérité, cest le rosicrucianisme lui-même qui est incapable de transmettre la flamme authentique de lÉveil et cette fausse modestie ne fait que masquer lincapacité de lAmorc.
Il est donc exclu daccepter laffirmation un peu rapide selon laquelle le rosicrucianisme serait dinspiration cosmique ou divine. Cest ce que prétend la lettre, mais les faits la contredisent. La plupart des rosicruciens pensent que leur appartenance à lOrdre les protège. En vérité, cest leur ego, leur petit moi personnel qui se sent à labri car si la véritable Initiation doit dissoudre lego, en revanche les simulacres initiatiques rosicruciens le protège, le confortent et le nourrissent.
Mais le comble, cest que lordre lui-même, par la plume de ceux qui ont rédigé ses manuels actuels, avoue que lenseignement rosicrucien est artificiel, cest-à-dire non pas inspiré du cosmique, mais pensé par des hommes.
En effet, la principale hérésie consiste à déclarer que toute la pensée mystique des hommes sest construite progressivement, au fur et à mesure de leurs méditations, de leurs recherches et de leurs découvertes. Lewis, en voulant décrire lévolution religieuse comme une ascension continue justifia ainsi les additions et corrections successives faites au contenu de son enseignement. Lun deux déclare : «si une connaissance réelle susceptible daider efficacement les adeptes du mysticisme est connue quelque part dun groupe détudiants quelconque, elle devient bientôt une partie des enseignements rosicruciens.»
En dautres termes si les idées de lélève sont bonnes, elles deviennent les idées du maître !
Grave erreur : un authentique Maître, sil en est, a-t-il besoin de ses élèves pour parfaire son enseignement ? Non, en aucun cas sil sagit dun Maître Véritable. Est-ce lanalphabète qui apprend à lire et à écrire à son professeur ? Mais de quelle sorte de Maître parle-t-on chez les rosicruciens ? Lewis lui-même se présentait modestement comme un étudiant et cest pourtant lui qui a fait tourner la boutique pendant 29 ans avec le titre pompeux et prétentieux dImperator*... Quelle hypocrisie !
* empereur (du latin imperare : ordonner, commander)
Les gens qui entouraient Lewis avaient dailleurs une curieuse opinion
de sa personne. Daucuns allaient jusquà prétendre
discrètement quH.S. Lewis était tout simplement la réincarnation
dAmenHotep ou de Toutmosis, rumeur savamment orchestrée dans le
but de créer artificiellement cette indispensable filiation mystique
à laquelle, dit-on, doit obligatoirement se rattacher une école
prétendument initiatique. En fait, il fallait créer la mythologie,
la part de rêve qui ferait craquer le gogo.
Autre hérésie, lincinération... Il est en effet recommandé
aux rosicruciens dêtre incinérés après leur
décès car cest, selon Lewis, le meilleur moyen de retourner
à létat originel de poussière. Il a le courage de
prétendre que la coutume denterrer les morts dans le sol où
ils se décomposent aurait toujours été considérée
par les mystiques comme une pratique barbare et malpropre. Cest ridicule
car tous les mystiques authentiques pensent exactement le contraire et considèrent
lincinération comme une pratique inutile, polluante et contre-nature.
Car telle est bien la vérité. Nos frères les animaux incinèrent-ils
leurs morts ? Ne trouvez-vous pas au contraire quil est logique que toute
la matière qui constitue notre corps puisse retourner le plus naturellement
du monde là où elle était ? Et puisque le rosicrucianisme
prétend tirer ses origines dans la science des prêtres de lantique
Égypte, comment concilier la pratique égyptienne -des plus sacrées-
de la momification dont le but était de conserver les morts intacts le
plus longtemps possible, et la pratique brutale, profane, mécanique et
destructrice de lincinération ? En fait, la coutume de lincinération,
typiquement anglo-saxonne et pratiquée sur tout le territoire des États-Unis
prouve bien linfluence culturelle qua subi Lewis, et non une quelconque
et tout à fait impossible révélation mystique.
Comme toutes les sectes et les religions, lamorc na quun seul
but : LARGENT, LE FRIC !
La preuve est dans le code de vie rose-croix : on recommande à ceux qui nont pas dhéritier ou qui ont des héritiers indignes, de prendre des dispositions testamentaires pour que lAmorc hérite de tout ou partie des biens du membre. Et cela, vous dit-on le plus innocemment du monde, dans le but daider lordre dans sa mission altruiste. Senrichir nest pas de laltruisme !
Dans ce même code de vie, larticle 30 stipule que lordre est incritiquable, je cite : «ne permets jamais à la calomnie datteindre le bon renom de ton ordre...»
Notons enfin que lAmorc se veut tolérante et de ce fait recommande que chacun accorde son soutien à la religion de son choix et respecte celle dautrui. Traduisez surtout ne nous fâchons avec personne.
[On remarquera la logique du système : nous ne critiquons personne, alors ne nous critiquez pas; si vous ne dites rien, nous ne disons rien non plus.]
Lewis affirme quune partie de lautorité de lAmorc vient des réponses quil trouve dans lhomme. Il avoue donc son ignorance et le fait davoir construit petit à petit sa doctrine en étudiant, observant et expérimentant, ce qui est par définition une pure démarche cartésienne, nullement une démarche spirituelle. Il est dailleurs curieux que personne nait relevé cette contradiction criarde. En effet, de deux choses lune : ou bien le rosicrucianisme est une révélation (auquel cas, sil est dinspiration cosmique, il est nécessairement parfait), ou bien cest une contruction intellectuelle hésitante, imparfaite et en perpétuelle réfection. En aucune manière, il ne peut être les deux à la fois !
Alors pourquoi cet effroyable rationalisme a-t-il tant de succès ? La réponse est elle-même pitoyable : parce que les hommes et les femmes qui trouvent leur satisfaction individuelle dans le rosicrucianisme ont peur de sinvestir par le Coeur ! Le comportement des rosicruciens le prouve et il apparaît dune manière flagrante que les gens qui adhèrent à lAmorc souhaitent seulement se sentir protégés, se réfugier dans le giron dun groupe. La plupart ont en fait besoin dune psychanalyse, non dune voie initiatique (quils redoutent et espèrent secrètement ne surtout pas trouver), car ils nont pas terminé leur maturation psychologique. La vraie nature de lhomme ne peut se révéler que dans la liberté, surtout la liberté de penser. Or, lenseignement rosicrucien sous des dehors de libéralisme et de tolérance impose peu à peu ses opinions et forge progressivement un troupeau de moutons bien uniforme, nivelé par une pensée unique ! Poser la même question à dix rosicruciens avancés revient à recevoir dix fois la même réponse ! Cest grave. Par moment, on se croirait chez les témoins de jéhovah. Ceux qui les connaissent verront dailleurs quil ny a aucune différence.
Toute la littérature rosicrucienne, le manuel rosicrucien, le manuel de référence, les mandamus, les innombrables monographies (plus de mille), leur revue mensuelle Rose+Croix rassemblent les questions les plus importantes (celles qui sont posées le plus souvent) et les réponses quil convient dy apporter. Il est flagrant que le rosicrucien idéal ne doit surtout pas penser par lui-même.
Le gag de la fin : la parole perdue...
Le fondement de la révélation suprême de lenseignement
rosicrucien repose sur la connaissance dune parole magique et sacrée
dont la force vibratoire serait si grande que tout peut être réalisé
par elle. Lewis la présente comme étant la fameuse Parole Perdue
que cherchent en vain (dit-il) tous les occultistes, celle dont parlerait lévangéliste
Jean au premier verset*. Par chance les instructeurs de lAmorc seraient
dépositaires de ce grand secret quils révèlent aux
membres réguliers comme lélément le plus précieux
et le plus important dans la voie mystique; quelle aubaine ! Selon Lewis, cest
un signe de reconnaissance : tous ceux qui connaissent la parole perdue sont
sauvés. Aussi, sa révélation est-elle entourée de
plein de mystères, comme pour mieux exciter la curiosité des pigeons
qui payent pour connaître les «secrets».
* «Au commencement était le verbe...»
Bon hé bien jai décidé de sauver tous nos lecteurs car je vais moi aussi vous révéler cette fameuse parole perdue si chère aux rosicruciens : elle sécrit «MATHREM», et comme il sagit dun mot qui se prononce à langlaise, le TH se dit TZ, donc on prononce «Matzrèm». Ce mot résulte en fait dun simple jeu de cryptographie hébraïque que lon appelle athbash, bien connu des kabbalistes. Une fois décrypté, on découvre que Mathrem signifie INRI, sobriquet donné à Jésus sur la croix, bref encore un sous-produit du délire biblique. Faites-en ce que vous voulez, pour ma part, je ne crois pas au pouvoir des mots mais à celui du Coeur et de lAmour qui peut réunir les êtres. Pour cela, point nest besoin denseignement compliqué, de signes, de kabbales, de paroles bizarres, dinterminables lectures; seules sont requises la sincérité et la spontanéité.
Notre voeu le plus sincère est que tous ceux qui se sont aliénés à la servitude aveugle de cette secte retrouvent le chemin du bon sens, de la raison et de la liberté.
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